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La « veuve » pour l’assassin du train

Mars 1941. Un jeune nomade de 20 ans est condamné à mort pour avoir tué à Souillac un agent des Postes. Il sera guillotiné à Agen au mois d’août.

25 mars 1941. La cour d’assises du Lot réunie à Cahors doit juger un jeune homme de 20 ans. Il est accusé d’avoir tué, pour le voler, un fonctionnaire des Postes. Le butin ? Quelques dizaines de francs et une montre. Les faits se sont produits dans le train reliant Gourdon à Brive. L’auteur présumé est interpellé en gare de Souillac où l’on retrouve aussi le corps de la victime. Les faits ne sont pas contestés hors _ ce n’est pas un détail _ la volonté d’avoir voulu tuer. Reste que le dossier et les rapports des légistes attestent de la violence des coups portés. Mais un élément demeure troublant, des décennies plus tard. L’accusé est mineur. A cette époque en effet, si la majorité civile est fixée à 21 ans, la majorité pénale, elle, l’est dès le 18ème anniversaire. « Le meurtrier était donc pénalement majeur et fut donc renvoyé devant une cour d’assises ordinaire mais c’est bien un mineur civil qui a été guillotiné » note Jean-Michel Armand (*). Alexandre Cocusse, 20 ans, fut exécuté à Agen le 5 août 1941. Les temps n’étaient pas à la clémence, et encore moins à l’encontre des gens de peu, des nomades, des cas sociaux… Le Journal du Lot a relaté le procès dans ses éditions des 26 et 28 mars 1941. « A l’audience de mardi, que préside M. Méric, assisté de MM. Malrieu et Héguy, est venue une affaire de meurtre commis en chemin de fer dans les circonstances suivantes que précise l’acte d’accusation dont lecture est donnée par le greffier. »

Les circonstances du drame

« Le 8 décembre 1940, vers 8 h 30 du soir, comme le train Cahors-Brive était en gare de Cazoulès, Mme Roumagoux, femme du chef de gare, était à sa fenêtre avec Mme Vergnès. Comme le train s’ébranlait pour partir ces deux personnes virent, dans un compartiment éclairé, un homme jeune qui frappait violemment un homme plus âgé, prostré sur la banquette et qui subissait les coups sans réagir. On alerta la gare de Souillac, station suivante, où l’on constata que le compartiment était vide, mais rempli de tâches de sang. Sur les indications du chef de train, M. Faure, qui avait vu, une fois le train arrêté, un individu essayant de se dissimuler, on se mit à sa recherche et on le découvrit dans un wagon, portant des vêtements ensanglantés. »

« Quant au cadavre de la victime, il fut trouvé par les agents de la voie et les gendarmes, le long du chemin de fer, dans le fossé, portant des traces de nombreux coups. C’était le corps de M. Saulières, agent auxiliaire des Postes et Télégraphes. L’individu arrêté est un nommé Alexandre Cocusse, né le 16 novembre 1921 à Marmagnac, près Autun (Saône-et-Loire). Après avoir essayé de faire croire qu’il était étranger au crime, alors qu’il portait sur lui des papiers et des objets volés au mort, il dut finir par avouer. Nomade, il était à Gourdon le 8 décembre, démuni d’argent. Il y vendit des gants et un pardessus neuf, puis se rendit au restaurant Fabre où il rencontra M. Saulières qui allait prendre le train pour Souillac. Après quelques hésitations, il monta dans le même compartiment où les deux voyageurs se trouvaient seuls. »

« Au cours de la conversation qui s’engagea entre eux, et alors que Saulières était assis en face de lui, Cocusse le frappa du poing à la face, puis de son couteau fermé. Saulières étant tombé sur la banquette, Cocusse le frappa à plusieurs reprises à coups de son couteau fermé, puis avec un bâton dont Saulières était porteur, et aurait fini de l’assommer à coups de sabot. Saulières ne bougeant pas, il lui enleva son porte-monnaie contenant 20 francs, son couteau, sa montre, puis, ouvrant la portière, Cocusse jeta sa victime dans le vide. Saulières, qui vivait encore, ayant cherché, dans un dernier sursaut de défense, à s’agripper aux montants de la portière, l’accusé lui martela les mains jusqu’à ce qu’il eut lâché prise. L’examen du corps de Saulières a établi qu’il portait dix plaies faites par une arme tranchante, sans compter celles par des corps contondants. »

