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Le crime du Pont Valentré


Un procès hors norme passionne Cahors en ce mois de novembre 1883. On y juge un paysan accusé d’avoir assassiné sa belle-mère sur le célèbre pont. Mais le dossier ne contient ni aveu, ni preuve.

Mercredi 14 novembre 1883. C’est le Jour J. La foule le sait, qui s’est réunie devant le Palais de Justice de Cahors. Le reporter du Journal du Lot fait appel à une kyrielle d’adjectifs pour décrire l’atmosphère avant que ne s’ouvre le procès de l’auteur présumé du « crime du Pont Valentré » (ainsi est dans tous les journaux baptisée l’affaire) et de son complice. Pourtant, le dossier est quelque peu bancal. Le cadavre d’une femme a bien été retrouvé en aval du pont, à Douelle, trop longtemps cependant après la date supposée de la mort pour que l’on ne puisse y trouver aucune trace compromettante. Il a été cependant identifié. Un homme, son gendre, a bien été arrêté. Désigné par les rumeurs. Mais il n’y a ni aveu, ni preuve. On lira ainsi, dans l’édition du 15 novembre : « Nous allons voir se dérouler aujourd’hui devant la Cour d’assises le dernier acte de ce drame épouvantable qui consterna nos populations et les passionne depuis près d’un an par ses diverses phases mystérieuses et horribles. Par la nature même de cette affaire, par laquelle l’instruction, en l’absence de témoignages directs, a dû à force d’esprit de pénétration, de prudence et de sagacité reconstituer peu à peu tous les détails de ce crime ténébreux et le rendre palpable à tous les yeux. Par le caractère des accusés, dont l’intelligence égale l’audace et qui, se retranchant dans un système de dénégations absolues, rendent la tâche de la Justice d’autant plus difficile. Les débats qui vont s’ouvrir ne peuvent manquer d’être très émouvants et très dramatiques. »

« On amène les accusés ! »

Cela étant, le même journaliste semble lui-même surpris par les scènes auxquelles il assiste le moment venu : « Dès huit heures du matin, la foule afflue devant le Palais de Justice. Les groupes se forment et devisent : ce sont de toutes parts les divagations les plus étonnantes. Des avocats du pavé en blouse et chapeau mou plaident par avance l’affaire devant des admirateurs à la bouche béante. Plus pratiques et mieux avisés, beaucoup s’asseyent tranquillement sur les marches du Palais et déjeunent à leur aise pour se donner des forces suffisantes pour la journée. Vers 8 heures 1/2, un bruit rasant la terre augmente la houle de cette masse populaire. « On amène les accusés » a crié un loustic ; il n’en faut pas davantage pour entraîner le flot des curieux jusqu’aux portes du « Château du Roi ». Ce n’était qu’une alerte cette fois et la translation des accusés ne s’effectue qu’une demi-heure plus tard. A l’ouverture des portes de la prison, un mouvement immense de curiosité saisit la foule qui pousse un profond murmure et se range difficilement sous les efforts de la gendarmerie et de la police pour laisser passage à ceux que l’on mène au Prétoire. L’indignation des femmes surtout se manifeste vivement, indécemment même. Les accusés, menottes aux poings, marchent la tête haute entre deux rangées de gendarmes. »

« Ils toisent la foule d’un œil tranquille »

Et le rédacteur semble déjà avoir son avis sur le verdict qui ne manquera pas de tomber. « Prenons leur croquis au passage : Tous deux sont de petite taille, bruns, hauts en couleur, la figure ronde, l’arcade sourcilière prononcée, les sourcils épais, l’oeil très vif, le regard dur et en dessous. La démarche est assurée, le costume est celui des habitants aisés de nos campagnes. Les rumeurs du torrent populaire qu’ils ont déchaîné ne les émeut pas ; ils toisent la foule d’un œil tranquille et semblent dire : « Mais nous ne sommes point des coupables et nous allons sortir de là blancs comme neige. » Cette opinion qui se lit clairement dans leurs yeux n’est pas partagée, nous sommes bien obligés de le dire. Enfin les portes du Palais s’ouvrent ; la foule s’engouffre et regorge bientôt ne pouvant contenir dans l’enceinte qu’elle remplirait dix fois. Les plus forts et les plus adroits ont pu s’emparer des places ; les autres, le plus grand nombre, sortent en maugréant, bousculés par les postes renforcés, mais tenaces et se cramponnant aux abords espérant toujours pouvoir occuper la place d’un sortant. Voilà la physionomie du dehors ; à l’intérieur, le spectacle est plus calme et plus imposant encore : tout un monde d’hommes d’affaires, d’avocats, de témoins et de jurés circulent dans les pas perdus, s’entretenant de l’affaire et de la longueur probable des débats, étant donné le grand nombre de témoins cités (on en compte, en effet, près de 120). Le son strident de la cloche met un terme à toutes les conversations et la phrase sacramentale de l’huissier – « La Cour, chapeau bas » -, retentit au milieu du silence général. »

