Kira et les roses de Monsieur Pierre
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
« Pas d’allusions en forme de petites vacheries politiques en ce week-end électoral : alors que la France vote, quelques heures seulement après le drame des Champs- Élysées, ma petite protégée féline Kira est d’accord avec moi pour observer une trêve. Une courte promenade dans notre modeste jardin nous a permis du reste d’observer les premiers signes de floraison de nos deux rosiers, ce qui nous a réchauffé l’âme, le cœur et le corps… Le premier est un grimpant positionné près du mur où prend déjà ses aises un plant de chasselas, et il porte le nom de Pierre de Ronsard. Ses fleurs sont blanches. Le second s’appelle Léo Ferré, et ses roses ont une teinte d’un rouge-orangé flamboyant. Affaire de hasard : lorsque j’ai acheté les jeunes pieds, c’est à la caisse seulement du magasin que j’ai déchiffré les étiquettes et constaté que ces deux rosiers versaient dans la poésie. Autre coïncidence : Ronsard fut un des héritiers de Clément Marot, le Cadurcien, et Ferré, comme chacun le sait ici, vécut dans le Lot dans les années 1960.
J’ai lu à Kira quelques extraits de Ronsard et de Ferré. Les chats sont des êtres sensibles, et pas seulement parce que la loi le dit… Ainsi, quand j’ai commencé la Complainte de Rutebeuf que Ferré mit si joliment en musique, j’ai pu distinguer quelques petites larmes dans le regard embué de ma belle féline.
Que sont mes amis devenus Que j’avais de si près tenus Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés Je crois le vent les a ôtés L’amour est morte
Ce sont amis que vent me porte Et il ventait devant ma porte Les emporta…
Sans doute ma petite protégée avait en tête les beaux portraits hommages rédigés par Pierre Bénichou, des nécrologies qui n’en sont pas vraiment, mais de vrais petits bijoux de littérature publiés dans Le Nouvel Observateur quand il en était l’un des patrons, des textes écrits rapidement cependant, sous le coup de l’émotion, à la mort de célébrités avec lesquelles il était ami, ou pas, mais qu’il appréciait. L’un d’eux est consacré à Ferré, justement. Certains de ces textes les plus justes et les plus poignants sont réunis dans un recueil chez Grasset, « Les absents, levez le doigt ! ». Où comment l’actuel pensionnaire des Grosses Têtes sur RTL se révèle un poète lui aussi, un noctambule à la plume aussi noire et aiguisée que parfois les griffes d’un chat ou celles de l’âme quand le deuil la frappe. Mais c’est le printemps. Il y a la vie qui continue, il y a les fleurs qui sourient de nouveau, il y a le parfum des lilas. Votez pour qui vous voudrez. Kira et moi, on reviendra dans quelques jours vous dire ce qu’on pense des résultats. »