« Les renseignements sur Cocusse, le dépeignent comme un individu dangereux, paresseux et menteur. Repris de justice, il a déjà été condamné pour vols et abus de confiance par le tribunal de La Roche-sur-Yon à deux mois de prison. Pour escroquerie, le tribunal de Roanne l’a condamné, par défaut, le 20 septembre 1940, à 1 an et 1 jour de prison. Il est encore recherché par le Parquet de Moulins pour vols. Examiné au point de vue mental, il a été reconnu responsable de ses actes. »

L’interrogatoire

« En fait, il s’agit presque d’un monologue du président, l’accusé se bornant à répondre oui ou non ! Le Président fait l’exposé des divers méfaits commis par Cocusse qui, soit comme fabricant de muselières à boeufs, rétameur, manoeuvre, ouvrier agricole, a beaucoup voyagé. Mais son passage dans les diverses régions de la France était marqué par des méfaits, des vols assez importants pour lesquels il fut condamné à diverses peines de prison. Le 8 décembre, à 15 heures, Cocusse arrive à Gourdon et effectue une tournée dans plusieurs cafés : c’est au café Fabre qu’il rencontra M. Saulières, employé des lignes des P.T.T., avec lequel il lia conversation et prit des apéritifs. Puis, à l’heure du départ du train de Toulouse-Brive, Saulières et Cocusse se rendirent à la gare ; dans le hall, Cocusse rencontra le nommé Delsol, 19 ans, ouvrier boulanger à Anglars. Profitant d’un retard du train, Saulières, Delsol et Cocusse retournèrent au café. Avant de revenir à la gare, Delsol conseilla à Cocusse d’attendre l’express qui le conduirait plus rapidement à Brive. Cocusse déclara qu’il préférait voyager dans le train-omnibus. »

« Pourquoi, lui demande le Président, avez-vous dit que vous préfériez le train-omnibus ? » Cocusse répondit : « Parce que j’avais l’intention de voler le portefeuille de Saulières. » Quand le train arriva en gare de Gourdon, Cocusse et Delsol montèrent dans le même compartiment, tandis que Saulières prenait place dans un autre. Mais, à Anglars, Delsol descendit du train ; alors Cocusse descendit peu après et se rendit dans le compartiment où se trouvait Saulières, tout seul. Et Cocusse déclare : « Saulières était seul. Je me suis assis en face de lui puis, saisissant mon couteau, je lui en portais un coup à la tempe. A la vue du sang, j’étais fou. J’ai sorti mon sabot et j’ai frappé Saulières à la tête. J’étais saoul, j’étais fou. Mais j’affirme que j’avais l’intention de voler Saulières, mais non de le tuer. » M. Méric, président de la Cour, pose à Cocusse la question suivante : « C’est tout ce que vous avez à dire ? » Cocusse répond : « Oui, c’est tout. » Et M. Méric réplique : « Je vous ai posé la question pour savoir si vous exprimeriez des regrets. Maintenant il est trop tard. » L’interrogatoire est terminé. Il est procédé à l’audition des témoins. »

Les témoins

« M. Van Aver Edmond, ancien caporal-chef de la compagnie des travailleurs de Souillac, fit la connaissance de Cocusse au café du Commerce, à Gourdon, et lui acheta son pardessus pour la somme de 400 francs. M. Delsol Jean, 19 ans, ouvrier boulanger à Anglars, a consommé avec l’accusé et a voyagé avec lui jusqu’à Anglars. C’est ce témoin qui dit à Cocusse : « Tu ferais mieux de prendre l’express pour arriver plus tôt à Brive. » Mme Boumégoux, épouse du chef de gare de Cazoulès, décrit la scène qu’elle vit de la fenêtre de son appartement, au passage du train : un voyageur frappant un autre voyageur. Elle s’empressa d’informer son mari de ce qu’elle avait vu. Le président de la Cour et M. Albert, procureur de la République, félicitent vivement Mme Boumégoux du sang-froid dont elle a fait preuve. Mme Vergnes qui se trouvait avec Mme Boumégoux confirme les déclarations de celle-ci. MM. Laugier Fernand, chef de gare à Souillac, et Liauzu, facteur-enregistrant ont été les premiers à aviser la gendarmerie de Souillac et à rechercher le corps de M. Saulières. M. Faure Marcel, 43 ans, chef de train à Montauban, aperçut l’assassin qui se cachait sous un wagon et le conduisit dans le bureau du chef de gare de Souillac. M. Duffau Edmond, maréchal des logis chef à la gendarmerie de Souillac, fait le récit de l’enquête qu’il mena avec une grande habileté. M. le docteur Coulon, médecin-légiste, fit l’autopsie. Il expose ses constatations et souligne la violence et la férocité des coups portés. M. le docteur Mignardot, médecin de l’asile de Leyme, a examiné l’accusé au point de vue mental. Il le reconnaît entièrement responsable. »