Vont suivre cinq jours d’audience. C’est rare, à l’époque. Et ce qui l’est tout autant, c’est que le président aura autant à faire la police de la salle qu’à conduire les débats. Comme le veut l’usage, le procès débute par l’appel des accusés puis un avertissement dudit président : « Je recommande au public le silence, sous peine de faire évacuer la salle. Vous n’êtes pas ici au spectacle, mais devant la Justice, et en présence d’un crime d’assassinat. Monsieur le greffier, veuillez donner lecture de l’acte d’accusation…. » Le voici : « Sont accusés : Alazard, Jean, âgé de 36 ans, cultivateur, né à Trespoux-Rassiels, canton et arrondissement de Cahors (Lot), demeurant à Laroque, commune dudit Trespoux-Rassiels ; Benays, Joseph, cultivateur, âgé de 24 ans, né à Cahors, demeurant à Lacapelle, commune de Cahors. »

Elle se savait condamnée à mort (par son gendre)

« Les faits : Au village de Laroque, commune de Trespoux-Rassiels, vivait la famille Alazard, composée de la femme de Jean Alazard, Marie Payssot, et de son enfant encore en bas âge, de sa mère et de sa belle-mère, Catherine Calmon, veuve Payssot. La paix ne régnait point dans la maison. Brutal à l’excès, Jean Alazard, qui, dans les premiers mois de l’année 1882, avait menacé sa mère de la noyer, se répandait sans cesse contre sa belle-mère en injures, en mauvais traitements et en menaces de mort, oubliant que cette pauvre femme, par amour pour sa fille, s’était dépouillée en sa faveur, dès le mois de septembre 1879, de tout ce qu’elle possédait à Vernolis, paroisse de Constans et commune de Laroque-des-Arcs. Pour lui, ce n’était point encore assez. Et dès lors, on le voit la traitant de « garce » et de « p…. », lui infligeant de cruelles vexations, lui imposant même des privations de tous genres : et tantôt il la bat au point qu’elle se dit rompue, tantôt il la pourchasse en plein champ, en lui jetant des pierres, tantôt il la jette à la porte de sa maison, en lui disant : « Tu mourras de ma main ! » et enfin, dans une circonstance, il lui répète qu’il la noiera. La veuve Payssot, malgré les conseils qu’on lui donnait au récit de ses tortures de fuir la maison d’Alazard, y restait quand même, attachée par son amour maternel. Et pourtant elle se savait condamnée à mort par son gendre à telles enseignes que, dans le courant de l’été 1882, désolée, elle disait, parlant de lui, qu’un jour on entendrait dire qu’elle l’avait détruite ou jetée à l’eau. La donation de 1879 ne contentait point Alazard. Il eût voulu vendre les biens qui en avaient fait l’objet ; mais comme par l’acte même de donation la veuve Payssot s’était réservée, eu cas d’impossibilité de vie commune, le service d’une pension annuelle et viagère de 350 francs, garantie par une hypothèque sur les biens de Vernolis, son gendre, pour lui arracher son consentement, lui fit de telles menaces, qu’en persistant dans son refus, elle s’attendait à être tuée ou noyée de sa main. Le 27 janvier dernier, elle y persistait encore, et le 27 janvier au soir, Alazard la noyait dans le Lot, au pont Valentré. Dans la matinée de ce jour, il lui avait commandé, bien que de son propre aveu ce voyage fut fort inutile, d’aller à Vernolis chercher un pot vide destiné à contenir une partie de la graisse d’un porc que l’on devait tuer quelques jours plus tard. Quoiqu’il lui en coûtât, elle avait obéi et s’était mise en route, en compagnie de son gendre, qu’elle quitta à Cahors, ayant promis, avant son départ à sa fille, de revenir le lendemain dimanche 28 janvier. A sept heures du soir, elle arrivait à Vernolis, partageait le repas de la famille Tauriac, et quittait, à huit heures, la femme Tauriac, son amie, qui, fatiguée, ne put aller passer la soirée avec elle, comme elle l’y invitait. Avant neuf heures, survint, dans la maison de la veuve Payssot, un messager venu, dit-il, tout exprès de Laroque-Trespoux, pour lui annoncer que sa fille, dans un état de grossesse avancée, avait fait une chute dangereuse. »

Une femme criait en patois « Au secours! »

