Décès de Morgan Keane : 6 mois de prison ferme requis contre le tireur et le directeur de la battue
Le poignant procès s’est déroulé ce jeudi 17 novembre au tribunal correctionnel de Cahors. Deux chasseurs étaient accusés d’homicide involontaire.
C’était un jeudi pas comme les autres au tribunal de Cahors. Bien avant 8 h, il y avait déjà foule devant le palais de justice. Il faut dire que l’affaire d’homicide involontaire qui y était jugée suscite émotion et médiatisation depuis maintenant deux ans. Pour rappel, le 2 décembre 2020, à Calvignac, Morgan Keane, un jeune homme de 25 ans, avait été mortellement touché par le tir d’un chasseur alors qu’il coupait du bois chez lui. Son décès avait notamment poussé ses amies d’enfance à créer le collectif Un jour, un chasseur qui réclame une meilleure sécurisation de la chasse. Ce jeudi 17 novembre, elles entouraient Rowan, le frère orphelin de Morgan Keane, tandis que l’auteur du tir mortel, JF, et le directeur de la battue étaient tous deux sur le banc des accusés. Si l’implication du premier ne fait pas de doutes, le second devait notamment répondre aux accusations de négligence.
« Je reconnais mon erreur : je n’ai pas bien identifié ma cible. Je suis sincèrement désolé. Il n’y a pas un jour qui passe sans que j’y pense », assure le tireur, des sanglots dans la voix. « Aujourd’hui, il est détesté des anti-chasse et il est détesté des chasseurs. Mais c’est le seul à reconnaître ses erreurs », souligne son avocate Me Sylvie Bros. Le jour du drame, JF a son permis de chasse depuis six mois. Il a déjà participé à quatre battues mais n’a jamais fait usage de son arme. Jusqu’à ce 2 décembre 2020. A plusieurs reprises ce jour-là, il aperçoit un sanglier et tente de l’abattre, en vain. Vers 16 h 30, il est positionné par son beau-frère et le directeur de la battue sur une petite parcelle. Celle-ci est délimitée d’un côté par la route, de l’autre par un chemin, et des moutons broutent en face. Pour l’homme, âgé à l’époque de 33 ans, son seul champ de tir semble être une bordure de forêt en contre haut. Une première fois, il voit un sanglier, puis une seconde. Lorsqu’il aperçoit, quelques instants après, une « masse sombre » dans les sous-bois, il vise et tire. Et ce malgré le manque de visibilité dû à la végétation et à une luminosité insuffisante. Quelques secondes se passent en silence avant qu’il n’entende un cri. C’est celui de Morgan Keane qui vient d’être touché par la balle. Celle-ci a perforé les poumons et le cœur de la victime. Son corps est retrouvé dans les limites de sa propriété à 80 mètres du poste de tir de JF. Au moment de la battue, il était en train de couper du bois, un casque de chantier sur les oreilles.
Pourquoi avoir choisi un tel poste de tir pour un chasseur qui manquait clairement d’expérience et connaissait mal le terrain ? C’est la question qui sous-tendait ce procès et expliquait la présence du directeur de battue aux côtés du tireur. Les photos aériennes diffusées lors de l’audience dévoilent plusieurs éléments déroutants, à commencer par la situation géographique de la parcelle sur laquelle JF avait été positionné et qui était autorisée à la chasse. « Un timbre-poste ». C’est ainsi que le procureur la surnommera tant elle paraît petite et isolée au regard de toutes celles non signées qui l’entourent, dont celle sur laquelle est située la maison des Keane. « Sur cette parcelle, on tire à bout portant, à 10 ou 15 mètres maximum », explique le directeur de la chasse. « Du moment qu’on ne tire pas sur les autres parcelles… », ajoute-t-il avec un geste vague du bras. Tout au long de l’audience, son attitude froide et son manque d’empathie interpelleront les avocats des parties civiles et le parquet. En tant que directeur de battue, son rôle était d’organiser et encadrer la battue, notamment en rappelant les consignes de sécurité. Or, malgré les différents témoignages, un doute persiste sur ce dernier point. Si l’accusé assure l’avoir fait, d’autres chasseurs soutiennent qu’il avait juste fait référence à un document signé en début de saison et contenant lesdites consignes. Quand le président du tribunal lui demande s’il estime que cette organisation de chasse était parfaite, il finit par admettre : « Peut-être pas à 100 % ».
Pour le parquet, la culpabilité des deux hommes ne fait aucun doute. « Ces deux chasseurs sont responsables d’un accident de chasse. J’ai entendu que le terme accident avait pu choquer. Je peux comprendre mais je réitère car il correspond à une réalité de faits, même si cela n’enlève rien à leur gravité. Ce tragique homicide involontaire était presque écrit sur le carnet de battue. Les fautes commises par le tireur sont aussi évidentes que celles du directeur de battue. Ce dernier assure qu’il n’a rien fait de répréhensible, je suis partiellement d’accord avec lui : il n’a rien fait du tout ! Il aurait dû donner des consignes spécifiques, il aurait pu déléguer un chasseur pour accompagner JF qui était inexpérimenté. Si le tireur a appuyé sur la gâchette, le directeur de battue a tenu le fusil », s’insurge le procureur de la République Alexandre Rossi. Pour le premier, il requiert deux ans d’emprisonnement dont 18 mois assortis d’un sursis et pour le second 18 mois d’emprisonnement dont 12 mois assortis d’un sursis. Il demande également le retrait définitif du permis de chasse pour les deux hommes ainsi qu’une interdiction de détenir ou de porter une arme pendant cinq ans. « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait », rappelle l’avocate du directeur de battue Me Emilie Geoffroy, citant l’article 121-1 du code pénal. « Mon client n’a pas tenu le fusil qui est la cause du décès de Morgan Keane. Il se sent responsable mais pas coupable, la différence est fondamentale », ajoute-t-elle réclamant sa relaxe.
Au-delà de l’accident tragique qui a coûté la vie à Morgan Keane, c’était le procès de la chasse même qui semblait se dérouler dans cette salle d’audience. Parmi les parties civiles, on retrouvait aussi bien le frère de la victime, Rowan Keane, et ses amis proches que la fédération départementale de chasse du Lot ou les associations Une Vie et ASPAS (pour la protection des animaux sauvages). D’ailleurs, au moment de son plaidoyer, l’avocat de Rowan Keane, Me Benoît Coussy ne mâche pas ses mots. « Que vaut la vie de Morgan Keane si rien ne change ? Parlons de son agonie. Le rapport d’autopsie est édifiant, très lourd à soutenir. La balle dépassait du corps après avoir transpercé les deux poumons et le cœur. Morgan Keane s’est noyé dans son sang pendant 15 minutes. Il a dû souffrir le martyr alors qu’il était en train de couper du bois, on marche sur la tête. Ce procès est peut-être un tournant. Il est possible que les prévenus aient tué la chasse. Quand on tue un homme, c’est la fin d’un système. J’ai bon espoir ! », s’exclame-t-il. Pour son client qui avait déjà perdu ses parents il y a quelques années et se retrouve aujourd’hui sans famille, il demande 40 000 euros de dommages et intérêts et un renvoi sur intérêts civils. L’affaire a été mise en délibéré au 12 janvier.