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Le châtelain de Mercuès était aussi un aventurier 


Propriétaire de l’ancienne résidence d’été des évêques de Cahors de 1914 à 1944, le Pr Faure ne fut pas qu’une sommité médicale. Il accompagna Charcot au pôle nord et se rêvait écrivain. 

11 juillet 1914. Un seul candidat est sur les rangs quand les services du Registre vendent aux enchères le château de Mercuès, saisi par l’État après la loi de 1905. Il emporte donc la mise. Pour une bouchée de pain, ou presque. Il signe un chèque de 30 200 francs. A titre de comparaison, à la même période, on repère dans Le Temps une annonce pour un hôtel particulier près du bois de Boulogne au prix de 175 000 francs. Autre donnée pour se faire une idée de la somme, toujours à cette période, le salaire annuel d’un mécanicien est de 1500 francs. 

Quand le Journal du Lot publie l’information, il se trompe dans l’orthographe du nouveau propriétaire et évoque le Dr Fort, médecin à l’hôpital Cochin à Paris. Il s’agit en réalité de Jean-Louis Faure. Une sommité. Né à Sainte-Foy-la- Grande en Gironde, en 1863, il occupe dès 1918 la chaire de clinique gynécologique de la faculté de médecine. Il innove dans différentes techniques, tant sur le plan de la lutte de différents cancers que dans la transmission de son savoir. Il fait appel ainsi à des cinéastes pour filmer les interventions chirurgicales et les projeter ensuite aux internes qu’il encadre… 

Un chirurgien précurseur 

« Durant la Première guerre mondiale, il donne d’abord des soins aux blessés à Paris, dans divers hôpitaux. Puis, il est nommé chirurgien consultant de l’Armée ; il fait alors de fréquents séjours sur le front, dans les ambulances, donnant des conseils aux jeunes et consacrant toute son activité à perfectionner organisation du Service de Santé et à assurer aux blessés les meilleurs soins. L’œuvre scientifique de Jean-Louis Faure est importante. Tout d’abord, il décrit une technique nouvelle d’amputation ostéoplastique du pied, imagine l’anastomose spino-faciale, tente un des premiers l’extirpation de l’œsophage thoracique atteint de cancer. Les perfectionnements techniques qu’il apporte aux opérations gynécologiques constituent une part importante de son œuvre : il précise et enrichit les procédés d’hystérectomie, en montrant qu’il faut adapter la technique aux lésions, en créant ce qu’on a appelé plus tard la tactique opératoire. Il a aussi le mérite, dans un moment où bien des chirurgiens renoncent à la lutte contre le cancer, de s’y attaquer avec l’intervention chirurgicale. Il renonce bientôt pourtant aux opérations étendues pour les cancers de la face et du cou et il concentre ses efforts sur le cancer de l’utérus, en pratiquant notamment l’hystérectomie élargie. Pour diminuer la gravité de cette opération, il rénove le drainage du péritoine par le tamponnement à la Mikulicz » relève le Comité des travaux historiques et scientifiques (Institut rattaché à l’École nationale des chartes) sur la fiche biographique consacrée au grand homme. Sans oublier que le Pr Jean-Louis Faure fut membre de l’Académie des Sciences et président de l’Académie nationale de chirurgie. 

Un écrivain ami de Paul Bourget 

Mais ce fils de paysan nourrissait d’autres rêves. A l’instar de son frère Elie, médecin également, mais resté célèbre surtout pour son « Histoire de l’art » demeurée de nos jours une référence. Jean-Louis, c’est la littérature qui le passionne. Alors il écrit. Et pas seulement des précis de chirurgie… Sa biographie de Claude Bernard (parue en 1925) fait autorité et son recueil de souvenirs « L’Ame d’un chirurgien » est préfacé par Paul Bourget en 1928. La même année, il publie un récit de voyage, « Deux mois au Brésil ». Plus étonnant encore, on lui doit les paroles d’une œuvre « pour piano et chant » du compositeur et presque homonyme Gabriel Fauré en 1920 : « Hymne à la paix ». 

Pourtant, son livre le plus notable paraît en 1933 chez Flammarion et sera réédité à moult reprises : « Au Groenland avec Charcot ». A l’été 1932, en effet, le propriétaire du château de Mercuès a été invité à se joindre à la 6ème expédition du célèbre explorateur vers le pôle nord. Pour conforter la base établie par le commandant du bateau le « Pourquoi Pas ? ». Durant le voyage, à bord et pendant les différentes escales (l’ensemble dura deux mois), Jean-Louis Faure rédige un agréable carnet de bord. 

