Deux dossiers, deux drames familiaux en milieu rural, un même verdict en 1929. Les accusés sont sortis libres, acquittés, cet hiver-là, des assises du Lot.
Une tentative d’assassinat de sa belle-fille et de son supposé amant sur la commune de Marminiac, assassinat de sa belle-mère sur le village de Vayrac. Les charges qui pèsent sur eux sont lourdes et les peines qu’ils encourent le sont sont tout autant. Mais les deux accusés appelés à comparaître lors de la session hivernale de la cour d’assises du Lot, en décembre 1929, furent acquittés par les jurés. Le verdict fut identique et bien des similitudes rapprochent les deux dossiers.
Il s’agit de faits qui se sont produits dans des villages, en zone rurale, dans des foyers où cohabitaient plusieurs générations : enfants, parents, et au moins un des grands-parents. A l’époque, cela était fréquent. Dans les deux dossiers, nous n’avons pas affaire à des professionnels du crime, à des habitués des rubriques faits-divers mais à monsieur et madame Tout-le-monde, qu’un enchaînement de haine, de rancoeur, de mesquineries que la promiscuité a exacerbées. Dans les deux affaires, l’enquête n’a pas été bien compliquée, et les réactions des voisins, des élus, des gendarmes et des experts ont été quasi unanimes.
Alors qu’en 2025 le refrain est si fréquent qui dénonce une justice qui n’aurait pas la main suffisamment lourde on constate que les jurys populaires de 1929 se montrent à l’évidence compréhensifs envers les accusés, et puisque c’est bien cela que l’acquittement induit, les accusés sortent innocentés du palais de justice…
Le Journal du Lot a rendu compte de ces procès de manière exhaustive dans ses éditions des 18 et décembre 20 décembre 1929. En voici les extraits les plus édifiants. Pour le reste, chacun appréciera. Reflets d’une époque, sur le plan sociologique comme judiciaire, ces deux comptes rendus de ces deux procès sont des photographies d’une rare netteté de ce qu’était le Lot rural il y a un siècle.
Le dossier de Marminiac
« Le greffier, donne lecture de l’acte d’accusation qui expose ainsi les faits relevés à la charge de l’accusé. Quelques mois après le mariage de son fils Alban, célébré le 6 avril 1929, le nommé Louis Vaquié, âgé de 61 ans, forgeron à Marminiac, soupçonna sa belle-fille, née Louise Patrice, d’avoir mauvaise conduite et il s’imagina qu’elle manifestait un sentiment marqué à l’égard d’un des amis de son mari, M. Georges Deltour, âgé de 19 ans, qui habitait avec ses parents, non loin de la maison de Vaquié. »
« Celui-ci avait fait part de ses soupçons à son fils. Tous deux avaient surveillé la jeune femme, mais sans rien découvrir qui pût leur permettre de douter de sa fidélité. Néanmoins, Louis Vaquié n’avait pas hésité à reprocher à Deltour les sentiments qu’il leur attribuait. Ce dernier s’en était ouvert aussitôt à son camarade Alban, et cessa en même temps de fréquenter le père Vaquié. Le 20 octobre 1929, vers 20 heures, après son repas pris avec sa belle-fille en l’absence de son fils, Louis Vaquié s’en fut s’asseoir sur un banc en face de sa maison. Deltour passa devant lui une première fois pour se rendre chez une dame Rigal, afin de la convier à un repas de vendanges. Il repassa peu après devant Vaquié. A ce moment, celui-ci tira sur Deltour une balle de revolver, du banc où il était assis. Deltour ne fut pas atteint. Alors Vaquié tira une seconde fois en le poursuivant. Deltour, blessé à l’abdomen, appela au secours et se réfugia chez un voisin. Ce crime accompli, Vaquié apercevant sa belle-fille sur le pas de la porte de la maison tira une troisième balle dans sa direction, puis pénétrant dans la cuisine, il se précipita sur la jeune femme et tenta une fois encore de décharger sur elle son revolver. Mais l’arme était enrayée. La balle ne partit pas. Vaquié, alors, saisit sa belle-fille par les cheveux, la renversa sur le sol, où il la maintint tout en la frappant, jusqu’au moment où les voisins accourus la dégagèrent. »
