Comment le phylloxera a tué Toulousque
Il n’y avait plus qu’une habitante en 1943. La crise du phylloxera et la proximité de Cahors ont précicipité le déclin du hameau.
Nous évoquions dimanche dernier la triste destinée du hameau de Toulousque, sur le petit plateau qui domine la vallée du Lot, et donc la route et la voie ferrée entre Mercuès et Cahors. Au printemps 1943, un reporter du quotidien Paris Soir était venu y récolter le témoignage poignant de la dernière habitante des lieux, Louise Caussy (*). Elle expliquait dans le premier volet de l’article, paru le 14 avril, être consciente qu’après elle, il n’y aurait plus que ruines. Pourtant, son père se souvenait que lorsqu’il allait à la messe enfant, dans la seconde moitié du XIXème siècle, il y avait 77 paroissiens à Toulousque.
Dans son édition du 21 avril 1943 Paris Soir publie le second volet du reportage. L’auteur tente d’y expliciter les causes de cette mort lente mais inexorable. En voici de larges extraits. « C’est dans la deuxième moitié du XIXème siècle que s’amorça le mouvement d’émigration qui, en quelques dizaines d’années, devait vider d’innombrables villages des causses de la presque totalité de leurs habitants. Le phénomène est particulièrement sensible dans les très petites agglomérations, où le départ d’une seule famille suffit à créer un vide et où l’exemple et l’imitation, jouant dans un cercle restreint, ajoutent encore leurs effets à celui des causes initiales de l’exode. Le cas du hameau de Toulousque – dont deux maisons seulement sont restées debout parmi les ruines qui, il y a cent ans, étaient les demeures d’une population de 77 personnes – est particulièrement frappant. Mais il en est d’autres qui le sont autant, bien que portant sur des chiffres dont les rapports sont apparemment moins éloquants. »
Des chiffres sans appel
« Ainsi, La Couvertoirade, dans l’Aveyron, a perdu, en quarante ans, les trois quarts de sa population. C’est un village qui, planté sur le causse de Larzac, autour d’une ancienne commanderie de Templiers, comptait encore, en 1894, 390 habitants. Au dernier recensement il n’en avait plus que cent. A ce train, dans quelques années, il sera vide, lui aussi, et mort. L’histoire se répète à des centaines d’exemplaires dans les causses du Quercy, dans le causse Comtal, autour de Rodez, dans le causse de Séverac, à l’extrémité orientale de l’Aveyron. Encore, dans l’Aveyron, l’exode a-t-il pu, dans une certaine mesure, se faire à l’intérieur même du département, c’est-à-dire des campagnes vers les villes qui sont assez industrialisées. Si bien que le chiffre total de la population n’y a diminué qu’avec une relative lenteur. Il n’en est pas moins tombé, en un siècle, de 370.591 habitants au recensement de 1841, à 314.792 (dont 9.618 étrangers) en 1936, après s’être élevé en 1886 à plus de 415.000. Mais dans le Lot où, par contre, l’activité industrielle est à peu près inexistante (la plus importante entreprise de Cahors avant la guerre n’avait pas de travail pour plus de 120 ouvriers et employés), la chute de la population est plus sensible encore. Réfugiés compris – et l’on estime leur nombre à queliques milliers – 164 989 personnes y figuraient au début de l’année sur les registres de contrôle des cartes d’alimentation. En 1921, la population du département était de 177 000 habitants, de 206 000 en 1911 et de plus de 280 000 en 1860. »
« A ce mouvement de désertion des campagnes, on a successivement assigné pour causes la dénatalité, la déchristianisation des paysans, leur goût du « plaisir », la fréquentation des cafés ou l’amour du cinéma. Il semble plus simplement qu’il faille en faire porter conjointement et solidairement la responsabilité sur l’invention des chemins de fer et sur le phylloxéra. Il est remarquable en effet que tant dans le Lot que dans l’Aveyron, c’est aux environs de 1880 que les premiers émigrés des causses partirent tenter leur chance dans les riches plaines du Midi. Les autres, ensuite, allèrent beaucoup plus loin – à Paris et parfois en Amérique. L’histoire ne prétend pas qu’ils y firent fortune selon la technique des milliardaires qui, ayant commencé leur carrière dans les rues de New-York comme cireurs de chaussures ou crieurs de journaux, se retrouvent miraculeusement vers le milieu de leur existence présidents de trusts ou racketers en vue Mais ils y vécurent confortablement en exerçant leur métier de boulanger, de tonnelier ou de cordonnier. »
