« Le 80 km/h sur les routes du Lot : une mesure attendue pour améliorer la sécurité routière »
Entretien avec Pierre Lagache, président de la Ligue Contre la Violence Routière du Lot.
Pierre Lagache, président de la Ligue Contre la Violence Routière du Lot, revient sur le contexte de la sécurité routière : « Depuis 2014, les résultats de la sécurité routière se dégradent au niveau national. La réduction importante du nombre de morts sur les routes du Lot en cette année 2017 est une très bonne nouvelle, mais cette éclaircie lotoise ne doit pas masquer une réalité inquiétante : le relâchement observé dans le comportement des conducteurs se traduit encore trop souvent pas des vitesses excessives. A plusieurs reprises notre association a défendu l’intérêt d’une nouvelle mesure portant sur l’abaissement de la vitesse autorisée à 80km/h sur les routes actuellement limitées à 90km/h et sans séparateur médian. Le prochain Comité Interministériel sur la Sécurité Routière (CISR) qui devrait se réunir en janvier 2018 devrait confirmer cette nouvelle mesure.
Medialot : où en est-on en matière de sécurité routière au niveau national ?
Pierre Lagache : nous nous acheminons vers une quatrième année présentant un mauvais résultat. Ces trois dernières années ont vu le nombre de morts augmenter sur nos routes. 2014/2013 : +3,5% – 2015/2014 : +2,3% – 2016/2015 : +0,2%. En octobre 2017, sur l’ensemble des 12 mois précédents, on enregistrait 3473 morts sur nos routes. Il est donc urgent que des mesures « de rupture » soient prises si l’on souhaite s’orienter vers l’objectif gouvernemental de moins de 2000 morts sur nos routes en 2020. Nous savons que la dégradation des résultats est liée à un relâchement du comportement des conducteurs qui se traduit notamment par une augmentation des vitesses moyennes observées.
M. : qui est à l’origine de cette proposition de 80 km/h ?
P.L. : cette proposition émane des experts de la sécurité routière qui ont, en 2014, à la demande du Président du Conseil National de la sécurité routière, présenté cette mesure comme une mesure essentielle, capable de faire baisser rapidement le nombre de morts et de blessés sur nos routes.
M. : qu’en est-t-il de l’expérimentation lancée en 2015 ?
P.L. : le gouvernement de l’époque, sous la pression des lobbies pro-vitesse, a opté pour une expérimentation sans fondement scientifique puisque portant sur moins de 100 km de voies. Les résultats de cette expérimentation ne sont pas publiés car ils n’ont aucune crédibilité.
M. : pourquoi avoir ciblé le réseau bidirectionnel sans séparateur médian ?
P.L. : au niveau national, plus de la moitié des tués le sont sur ce type de routes. Plus précisément, les routes bidirectionnelles, généralement limitées à 90 km/h, concentrent 87% de la mortalité routière sur routes hors agglomération et autoroutes. Le réseau autoroutier ne représente que 8% de la mortalité sur les routes.
M. : quel est le lien entre la vitesse et le nombre d’accidents graves ?
P.L. : pour comprendre, il faut remonter aux travaux pionniers de Goran Nilsson. Ce chercheur Suédois a su profiter, en 1967, d’un formidable concours de circonstances : le changement de sens de circulation sur les routes de Suède. Les autorités avaient alors dû imposer, dans un premier temps, des limites de vitesse très prudentes (40-60 km/h), avant d’opérer de multiples réajustements à la hausse, puis parfois, à la baisse. En épluchant les statistiques d’accidents avant et après chaque changement, Nilsson découvrit et publia en 1981 une formule empirique aux allures de règle d’or : la variation du nombre d’accidents mortels sur une route donnée évolue en fonction de la variation de la vitesse moyenne du trafic élevée à la puissance 4. Ainsi, toute chose étant égale par ailleurs, une baisse de 1% de cette vitesse moyenne entraîne une diminution de 4% des accidents mortels. Et inversement quand la vitesse du trafic augmente.
M. : quel est l’impact attendu sur la réduction du nombre de morts et de blessés sur nos routes ?
P.L. : les experts estiment que le gain en vies sauvées par l’application de cette mesure au niveau national se situe entre 350 à 400 vies sauvées par an.
M. : qu’en est-il de la situation au niveau européen en matière de limitation à 80km/h ?
P.L. : la Norvège, la Suisse, la Finlande, les Pays-Bas ont déjà adopté le 80km/h comme vitesse maximale autorisée sur ces mêmes réseaux avec des résultats positifs exprimés en vies sauvées.
M. : en dehors de l’accidentabilité, y-a-t-il d’autres impacts attendus par cette mesure ?
P.L. : oui, en matière économique mais également d’environnement. Sur le volet économique, l’insécurité routière coûte 50 milliards d’euros à la Nation, la mesure va sauver jusque 400 vies et épargner des milliers de blessés, mais elle va aussi éviter de gaspiller en vain des milliards d’euros alors qu’ils pourraient servir pour le bien de tous. La mesure devrait conduire à une diminution de la consommation de carburants ; donc à une économie pour le budget des automobilistes mais avec aussi à un impact positif pour l’environnement. Moins de vitesse c’est aussi moins d’émission de gaz à effet de serre.
M. : quelle conséquence sur les déplacements dans le Lot ?
P.L. : l’impact sur le temps de déplacement sera minime. Notre association a ainsi testé le déplacement entre Cahors et Saint Céré, en respectant les limitations actuelles et ensuite en respectant le 80km/h. Sur un trajet d’un peu plus d’une heure, la différence de temps de trajet est seulement de l’ordre de 5 minutes. Les caractéristiques du réseau routier Lotois amènent les conducteurs prudents, sur une grande partie du linéaire, à rouler à une vitesse inférieure à 90 km/h.