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Il tue sa femme à Prayssac : « Mieux valait divorcer », suggère un magistrat 


Février 1887. « Un mauvais mari » qui a assassiné sa femme est condamné aux assises. La presse s’étonne que le procureur ait fait « l’apologie du divorce » durant les débats…

Mardi 15 février 1887. Le Clairon du Lot, qui se présente comme un « journal monarchiste, paraissant tous les jours, excepté le dimanche » (il se dira plus tard simplement « journal conservateur quotidien ») rend compte des derniers dossiers de la session de la cour d’assises qui s’est achevée en fin de semaine.

En l’occurrence, les jurés ont eu à examiner un assassinat qui s’est produit quelques mois plus tôt, en septembre 1886, dans la bonne et pourtant d’ordinaire si tranquille bourgade de Prayssac. Il s’agit d’un féminicide, comme on ne le dit pas encore. Et comme le veut l’usage, l’audience débute par la lecture de l’acte d’accusation dont voici la teneur. On note que le style est presque littéraire et que certaines formules (comme de dire de la victime qu’elle était « douce et affectueuse ») ne sont plus de mise désormais, en tout cas dans cet acte de procédure. 

« Le nommé S. (Auguste), âgé de 32 ans, ex-limonadier à Prayssac, en ce moment détenu dans la maison d’arrêt de Cahors, est accusé d’assassinat. Il avait épousé, au mois de juin 1880, une jeune fille bonne, douce et affectueuse, Marie-Louise L (*). Il ne tarda pas à se montrer, vis-à-vis de sa femme, un mauvais mari, en donnant libre cours à sa paresse et sa brutalité. A Bordeaux où il entraîna cette malheureuse, il la battait, alors que pour le faire vivre, elle était devenue femme de service, et il passait hors du domicile conjugal la plus grande partie de la nuit, dans une société où il avait contracté une maladie vénérienne. De retour à Prayssac, l’accusé ne tarda pas à y louer un café : mais, comme ailleurs, ses goûts dissipateurs reprirent le dessus, et la nécessité d’une séparation de biens entre les époux s’imposa. Le 1er décembre 1885, le tribunal civil de Cahors la prononça au profit de la femme, et quelques mois plus tard, en mai 1886, le mari, Auguste S., se décida à aller chercher fortune en Tunisie, puis en Algérie. » 

« Il en revint en septembre, et le 26 de ce mois, il arrivait à Prayssac. Son premier mot, en voyant son père, fut : « Je viens pour tuer ma femme. Je veux lui f… deux coups de fusil. » Et le 30 septembre, il exécuta son projet. Dans la matinée de ce jour, vers 7 heures et demie, il emprunta, pour une heure au plus, un fusil Lefaucheux, au sieur B., et partit pour le Monteil, où habitait Marie L., avec le ferme dessein de la tuer. Il la rencontra bientôt sur la route, lui reprocha injustement de l’avoir trompé, et brusquement abattit dans ses deux mains le fusil qu’il portait en bandoulière. La femme L., qui accompagnait sa fille, vit qu’elle était en danger de mort. C’est pourquoi, afin de le paralyser dans les mains de son gendre, elle saisit le fusil par la bretelle. Renversée par S., elle se cramponna à cette bretelle et se laissa traîner un moment à terre, ne lâchant prise que quand l’accusé lui eut labouré et déchiré les doigts avec ses ongles. » 

« Alors, S. eut sa femme à sa merci. Elle voulut fuir, mais il la poursuivit en la visant, et, après lui avoir tiré à quelques pas un premier coup de fusil, il lui brisa le crâne d’un second coup tiré à bout portant, et l’étendit raide morte dans le fossé de la route. Tel est le crime dont Auguste S. doit répondre. Il l’a longtemps prémédité et l’a commis sans raison. Par lui, sa femme avait, sa vie durant, souffert un dur martyre, et c’est encore par lui qu’elle a été lâchement assassinée. En conséquence, le nommé S., Auguste, est accusé d’avoir, sur le territoire de la commune de Prayssac, le 30 septembre 1886, volontairement commis un homicide sur la personne de Marie-Louise L., son épouse. Et ce, avec préméditation. » 