Le phylloxera et le train pointés du doigt
« (…) Jusqu’en 1880, les habitants des causses – surtout dans le Quercy – avaient tiré leurs ressources de leurs vignes. Le solide vin de Cahors se vendait bien. Sur le Lot, des péniches en emportaient chaque année d’importantes cargaisons vers le Bordelais où il était employé à des coupages. Et la chronique régionale affirme que le surplus partait pour la Russie dont les popes tenaient exclusivement, paraît-il, au vin de Cahors pour célébrer leurs messes. Mais l’invasion du phylloxéra devait en quelques années bouleverser l’économie de la région. Le vignoble périt. Sur le Lot, les péniches passèrent à des intervalles de plus en plus éloignés et les villages des coteaux commencèrent à se vider. On tenta de faire pousser du plant américain. Toutefois les résultats de cet essai ne furent pas ceux que l’on attendait, peut- être simplement l’exode des populations était déjà trop avancé et l’on manquait de main-d’œuvre pour soigner les ceps. »
« Car, vers la même époque, les chemins de fer, qui étaient alors en plein développement, poussaient un peu partout dans la région leurs embranchements et leurs lignes secondaires. Il leur fallait des cantonniers, des aiguillleurs, des hommes d’équipe. Les jeunes gens du pays entrèrent dans une carrière qui leur garantissait un salaire régulier, mais qui, aussi, les amenait à s’exiler jusqu’à Cahors, Toulouse ou Aurillac, même parfois jusqu’à Juvisy, Paris ou Orléans. Abandonnés aux broussailles, les villages des causses commencèrent à tomber en ruine. En 1939, on l’a dit, les entrepreneurs en achetaient les maisons 200 francs pour en récupérer les pierres, les poutres et les tuiles. La guerre et l’armistice, qui ne constituent pas des conditions favorables aux entreprises nouvelles et aux changements, les difficultés de la vie à la ville, maintiennent actuellement à leurs pierres les populations encore fixées sur les plateaux des causses. Mais le problème qui se pose maintenant et pour les années à venir n’est pas de repeupler à tout prix les steppes du Quercy, de l’Aveyron ou de la Lozère. Il est seulement d’y exploiter ce qui est exploitable et de donner aux gens qui y sont restés les moyens d’y vivre décemment. »
Reste que tous les villages ou hameaux n’ont pas complètement disparu. Ce que l’on nomma par la suite l’exode rural est certes largement dû, dans le Lot, au phylloxera. Une autre étude sur Toulousque le confirme : « Il y a un peu plus de cent vingt ans, en place des murs effondrés, se tenait un hameau d’une quarantaine de maisons. Le lieu était prospère, niché près de coteaux rocheux dont les ceps livraient, chaque automne depuis des siècles, de quoi rendre la vie bonne et heureuse. Le précieux nectar allait se vendre, pour la majeure partie, à cahors, toute proche. Dans les caves voutées de Toulousque, des tonneaux impressionnants garantissaient plaisir et vigueur à leurs propriétaires. Le malheur s’invita de force au village. On perdit une à une les parcelles de vignes, les ceps se rétractant, sans vie. La misère remplaçant l’abondance, les maisons durent être abandonnées, souvent détruites » lit-on dans le chapitre consacré à Toulousque dans le livre d’Elisa Sabathié, « Les mystères du Lot » (paru en 2009), que cite une étude de la DDT du Lot sur les paysages du département (et qui comprend une large section à la mutation liée à la crie du phylloxera).
