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Georges Duveau, le prof du lycée Gambetta devenu un géant de la sociologie historique

Tour à tour éditeur, journaliste, enseignant puis chercheur et universitaire, ce Pic de la Mirandole du XXème siècle, originaire de Lauzès, fut aussi résistant.

Bien avant que son fondateur, André Breton, ne choisisse d’y venir chaque été y séjourner à Saint-Cirq-Lapopie, le Quercy avait connaissance du surréalisme. Un de ses ambassadeurs monté à Paris publiait en effet dans le Journal du Lot des chroniques où il faisait allusion régulièrement dans les années 1920 et 1930 à l’avant-garde littéraire et artistique. Georges Duveau avait la plume alerte et ne négligeait aucun public. Esprit curieux, dans le plus noble sens du terme, s’intéressant aux poètes et écrivains de son temps comme aux grandes figures du XIXème siècle, né en Corrèze mais fidèle aux racines familiales (il est du reste inhumé à Lauzès où il conserva la maison de ses parents), l’homme effectua des centaines de fois le trajet Cahors-Paris et retour.

Il n’a que 18 ans quand il fonde en 1921 dans la capitale la revue « L’Œuf dur », à laquelle collaborent de jeunes ou moins jeunes écrivains et poètes à l’aube de leur gloire, comme Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Louis Aragon ou Philippe Soupault. Il poursuit en parallèle ses études, pige comme journaliste pour Paris-Soir puis en 1927, un premier tournant est négocié. Parait son livre sans doute le plus personnel, « Le testament romantique », présenté comme « L’Éducation sentimentale » de l’époque », et dans le même temps, il s’établit à Cahors. Durant quatre années scolaires, le voilà enseignant les lettres classiques au lycée Gambetta.

Mais ce Pic de la Mirandole du XXème siècle ne tient pas en place. Tout en fondant une nouvelle revue éditée dans le Lot, « Le Mat de Cocagne », il replonge dans les études et reprend la direction de Paris comme celle de ses recherches en 1931. Il s’intéresse au mouvement ouvrier du XIXème siècle, à la révolution de 1848 comme à l’histoire des premiers enseignants que l’on nommera, plus tard, les Hussards de la République. Par ailleurs, le Lotois voyage beaucoup et fréquente les intellectuels qui fondent « Esprit » autour de Mounier. Enfin, il fait partie des pionniers du CNRS qui est créé officiellement juste avant la Seconde guerre.

Revenu à Lauzès, il rejoint le maquis et dès 1944, il soutient deux thèses majeures, tant sur le plan de la sociologie que de l’histoire : « La Vie ouvrière sous le Second Empire en France » et « La Pensée ouvrière sur l’éducation pendant la Seconde République et le Second Empire ». Décoré de la Légion d’Honneur, il enseigne ensuite à Strasbourg, comme maître de conférence puis professeur à la faculté des lettres et à l’Institut d’études politiques.

Cofondateur du célèbre Maitron et visionnaire

Georges Duveau décède prématurément en 1958. De nombreux hommages lui sont alors rendus. Alors que ses ouvrages sont disponibles au Seuil ou chez Gallimard, des notices biographiques lui sont également consacrées : l’une d’elles figure sur le Maitron en ligne, version numérique du célèbre dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Juste retour des choses : l’ancien prof de Cahors fut un ami de Jean Maitron, avec lequel il jeta les bases de cette entreprise scientifique et historiographique singulière et si précieuse…

Enfin, et c’est évidemment là encore le sceau propre aux grands intellectuels qui gardent un regard lucide sur leur temps, Georges Duveau fut un visionnaire. Il avait vu le monstre du nazisme prendre ses aises et menacer l’Europe. Comme on le constate dans ce compte rendu d’une conférence donnée à Cahors par cet ancien « pigiste de luxe », publié le 21 décembre 1938 dans le Journal du Lot… « Dans la conférence que M. Georges Duveau a donnée la semaine dernière sous les auspices de la « Fédération des Œuvres Laïques », il a présenté de l’Allemagne un tableau qui confirme ce que nous avons toujours
dit ici même. « L’Allemagne que j’ai vue ! » Rien que par le titre on était prévenu que le sujet n’était ni léger ni bouffon, qu’il ne s’agissait ni d’un sketch à la Sacha Guitry ni d’une pochade à la Fernandel. Le conférencier n’avait  pas pour but d’amuser le public, mais de soumettre à sa méditation le terrible problème où se trouve engagé l’avenir de la France et aussi le sort
de la grande cause latine que l’Italie a lâchement désertée. Car c’est la vieille lutte entre la Barbarie nordique et la civilisation méditerranéenne qui a recommencé sous des formes modernes. Le Germanisme prétend de nouveau à la domination et à la direction de l’Europe. »

« Et l’hitlérisme n’est pas seulement un système politique. C’est une espèce de religion qui tend à se substituer dans l’âme germanique à la religion chrétienne et à ramener l’homme allemand aux divinités nationales. Cela explique pourquoi Wagner, qui a si magnifiquement ressuscité les dieux du Walhalla, est l’objet d’une telle vénération dans le pays d’Hitler où Siegfried est devenu le héros national et comme le symbole de la Germanie qui ne peut être vaincue que par trahison…  Après un voyage d’études, Georges Duveau en a rapporté une abondante moisson d’observations et de choses vues. Nombreuses et diverses, prises dans tous les milieux, elles se confirment l’une par l’autre et contribuent à la même impression d’ensemble, à savoir qu’on monte en Allemagne une formidable mécanique de force. Sous la main du terrible forgeron, Hitler, ce peuple est soumis à un véritable « dressage » de l’esprit et du corps qui tend, sur l’abolition des consciences individuelles, à créer une grandeur et une puissance collectives. Si l’on cherche à définir les caractères originaux des Germains, à travers leur histoire on voit qu’ils sont en perpétuelle inquiétude et dans un état constant d’efforts pour sortir de chez eux et changer leur sort. Tels ils sont encore : instables et par conséquent insatiables. En exaltant le peuple allemand, le national-socialisme n’a fait qu’accentuer ces caractères. Et l’inquiétude de cette race, cherchant un équilibre en dehors des conceptions traditionnelles de la civilisation latine, a pris la forme monstrueuse de l’Etat totalitaire et constitue une constante menace contre cette civilisation. D’où cette conclusion sur laquelle Georges Duveau a vigoureusement insisté. C’est une grave erreur de croire qu’on éludera cette menace en multipliant les concessions au Reich. L’Allemagne, plus que jamais, ne croit qu’à la force et n’a d’estime que pour les peuples forts. Le public qui avait suivi avec une attention passionnée ces développements prouva par ses longs applaudissements qu’il avait bien compris la leçon. »

Ph.M.

Sources : Archives nationales, site Gallica BNF, Dictionnaire Maitron en ligne. Illustration : portrait croqué en 1927 (DR).

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