Le réquisitoire

« M. Albert, procureur de la Bépublique, prend la parole et dans un réquisitoire impressionnant il expose les faits : « J’ai à faire le procès d’un crime et le procès d’un homme. Y a-t-il place, dans l’affaire d’aujourd’hui, pour une erreur quelconque ? Non. Vous avez la certitude de la culpabilité. Il faut la sanctionner. » Et M. Albert, après avoir retracé la vie de Cocusse, nomade, voleur, aborde le drame du 8 décembre dont il fait un saisissant tableau. Puis, faisant le parallèle entre l’assassin et la victime, il montre Cocusse, issu d’une famille errante, coupable de nombreux vols, d’abus de confiance, d’escroqueries. Et en regard M. Albert brosse le portrait de M. Saulières. Saulières était un laborieux, bien noté de ses chefs, ami de ses collègues. Pendant la guerre de 1914-1918 il avait fait bravement son devoir et avait été blessé. Il fait un tableau de la scène horrible qui eut lieu dans le compartiment du train et termine en demandant au jury d’être sans pitié pour l’assassin : « J’ai demandé la tête de Cocusse. Je m’en tiens là. Il n’y a aucun motif de pitié, je réclame justice. »

La plaidoirie de la défense

« Cet éloquent réquisitoire produit sur le nombreux public une vive impression. Me Henri Autefage présente la défense de l’accusé. « Vous avez entendu les paroles de M. le Procureur de la République, qui réclamait la peine de mort, pourtant c’est la pitié que je viens vous  demander. » Il fait l’exposé au jury de la vie de Cocusse. Dès son jeune âge, Cocusse, martyrisé par son père, livré à des exemples déplorables, scandaleux, vivait de rapines. Dans ce milieu, quel sentiment moral aurait-il pu puiser ? Et Me Autefage, avec éloquence, supplie le jury de répondre « non » à la question de préméditation et d’accorder les circonstances atténuantes. La plaidoirie est terminée. Le président demande à Cocusse s’il n’a rien à déclarer : « Je regrette beaucoup d’avoir fait cela. Je ne voulais pas le tuer, mais le voler. »

Le verdict

« Après une courte délibération, le jury rentre en audience et le chef du jury donne lecture du verdict. Le verdict est affirmatif sur les questions de culpabilité, d’assassinat et de vols qualifiés ainsi que sur les circonstances aggravantes. Il est muet sur les circonstances atténuantes. C’est la peine de mort. Le public qui se presse dans la salle d’audience est vivement impressionné. L’audience est suspendue. L’arrêt précise qu’en vertu d’un décret de 1939 l’exécution aura lieu dans l’enceinte de la prison d’Agen, siège de la Cour d’Appel. L’audience est levée : Cocusse, tête basse, mais sans émotion visible, suit les gendarmes qui vont le ramener à la prison. Recours en grâce._ A la demande de Me Autefage, dont la tâche fut rude mais dont la belle plaidoirie fit vive impression sur l’auditoire, le jury, à l’issue de l’audience, a signé un recours en grâce. » Ce dernier fut rejeté. Cocusse fut donc exécuté à Agen quelques mois plus tard. Neuf mois après son crime.

(*)  Jean-Michel Armand a été formateur au Centre de ressources sur l’histoire des crimes et des peines (CRHCP) à l’École nationale d’administration pénitentiaire située à Agen. Auteur de plusieurs ouvrages, il évoque l’affaire Cocusse dans Le Lien, Bulletin d’histoire judiciaire et pénitentiaire du Lot-et-Garonne (n°9, 2021).

Autres sources : Collection du site Gallica-BNF.

Illustration : Dernière exécution publique en France (à Versailles) en 1939. Cocusse lui fut guillotiné dans la cour de la prison, devant les seuls magistrats et fonctionnaires autorisés.

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