« Profitant de l’émotion des témoins et trompant leur surveillance, Vaquié tenta de se suicider en se jetant dans un étang voisin, d’où il fut retiré aussitôt. Vaquié a reconnu avoir voulu tuer Deltour et sa belle-fille. Il a exprimé le regret de n’avoir pas réussi à donner la mort à cette dernière. Il avait acheté un revolver, ainsi qu’un paquet de cartouches, chez un armurier de Cahors, au mois d’août 1929. Quelques jours après cet achat, il avait chargé son arme, qu’il avait déposée dans sa chambre. Deux ou trois heures avant le drame, il l’avait prise sur lui. L’instruction a établi que les griefs allégués par Vaquié contre sa belle-fille étaient sans fondement. Le médecin aliéniste qui a examiné l’accusé a conclu à son entière responsabilité. Vaquié n’a pas d’antécédents judiciaires et les renseignements recueillis sur son compte sont favorables. »
Il est procédé ensuite à l’interrogatoire de l’accusé qui répond d’une voix faible aux diverses questions. « Il reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Il ne comprend pas comment il a pu commettre son crime. Il était sous le coup d’une obsession. Il déclare qu’il ne se souvient plus de ce qui s’est passé après le drame. Vaquié dit qu’il regrette son acte. Les témoins sont appelés. »
Tous évoquent un bon père, un bon voisin, un bon citoyen. Tous avaient constaté que l’homme était devenu neurasthénique, prisonnier de son obsession à venger son fils d’une infidélité qui n’exista que dans son imagination. Le maire de Marminiac note cependant qu’un retour dans le village de l’accusé n’est pas à souhaiter. Dans la foulée, on apprend que le père de famille pourrait, en cas d’acquittement, être accueilli chez sa fille, à Poitiers. L’avocat général enchaîne en demandant une condamnation (puisque l’homme n’est pas « fou »), mais il ne s’oppose pas à ce que soient reconnues des circonstances atténuantes. La plaidoirie de Me Tassart est dès lors facilitée. L’audience a duré moins d’une journée. Le jury n’a besoin que d’un quart d’heure pour délibérer. On lit dans Le Journal du Lot : « Vaquié est acquitté et mis en liberté. Dans la salle quelques applaudissements éclatent. »
Le dossier de Vayrac
Le greffier donne lecture de l’acte d’accusation : « L’accusée est une jeune femme, née Angélique Larribe, qui demeurait à Vayrac avec son mari, Jules Ferrié, et son fils Roger. Dans le même foyer vivait aussi la veuve Ferrié, belle-mère de l’accusée. Celle-ci et celle-là n’étaient pas amies. La belle-mère était âgée de 80 ans, infirme et, depuis plusieurs semaines, alitée. Les discussions entre les deux femmes étaient fréquentes. Elles avaient pour motifs des questions d’ordre domestique ou d’intérêt. Le 30 juin 1929, Ferrié et son fils quittèrent la maison entre 7 et 8 heures du matin. Angélique restait seule à la maison avec sa belle-mère. »
« Vers 10 ou 11 heures, les voisins entendirent la veuve Ferrié crier « au secours ». Mais les scènes violentes étaient si fréquentes que personne ne s’émut. Peu après, on vit à plusieurs reprises Angélique aller chercher de l’eau à la fontaine. Rentrant chez lui à midi et demi, le fils Ferrié trouva sa grand-mère étendue sur son lit, le visage ensanglanté. Au milieu de la pièce était du linge mouillé, un drap tâché de sang, et près de la table de nuit les débris d’un verre et d’une assiette. Quand la gendarmerie fit l’enquête, elle découvrit dans la pièce où gisait la victime, un manche à balai maculé de sang ainsi qu’un seau bosselé. La veuve Ferrié mourut dans la nuit, sans avoir repris connaissance. Le médecin légiste a relevé sur son corps de multiples blessures, les unes faites avec un instrument contondant et les autres faites avec un instrument tranchant. Une blessure au nez avait provoqué une fracture de la base du crâne. Cette blessure a entraîné la mort. L’accusée, qui s’était enfuie en entendant rentrer son fils, a été arrêtée 5 jours après le crime. »