Le souvenir des étés à Mercuès 

On y relève un passage où il cite sa résidence de vacances dans le Lot… « Un peu partout dans le carré sont accrochés au mur quelques petits tableaux ensoleillés, dus au talent de Mme Charcot. Une vieille et très intéressante carte des régions polaires, que je regarde bien souvent, et puis au fond, sur la bibliothèque, la patronne des baleiniers, charmante image en bois sculpté, qui veille sur le Pourquoi-Pas ? Charcot a mis en bonne place le portrait de son père. J’ai bien souvent, au cours de mes études, eu l’occasion de voir cet homme, disparu depuis quarante ans, qui par ses découvertes, par l’autorité de son nom, jeta sur la médecine française un éclat qui se prolonge encore et que rien ne saurait ternir. Je regarde souvent ce masque magnifique. Car c’est bien lui, avec ses longs cheveux rejetés en arrière, son nez puissant, son menton volontaire, son œil impérial ! Il est ici de droit. Il y est doublement, – et quand je suis privé de son image, je la retrouve dans son fils ! A la place d’honneur est le portrait du Président Doumer. Il avait de tout temps soutenu Charcot dans ses expéditions. Il a même été le parrain du Pourquoi-Pas ? et sans sa haute intervention, la mission polaire actuelle eût sans doute échoué. Il aimait Charcot, et celui-ci, qui lui rendait son affection, a voulu que le portrait du Président fût ici, dans le carré même, en témoignage de son souvenir reconnaissant. Et moi, je ne puis sans quelque émotion contempler l’image de cet homme. Je l’ai connu, il m’a honoré de son amitié. Il avait bien voulu, il y a quelques années, accepter mon hospitalité, dans ce vieux château de Mercuès, dont il me parlait chaque fois que j’avais l’honneur de le voir, et où il désirait revenir. Je n’oublierai jamais avec quel enthousiasme, avec quelle jeunesse, passionné pour tout ce qui touche à l’histoire de notre pays, il nous avait entraînés, avec le général Duport, par un jour de chaleur torride, à l’ascension de l’oppidum gallo-romain qui surmonte Luzech. Infatigable, il nous avait étonnés par sa vivacité, par sa résistance, par sa fraîcheur d’esprit, par son universelle curiosité. Qui donc m’eût dit alors, tandis qu’au soir de cette journée magnifique, paresseusement étendus sous le grand cèdre de Mercuès, – un des plus beaux de France, – dans l’air tiède d’une nuit splendide, nous contemplions en silence le grand ciel noir rempli d’étoiles et Jupiter flamboyant dans l’espace, – qui donc m’eût dit alors qu’un jour prochain viendrait, où je verrais cet homme, pâle et mourant sur un lit d’hôpital, tandis qu’une sourde rumeur montait dans Paris consterné ! » 

Déjà inquiet pour la préservation des ours 

D’autres passages sont tout aussi intéressants. Quand Le Pr Faure décrit les esquimaux ou quand il s’inquiète (déjà!) des ravages de la chasse dont souffrent les ours et autres grands animaux de la banquise… Sa vie durant, celui qui a donné son nom à une pince chirurgicale toujours usitée, fait accomplir à la chirurgie gynécologique des progrès sans pareil ou encore perfectionné les lampes éclairant les zones à opérer, dans les blocs, sa vie durant, donc, Jean- Louis Faure a bousculé les codes. Ainsi, il n’hésita pas à venir témoigner à plusieurs reprises devant des tribunaux où étaient traduits certains de ses confrères poursuivis par des familles de victimes de supposées erreurs médicales et son élève la plus attentive fut une femme, le Dr Suzanne Lévy. 

Ce fut enfin un homme de paradoxes… Catholique convaincu, il brava les menaces de l’évêque de Cahors qui, après des mois de vaines batailles juridiques, avait brandi in fine le spectre d’une excommunication à qui achèterait le château de Mercuès ! Lequel avait vidé de se son mobilier et des œuvres d’art (comme les tapisseries d’Aubusson installées à la préfecture) avant la vente. Par ailleurs, s’il aima y séjourner (il fut même recensé à Mercuès en 1926 – où il est noté comme né en 1866, ce qui est donc là encore une erreur), c’est bien en ses terres girondines qu’il décida de finir ses jours (il emmena d’ailleurs des flacons de saint-émilion lors de l’expédition de 1932). 

Il se fourvoie dans la collaboration 

Reste un domaine où la clairvoyance du scientifique fut prise en défaut : la politique. Durant l’entre-deux-guerres, il est membre de mouvements prônant l’union nationale et le corporatisme face aux partis de gauche et aux syndicats dont l’influence grandit. Et quand la Seconde guerre éclate, il choisit Pétain. En 1941, il déclare dans la presse soutenir la collaboration et en mai 1943 encore, il persiste et signe. Cette fois, il soutient Doriot et ses fidèles qui vont combattre les Bolcheviques et soutenir les Allemands en difficulté sur le front de l’Est. Ce fourvoiement a été en quelque sorte exorcisé par son petit-neveu et homonyme Jean-Louis Faure (petit-fils d’Elie et fils du compagnon de la Libération François Faure). Sculpteur réputé (1931-2022), il a réalisé une œuvre où figurent un ours polaire, une jaquette du livre « Au Groenland avec Charcot » et, protégés par un sous-verre, des documents. L’un deux est une carte de visite où l’on lit : « Le maréchal Pétain — Ministre de la Guerre — prie Monsieur le Professeur Jean-Louis Faure de lui faire l’honneur de venir déjeuner avec lui, le mercredi 18 juillet à 12 h 45, en l’Hôtel du Ministre 14 rue St Dominique (veston). » 

Quant au château de Mercuès, il abrite le 22 novembre 1942 une rencontre entre Guillaume de Tournemire et Georges Lamarque actant le ralliement à la résistance des Compagnons de France, jusqu’alors mouvement de la jeunesse vichyste. Une plaque est toujours apposée dans le domaine qui commémore l’événement. Le premier sera commandeur de la Légion d’honneur, le second fusillé en décembre 1944 par les Nazis lors d’une opération en Lorraine sera Compagnon de la Libération à titre posthume. Entre-temps, le Professeur Faure est décédé le 26 octobre 1944 à Saint-Laurent-des-Combes (Gironde). Le département était libéré. Le château passera quelque temps plus tard aux filles du chirurgien, qui initieront sa conversion en établissement hôtelier… 

Ph.M. 

Sources : site Gallica BNF, site RetroNews, site de l’artiste Jean-Louis Faure (emamo.free.fr), site des Archives du Lot. Portrait photo du Pr Jean-Louis Faure paru dans « L’informateur médical », en ligne sur le site de la Banque d’images de l’Université Paris Cités. 

Illustrations DR

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