Les débats débutent ensuite. L’accusé nie les défauts qu’on lui impute, dément avoir mené une vie légère, ou avoir été un époux violent. Il explique avoir toujours souhaité gagner sa vie honnêtement. La dureté de certains métiers, le manque de chance ou la morosité du climat économique l’ont empêché de rencontrer le succès. Il prétend que parti en Afrique du Nord, c’est par désir de revoir les siens, qui lui manquaient, qu’il est revenu dans le Lot. Il affirme enfin, pour expliquer son départ en Afrique : « J’avais des soupçons sur la conduite de ma femme. Il me répugnait de les éclaircir, j’avais peur d’apprendre une triste vérité. J’ai préféré partir. » L’accusé se justifie ensuite : s’il s’est muni d’un fusil, c’est parce qu’il craignait le père de son épouse. Auparavant, il avait trouvé une lettre que celle-ci devait envoyer à un certain monsieur T. Elle se terminait par : « Je vous embrasse ». Bref, quand il est parti à sa rencontre, c’était pour avoir des explications. Et puis… « Furieux je saisis mon fusil, et vous savez le reste ; c’est dans un moment de désespoir et sans réfléchir que j’ai fait feu. » 

L’audition d’une vingtaine de témoins n’apporte finalement que peu d’éléments supplémentaires. Pour la plupart, ils confirment ce qui est dit de l’homme dans l’acte d’accusation, et ils décrivent la victime comme honnête. La liaison qu’on lui prête est démentie. Vient alors le temps des réquisitions. Et à ce moment, le rédacteur du Clairon du Lot ne cache pas son désarroi vis-à-vis du Procureur de la République. « Comme les précédents, ce réquisitoire n’est pas dépourvu d’éloquence ni d’habileté : mais il est émaillé de ci de là de théories plus ou moins subversives qui sont en parfaite concordance avec les doctrines du jour. Et nous sommes surpris qu’avec son talent et les idées qu’il professe, M. Many n’ait pas déjà reçu la place qu’il mérite dans les rangs de la magistrature des nouvelles couches. Sa place est dans une cour d’appel, et là, plus utilement qu’ici, il pourrait faire, comme aujourd’hui, l’apologie du divorce… » 

En effet, selon notre vénérable confrère d’alors, le magistrat a certes « flétri le meurtre qu’a commis S., mais il lui a indiqué le moyen qu’il aurait pu employer pour éviter d’en venir là. Ce moyen, il aurait pu le trouver dans la « loi honnête et bienfaisante du divorce ». Oui, c’est là le conseil que M. Many adonné aux malheureux qui se trouveront dans le même cas que le meurtrier d’aujourd’hui ; c’est la ressource « honnête et bienfaisante » qu’il leur indique. Et c’est ce même homme qui, hier, dans son réquisitoire et pour les besoins de sa cause, essayait d’impressionner le jury en parlant de la gravité des serments « prêtés devant le Christ ». Voyez-vous ce moraliste à double face qui fait appel au Christ et conseille le divorce ? Morale commode qui se plie à toutes les nécessités selon les situations ! Si vous avez foi au Christ vous ne croyez pas vous-même à vos propres paroles quand vous dites que la loi du divorce est, honnête et bienfaisante. Si vous admettez le divorce, vous insultez au Christ en montrant tout à la fois le peu de consistance de vos convictions, quand vous en appelez des serments prêtés devant le crucifix. Odieux farceurs que ceux qui se livrent à l’exploitation de toutes les convictions, montrant ainsi qu’ils n’en n’ont aucune! » 

Après cet étonnant morceau de bravoure (mais nous sommes rappelons-le en 1887…), le journaliste reprend le fil des débats et donc de son article. « Mais nous savons que les appréciations de la presse sont sans effet sur l’esprit de M. le Procureur de la République… Me Bourdin a présenté en termes éloquents la défense de l’accusé. Il a montré le mari outragé qui croit trouver des preuves de la culpabilité de son épouse et qui, affolé, sans réflexion et en proie au désespoir se fait le justicier de son honneur. Il a trouvé de chaleureux accents pour établir l’irresponsabilité de son client. Il avait contre lui les mauvais antécédents de S. et les nombreux témoignages de sa brutalité à l’égard de sa femme. Le jury rapporte un verdict affirmatif sur les deux questions de culpabilité de meurtre et de préméditation, avec admission des circonstances atténuantes. En conséquence, la Cour condamne S. à la peine de 20 ans de travaux forcés. » 

Ph.M. 

(*) Par égard pour les éventuels descendants, nous avons choisi de ne pas mentionner les patronymes. 

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