Kira et la saison du blanc
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
« « C’était bien la peine… » L’aînée de mes deux protégées félines, Abysse, n’a pas caché sa mauvaise humeur en apprenant qu’une vague de froid était attendue dans le pays et n’allait pas épargner le Lot dans les jours qui viennent, avec qui sait quelques flocons au passage. « Oui, c’était bien la peine de quitter les Ardennes pour l’Occitanie… » Ses poils aussi noirs que la neige peut être d’un blanc immaculé, Abysse est comme son maître.
Quand nous habitions le pays de Rimbaud, rien ne nous paralysait davantage que de découvrir, certains matins d’hiver, que dix à vingt centimètres de neige étaient tombés dans la nuit. Il fallait alors s’armer de patience… et d’une bonne pelle pour dégager le chemin jusqu’à la voiture. Et ensuite, c’était une véritable gageure que de se rendre au boulot, évitant les poids-lourds en portefeuille ou devant dépasser des automobilistes hébétés bien qu’au volant de très imposants 4X4. Quant à Abysse, sa petite promenade matinale était réduite à sa plus simple expression. Elle avait une façon de marcher dans la neige qui évoquait les échassiers sur une plage quand une vague vient effleurer leurs « pieds » : c’était un ballet surréaliste, chaque geste était décomposé, et la mine aussi renfrognée que ses pattes étaient gelées, la pauvre chatte avait vite fait de regagner ses pénates, au chaud, près de la cheminée.
Cependant, foi d’Ardennais exilé volontairement sur les rives du Lot, on s’habitue à tout, même à la neige, même à ces immenses étendues blanches qui semblent tétaniser tout un paysage, le figer dans une spectrale torpeur. Le plus pénible, c’était la fin. Quand la neige est sale (selon les mots de Simenon), quand le redoux la transforme en mélasse informe, quand on patauge dans une sorte de substance qui n’a plus rien de virginale et de ouatée. Quand la boue glacée a pris le dessus. Nous évoquions ces souvenirs avec Abysse quand sa petite sœur Kira, née dans le Quercy en 2016, s’est manifestée. Très étonnée. « Mais moi, je n’attends que ça, la neige. Vous êtes des pleutres. Moi, dès les premiers flocons, j’irai me balader. J’irai profiter de cet environnement particulier. D’ailleurs, j’ai déjà préparé mes raquettes… » On l’a regardée, avec Abysse. Et on a éclaté de rire. On n’a pas pu résister. La pauvre Kira. Elle a avait tout simplement aligné des raquettes de ping-pong à côté de son coussin. Sur ce, soyez prudents. Moi encore, j’ai l’habitude. Mais vous… »