Kira et les femmes de lettres
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
« Semaine sous le sceau de la mauvaise humeur pour ma protégée Kira. Voilà que d’abord, ma chère tigresse domestique a regretté amèrement ne point avoir reçu de carton de Buckingham Palace pour assister aux épousailles du Prince Harry avec Meghan Markle. « Ces Anglais n’ont décidément aucune éducation » a-t-elle maugréé. Ce qui ne l’empêchera pas de se coller devant le poste pour ne rien manquer du spectacle. Comme tant de Français, rien ne fascine davantage cette républicaine convaincue que les fastes et rituels de la monarchie…
Ensuite, au lendemain du revers marseillais en finale de la coupe d’Europe, c’est à Didier Deschamps que s’en est pris ma belle féline. « Crois-tu qu’il m’aurait passé un coup de fil pour me demander mon avis ? Que nenni. Qu’il ne vienne pas se plaindre si le ballon bleu ne roule pas rond cet été en Russie » a-t-elle sèchement conclu. Je n’ai évidemment rien dit. Mais j’aimerais savoir quel(s) joueur(s) aurait préféré voir Kira. Sur ce, hier, c’est en écoutant la radio que ma belle s’est emportée. En apprenant que Simone de Beauvoir entrait dans La Pléiade, je l’ai clairement vu froncer les sourcils… « Pourquoi, tu ne la juges pas digne de cet honneur posthume ? » ai-je lancé. « Bien sûr que si. Mais ce qui me scandalise, c’est que la collection éditée par Gallimard va compter avec elle 15 femmes… pour plus de 200 hommes ! » Pour votre gouverne, chers lecteurs internautes, sachez que le Panthéon de la Pléiade n’avait jusqu’alors admis que Madame de Sévigné, George Sand, Marguerite Yourcenar, Colette, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Madame de Lafayette, Jane Austen, les sœurs Brontë, Virginia Woolf et Thérèse d’Avila. J’ai convenu à mon tour que c’était bien peu. Et très injuste.
Alors, avec Kira, nous avons envoyé un courrier aux responsables de la collection. Et nous avons plaidé la cause de Françoise Sagan. Son œuvre est à tort considérée comme légère, parfois, par l’intelligentsia. Et surtout, par ses écrits comme par sa vie, l’auteur de Bonjour Tristesse a parfaitement contribué à l’essor du féminisme. Son apparente insouciance cachait une vraie gravité, voire une mélancolie touchante. Sa liberté en étendard, Sagan, fût-ce parfois au volant d’une Maserati, conjugua talent et modernité, dans un style vif, oscillant entre flamboyantes et rêveries douces-amères. « Et puis surtout, Françoise Sagan était lotoise » a tranché Kira. Argument imparable. Celle qui passait ses étés à Cajarc où elle est née et où elle repose (plus exactement à Seuzac, où ses admirateurs restent nombreux à lui rendre hommage depuis 2004) avait le don de la formule. On vous laisse avec celle-ci : « Mon passe-temps favori, c’est laisser passer le temps, avoir du temps, prendre son temps, perdre son temps, vivre à contretemps. » Vous comprenez qu’avec Kira, on la partage pleinement… »