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Il y a 80 ans, la foule à Cahors pour les obsèques de son héros


Lundi 18 décembre 1944. Toute une ville rend hommage à Jean-Jacques Chapou qui est mort en héros durant l’été. Devant le lycée Gambetta où il enseigna, le discours est particulièrement émouvant.

Natif de Montcuq, c’est à Cahors qu’il enseigna avant d’entrer en résistance. Mort le 16 juillet 1944 alors qu’il venait d’arriver dans la Creuse pour prendre le commandement inter-régional des FTP (Francs-tireurs et partisans), Jean- Jacques Chapou – souvent simplement prénommé Jacques et désigné « Capitaine Philippe » dans la clandestinité – (1909-1944) est honoré cinq mois plus tard dans « sa » ville. La biographie détaillée de cette figure emblématique de la résistance lotoise est notamment accessible sur le site de référence du Maitron en ligne. Mais voici des articles d’époque.

Le premier est paru dans « Liberté », organe du Front national du Lot (et premier titre à paraître et à être diffusé largement aussitôt la libération de Cahors), en date du 23 décembre 1944. Le titre barre la une : « Obsèques de Jacques Chapou. Le 18 décembre 1944, Jacques Chapou, mort pour la France, a été conduit à sa dernière demeure par une grande foule. » L’article se veut un compte rendu factuel mais le ton est évidemment ému et émouvant… « Une voilure couverte de fleurs précédait sa dépouille. De jeunes hommes, portant des casques et des armes, étaient aux côtés de Jacques et puis, sa femme, ses enfants, et puis tous ses amis, les Francs Tireurs Partisans français et les braves paysans du Causse venus nombreux pour exprimer leur douleur et leur gratitude. Et puis de nombreuses personnalités : M. le Préfet du Lot, le Général inspecteur d’armée Conquet, le Lieutenant-Colonel Georges, le Lieutenant- Colonel Antoine, le Commandant Gaston, M. le Sous-Préfet de Figeac, les représentants du C.D.L. et des mouvements et partis de la résistance. »

Il ménageait ses hommes, ne se ménageait jamais

« L’ancien état-major F.T.P.F. de la Corrèze était également présent avec une délégation de soldats rendant les honneurs. Le tout n’était qu’une grande famille, les yeux pleins de larmes, et ce n’était pas une cérémonie officielle, c’étaient des centaines d’hommes et de femmes qui auraient désiré, jusqu’à la tombe, accompagner Chapou en le tenant par la main. Chapou avait été d’une exceptionnelle chaleur toute sa vie ; d’une loyauté et d’un courage inégalables. Et d’une grande humilité. Il ménageait ses hommes, ne se ménageait jamais. C’est à des hommes comme Jacques Chapou que notre France doit son relèvement, et tous ceux, les yeux, gros de toute leur peine qui suivaient son corps, considérant le drapeau qui le recouvrait, savaient qu’un des plus beaux fragments de notre France nous avait été arraché. »

« Le Commandant Collignon, commandant la subdivision, décerna à Jacques Chapou la croix de la Légion d’honneur et la croix de Guerre. M. le Proviseur du Lycée de Cahors retraça l’enfance studieuse de Chapou. M. le maire de Cahors parla de sa famille où il put trouver l’exemple du devoir et de la loyauté. Jean Marcenac, au nom du parti communiste, parla du Français clairvoyant et actif que fut Jacques Chapou. Enfin, le Colonel Antoine parla de l’action résistante de Philippe en retraçant l’histoire de cette lutte héroïque que nous connaissons bien, mais qu’il convient de rappeler fréquemment à notre mémoire afin d’y ranimer notre foi, notre courage et surtout ce désir de justice et de vengeance qui brûle en nous. »

Jacques Chapou, notre collègue et notre ami

Le même jour, c’est-à-dire le 23 décembre 1944, dans « Le Lot républicain », organe du Mouvement de libération nationale, le titre se veut aussi puissant. « CAHORS fait à Jacques Chapou des obsèques solennelles. Une foule immense et digne rend un suprême hommage à l’un des premiers résistants du Lot, au fondateur dans le Département du Mouvement Libération ». Le journal reproduit ensuite le discours de M. Saissac, Proviseur du Lycée Gambetta (prononcé devant l’établissement, diffusé par haut-parleur, avant le départ du cortège) dans lequel, à plusieurs reprises, on distingue quelques formules qui ne sont pas loin de celles de Malraux, prononcées bien plus tard, lors de la panthéonisation de Jean Moulin… Il n’est pas vain, nous semble-t-il, de reprendre in extenso ce texte comme l’avait fait alors « Le Lot républicain »…

« Quand, vers la fin de juillet dernier, parvint au Lycée la nouvelle de la mort de Jacques Chapou, nous refusâmes d’y croire, tant nous voulions qu’il revint nous retrouver dans cette maison qui était restée la sienne et qui n’avait pas cessé de l’attendre. Et voici que, depuis deux jours, son cercueil, recouvert de drapeaux, y fait une dernière halte, et qu’une foule innombrable vient lui apporter l’hommage de sa piété, de ses regrets et de son admiration. »