Pour notre part, nous avons relevé quelques chiffres dans les recensements disponibles sur le site des Archives du Lot. En 1891, il est mentionné que 91 habitants ont été dénombrés sur Toulousque logeant dans 19 maisons. Soit à peu près autant que sur le hameau de Saint-Henri (101 habitants pour 30 maisons). En revanche, en 1926, la chute est sévère : ne sont plus recensés que cinq foyers et… 13 habitants. On connaît la suite.
Un positionnement fatal à quelques km du centre
D’autres témoignages sont mentionnés dans un travail de collecte de souvenirs lié au quartier de Saint-Henri, publié en 2014 par la ville de Cahors, à l’occasion des journées du patrimoine. Quelques pages y sont dédiées à Toulousque (autre « écart » qui relève de la commune préfecture du Lot). On y comprend qu’une partie des habitants « historiques » du hameau ont progressivement glissé vers Saint-Henri, et que d’autres migrèrent en Algérie. Finalement, on en vient à conclure que c’est aussi la relative proximité d’autres pôles (Saint-Henri, Mercuès et surtout la ville de Cahors intra-muros elle- même) qui a signé l’arrêt de mort de Toulousque. Car comme le narre le reportage de Paris-Soir (dans son premiet volet), sur la fin, les derniers propriétaires allèrent habiter la ville mais venaient cultiver encore quelques lopins de terre… Paradoxe : de nos jours, des terrains constructibles sur Toulousque constitueraient un « lotissement » résidentiel fort prisé !
Concluons par cette annonce relevée dans le Journal du Lot du 4 février 1938 : « VENDRAIS, depuis 80 fr., chèvres 12 à 28 mois, pleines. Visible matin. Mme Paty, Toulousque, Cahors. » Et par cette « légende » rapportée dans ce même document de 2014 : « Je tiens de ma grand-mère de Mercuès, décédée en 1967, et qui habitait la maison que j’habite maintenant, une légende sur ce hameau perdu entre Bouydou et Mercuès. Il avait pour nom Toulousque ; il comptait une quarantaine de maisons ; aujourd’hui, ce ne sont plus que des ruines, vestiges d’un village abandonné, déserté par des habitants ruinés par la crise du phylloxéra. Auparavant, ce fut un hameau florissant où la vie était douce et les vignes prospères. On pouvait y fêter Noël en famille, à la chaleur d’un bon feu, à la lumière des bougies. Voici la légende que me contait ma grand-mère : Par un soir de noël, très froid et étoilé, quand toutes les maisons de Toulousque brillaient de mille feux et que leurs occupants dégustaient dans la joie, les plats chauds et fumants du réveillon quercynois, un pauvre mendiant, transi et fatigué, s’en vint frapper à l’huis de ces foyers heureux. A chaque porte close, il répéta humblement sa prière : – « Ayez pitié ! Ne me refusez pas le vivre et le couvert en cette nuit de Noël ! Il fait si froid dehors. » En vain supplia-t-il, gémit-il, pleura-t-il ; nulle porte devant lui ne s’ouvrit à ses cris. Pas un être vivant n’eut pitié. Frissonnant, désespéré, il chercha la chapelle ; la porte était fermée. Alors, il se laissa tomber sur les marches du porche, maudissant dans la nuit, le village et tous ses habitants. On retrouva, au matin, son corps gelé et recroquevillé. Commencèrent alors les malheurs du hameau de Toulousque. Un mal mystérieux s’y répandit qui décima petit à petit la population. Plus personne ne voulut venir habiter ce village maudit. Et si, le soir de Noël, aux alentours de minuit, vous montez à Toulousque, vous pourrez, parait-il, entendre le mendiant supplier, pleurer et gémir en demandant de l’aide… »
Ph.M.
(*) Le reporter de Paris Soir a vraisemblablement changé le nom de son interlocutrice. Pas de trace de Caussy dans les recensements…
Photo : le hameau paraissait bien vivant sur le cadastre napoléonien de 1812 (source : archives du Lot).