« Elle a prétendu que vers 10 heures, au cours d’une discussion avec sa belle-mère, celle-ci avait, de son lit, lancé des excréments dans sa direction. Elle l’avait alors saisie et jetée sur le plancher. Puis, après l’avoir giflée, elle l’avait frappée d’un coup de balai à la cuisse et d’un coup de pied à la figure. L’accusée déclare, en outre, qu’elle avait enfoncé un doigt dans la bouche de sa belle-mère pour l’empêcher de crier. Elle a reconnu qu’elle nourrissait à l’égard de sa belle-mère un ressentiment profond, mais elle déclara qu’elle n’avait pas voulu, en la frappant, causer sa mort. Les multiples blessures reçues par la victime témoignent de l’acharnement mis par sa belle-fille à frapper et les constatations du médecin légiste donnent à croire que celle-ci a bien frappé sa belle-mère avec l’intention de la tuer. Un médecin aliéniste a procédé à l’examen mental de l’accusée, a conclu qu’elle n’était pas en état de démence au moment où elle a commis son crime, mais, toutefois, il a reconnu que sa responsabilité était atténuée. L’accusée n’a pas d’antécédents judiciaires et les renseignements recueillis sur son compte lui sont favorables. »
Suit l’interrogatoire de l’accusée. Le journaliste écrit qu’il est établi qu’elle a souffert pendant 25 ans et d’un mari violent et porté sur l’alcool, et de la haine de sa belle-mère. « Petite, maigre, la femme Larribe, prostrée sur le banc des accusés, semble résignée à subir un martyre de plus… »
Le défilé des témoins et des experts confirme cette vision. Le médecin-aliéniste déclare que la responsabilité de l’accusée est atténuée. Le fils déclare que sa mère était victime de la méchanceté de la grand-mère qui la battait. Il dit que sa mère fut toujours bonne pour lui, mais qu’elle était malheureuse à la maison. Il rappelle que, excité par la grand-mère, Ferrié, un soir qu’il était ivre, traîna sa femme par les cheveux et la battit. Le fils Ferrié indique que les violences étaient provoquées par des questions d’intérêt. Les voisins et voisines dressent un même tableau. L’accusée était malheureuse, et « son acte est bien excusable » ajoute l’un d’eux.
Dans son réquisitoire, le procureur de la République explique que le drame de Vayrac est né d’une haine familiale, provoquée surtout par une question d’intérêt. Il rappelle ce que fut la vie de l’accusée, comment elle épousa le fils Ferrié, et indique les soupçons de la belle-mère au sujet des relations de son mari avec sa belle-fille. Il demande aux jurés de rendre un verdict de culpabilité, et ne s’oppose pas à des circonstances atténuantes qui réduiront le crime à la proportion d’un délit. Les avocats de la défense n’ont pas à forcer leur talent. Me Martin « s’étonne que cette scène ne se soit pas produite plus tôt. Il fait appel à la pitié du jury en faveur de l’accusée qui est, comme on l’a établi, une malade ». Me Faugères, du barreau de Figeac, prend la parole. « A son tour, il brosse un tableau du drame du 30 juin. Mais quelle est la victime ? C’est, dit-il, la malheureuse qui est sur le banc des accusés, et qui, pendant un quart de siècle, a supporté les pires traitements. Et cependant, des témoins ont dit que la femme Larribe a donné à sa belle-mère, quand elle tomba paralysée, des soins dévoués ». Là encore, le jury n’a pas besoin de plusieurs heures pour prendre sa décision. Quelques minutes et l’accusée sort libre du palais de justice.
Source site Gallica BNF