« Au milieu d’elle, je viens, au nom du Lycée Gambetta, m’associer à cet hommage, m’incliner devant l’immense douleur de sa compagne, envoyer à sa mère, pitoyable victime de la barbarie allemande, une pensée respectueuse et attendrie, et je viens aussi rappeler ce que fut et demeure pour nous Jacques Chapou, notre collègue et notre ami. »

« Jacques Chapou, c’est d’abord pour nous le bel adolescent qui entre au Lycée Gambetta en rhétorique, qui en sort bachelier de philosophie en 1928, laissant le souvenir d’un très bon élève, d’un sportif accompli, d’une âme droite et rayonnante. Il quitte Cahors pour Toulouse où il entre au Lycée en première supérieure, passe ensuite à la Faculté où il prépare la licence ès-lettres classiques. En 1931, il entre dans l‘Université en qualité de maître d’internat et débute à Castres ; en 1932, il est nommé à Montauban, en 1935 à Cahors ; en octobre 1936, il devient professeur adjoint au Lycée Gambetta. De la manière dont il remplit ces délicates fonctions, aussi bien en étude qu’en classe, ses élèves, ses collègues, ses chefs ont gardé un souvenir précis : il fut un maître pour qui la tâche quotidienne doit être remplie pleinement, avec cette conscience, avec cette continuité, qui sont la marque de la valeur professionnelle. Il suivait de très près le travail de ses élèves dont il avait l’estime et la confiance ; il s’intéressait à leurs progrès, à leurs succès, à toute leur vie scolaire, et le franc regard de ses yeux clairs, sa parole amicale, son bon sourire ont, plus d’une fois, ramené la joie dans une jeune âme solitaire et attristée. Ses collègues l’avaient choisi pour les représenter au Syndicat et nous savons qu’il les défendit avec éloquence et avec ardeur. La guerre de 1939 l’enleva à ses fonctions et, jusqu’à l’armistice, il fit son devoir sur le Front des Alpes. »

Il partit la tête haute vers son nouveau destin

« Ici, nous l’aimions tous et tous nous fûmes profondément affectés par la révocation qui le frappa en novembre 1941 comme officier de la F.M. Cette âme droite et sensible fut profondément blessée par cette iniquité. Il aurait pu _ n’ayant jamais exercé ses fonctions _ évité cette mesure, ou, plus tard, obtenir sa réintégration ; mais, ce franc-maçon, fidèle à son idéal philosophique, cet universitaire pour qui les valeurs spirituelles et morales avaient la prééminence sur toutes les autres, ne voulut jamais pactiser avec le mensonge et la servilité. Il partit la tête haute vers son nouveau destin. »

« On sait ce qu’il devint : tout en travaillant durement dans les services des transports, il organisa la résistance dans le Quercy puis passa au maquis en juillet 1943. Ce que fut dans la Résistance le capitaine Philippe, ce qu’il fut comme organisateur, comme chef, ce que furent ses combats, ses victoires, sa mort héroïque, ses camarades de combat nous l’ont dit et l’histoire le répétera. »

« Sur la plaque de marbre qui, près de celle où s’inscrit le nom du Proviseur Yviquel, perpétuera dans notre maison son souvenir, les générations d’élèves liront ceci : A la mémoire de Jacques CHAPOU / Professeur-adjoint au Lycée / Capitaine aux F.I.I. / Mort pour la France / le 16 juillet 1944 »

La mort préférée à l’esclavage

« Tous les jours, nous offrons en modèle à nos élèves ceux qui ont vécu et sont morts pour un grand idéal, car, selon la parole de Renan, « pour obtenir des hommes le simple devoir, il faut leur montrer l’exemple de ceux qui le dépassent ». La vie de Jacques Chapou, professeur du Lycée, héros de la Résistance, leur camarade et leur frère, sera pour nos enfants une de ces vies exemplaires. Elle leur enseignera la droiture d’abord, la probité intellectuelle, le courage de soutenir ses opinions sans compromission et sans faiblesse. »

« Elle leur dira ensuite la beauté du désintéressement et de cet idéalisme qui, dans l’oubli total de soi-même, sert ce qui dépasse l’individu : la profession, la patrie. Puis, elle fera briller à leurs yeux l’éclat des vertus énergiques qui font les organisateurs et les chefs. Elle leur fera sentir la joie exaltante du dévouement et du combat, celle qui arrachait à Chapou, à l’aube de la libération, ce cri magnifique : « C’est trop beau, je ne voudrais pas mourir ». Enfin, elle brillera à leurs yeux d’une beauté suprême dans le sanglant sacrifice du 16 juillet, dans la stoïque option pour la mort préférée à l’esclavage. »

« Jacques Chapou, adieu. Mort, vous continuerez à vivre dans notre Lycée, absent, à agir sur l’âme de nos fils. Puisse cette jeunesse, qui grandit sur la terre quercynoise, sur l’âpre terre des calcaires et des chênes, où depuis le temps de Luctérius et César, on sait mourir pour la liberté, puisse cette jeunesse, pour qui vous êtes mort, rester digne de ses héros. »

Sources : Site Gallica BNF.

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