« La mère, malgré son âge, 54 ans, et la fatigue d’un long voyage, sans soupçonner la fausseté de cette nouvelle et le guet-apens où on l’attirait, repartit aussitôt, par cette nuit d’hiver, pour Laroque-Trespoux, avec l’exprès, qui n’était autre que Benays, Joseph, ami intime d’Alazard, reçu dans sa maison, connu de sa belle-mère, connaissant lui-même Vernolis pour y avoir été souvent conduit par Alazard, et son auxiliaire si dévoué pour le mal, qu’en 1882, il l’avait puissamment et fort habilement aidé à commettre une escroquerie audacieuse, à raison de laquelle ils ont été condamnés l’un et l’autre à plusieurs mois de prison. Cette nuit-là, Benays mena la veuve Payssot à la mort. Alazard, en effet, les attendait l’un et l’autre à Cahors, sur les bords du Lot, à hauteur du pont Valentré. Aussi, vers onze heures, entendit-on, à cet endroit même, une femme poussant en patois et désespérément, à plusieurs reprises, les cris : « Au secours! ». C’était la veuve Payssot, dont le cadavre était retrouvé et reconnu, à Douelle, le 2 mai suivant. C’est ainsi qu’Alazard avait exécuté, avec l’aide et l’assistance de son ami Benays, son dessein, longuement prémédité, de noyer sa belle-mère. L’attitude des deux accusés, après le crime et pendant l’instruction, l’impossibilité où ils ont été d’établir leur présence ailleurs que sur le théâtre du crime, dans la soirée du 27 janvier, la fausseté reconnue des alibis invoqués par eux, tout démontre leur évidente culpabilité. En conséquence, les nommés Alazard, Jean, et Benays, Joseph, sont accusés d’avoir : 1° Alazard, à Cahors, le 27 janvier 1883, commis volontairement un homicide sur la personne de Catherine Calmon, veuve Payssot, et ce avec les circonstances aggravantes : 1° de préméditation ; 2° de guet-apens; 2° Benays, de s’être, au même lieu et le même jour, rendu complice du crime ci-dessus spécifié, en aidant ou en assistant avec connaissance, Alazard, son auteur, dans les faits qui l’ont préparé ou facilité, crimes prévus et punis par les articles 295… du Code pénal. »

« Madame, vous n’êtes pas au marché ! »

Suivent plusieurs jours d’audience, un défilé de témoins qui se contredisent, des échanges pour savoir si les cris entendus ce soir-là venaient des berges ou du pont, et l’on convoqua même le chef de gare car un riverain avait entendu la sirène de l’express venant de Paris… Et plusieurs incidents se produisent. D’abord quand on distribue aux jurés et aux témoins un plan de la scène du crime. Lequel sera d’ailleurs reproduit dans la presse. Un avocat se plaint alors que le schéma soit différent de celui qui avait été remis pendant l’instruction. Le public est par ailleurs quelque peu troublé et troublant. Alors que l’accusé principal, décrit comme volubile, nie tout en bloc, les faits comme les descriptions le disant instable et menaçant à l’endroit de sa belle-mère avant le crime, le président est agacé par une femme dans la salle : « Femme qui parlez là-bas, vous n’êtes pas ici au marché. Je vais vous faire mettre à la porte. » Les jours suivants, c’est le fait que la presse locale édite un « tiré à part » comprenant l’intégralité du compte-rendu des débats, au mot près, qui va provoquer de longues digressions, accusation et défense craignant que les jurés ne soient influencés…

Le procès qui avait débuté le mercredi 14 s’achève le mardi 20 novembre. L’avocat général réclame sans la nommer la peine capitale. « Il faut une expiation suprême. La justice doit être rendue par les jurés. Il appartient à un autre, à un seul, de faire grâce. Au plus grand des forfaits, il faut le plus grand des châtiments. Messieurs les jurés comprendront l’énorme responsabilité qui leur incombe. » L’avocat de Benays a somme toute la partie aisée. C’est moins facile pour son confrère. « M. le procureur de la République a dramatisé le récit du crime. C’est de l’éloquence, mais il veut des preuves et on ne lui en a fourni aucune. Messieurs les jurés vont décider d’une chose grave : la vie d’un homme. Ils ne doivent pas compter sur une grâce postérieure. Il doivent rendre justice après s’être demandé s’ils sont certains qu’Alazard a tué sa belle-mère. Messieurs les jurés, je ne vous demande que justice. Il faut que vous nous laissiez cette sublime espérance, qu’un jour la vérité peut encore éclater. »

La décision nécessite moins d’une heure. Alazard est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Mais son présumé complice est acquitté. Un journaliste conclut ainsi : « La foule, vivement impressionnée, s’écoule lentement. »

Ph.M.

Sources : archives du Lot.

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