Clara Ribeiro, procureure de Cahors : « Je suis arrivée dans un parquet sain »
A la tête du parquet de Cahors depuis trois mois, Clara Ribeiro souhaite mettre son expérience au service d’une justice de proximité. Pour Medialot, elle revient sur son parcours atypique et formule ses priorités : la lutte contre les violences intrafamiliales et les trafics de stupéfiants.
Clara Ribeiro marche d’un pas décidé dans les couloirs du tribunal de Cahors, où elle a pris ses fonctions il y a trois mois. Sa silhouette menue, perchée sur des talons aiguilles, contraste avec celle de son prédécesseur, Alexandre Rossi, dont le départ abrupt a marqué un tournant pour la juridiction. Un tournant qu’elle prend à bras-le-corps, sans se laisser détourner par les turbulences du passé. « Je suis arrivée dans un parquet sain », lâche-t-elle, tout en refusant de s’étendre sur les raisons du départ d’Alexandre Rossi, actuellement en procédure judiciaire pour violences conjugales. Elle ajoute, sobrement : « Nous, les procureurs, et plus largement les magistrats, avons un devoir d’exemplarité. »
Originaire du Val-de-Marne, Clara Ribeiro n’a pas choisi un parcours linéaire. D’abord juriste, puis magistrate depuis 2008, elle a découvert la diversité des juridictions à travers la France, mais aussi dans les territoires d’outre-mer. Son premier poste à Cayenne, où elle fait ses armes, est « un choix de famille », mais surtout une « expérience hors du commun ». Ensuite, elle se tourne vers l’instruction, en passant par Rennes, Tarbes, Pau et enfin La Réunion, où elle devient juge des libertés et de la détention. Ces années d’expérience dans des contextes divers l’ont forgée : « Avoir exercé dans le secteur civil, puis au parquet et au siège m’a donné une vision complète du système judiciaire ». Mais c’est à la tête du parquet qu’elle se sent à sa place : « J’aime l’action publique, le terrain et travailler en équipe. »
> Une justice de proximité
Si elle a choisi Cahors, ce n’est pas par hasard. Clara Ribeiro a, en effet, préféré opter pour une « petite juridiction » où « on sent une réelle volonté de construire ensemble ». Elle connaissait déjà la région, y étant venue plus jeune, mais son désir de poser ses valises ici est plus stratégique : « Cahors me permet de toucher à tous les contentieux, et il y a une vraie proximité entre les institutionnels et les partenaires. » Ce choix reflète d’ailleurs ses priorités, qu’elle n’hésite pas à porter avec conviction.
Les violences intrafamiliales figurent parmi ses chevaux de bataille. En collaboration avec le centre hospitalier de Cahors, elle mène un double projet ambitieux : la création d’une unité médico-judiciaire de proximité, ainsi qu’une unité d’accueil pédiatrique. « Aujourd’hui, une victime de faits d’agression sexuelle doit être accompagnée à Toulouse par les enquêteurs pour être examinée. L’objectif est d’avoir ici, à Cahors, une unité spécialisée, avec des locaux adaptés et du personnel formé. » Ces projets, encore en discussion avec l’hôpital et l’ARS, pourraient voir le jour « avant la fin de l’année 2025 ». L’une de ses principales préoccupations reste la prise en charge des mineurs en danger. Pour elle, cela repose sur trois grands principes : l’accès à l’information pour les victimes, la formation continue des magistrats, et une prise en charge par des professionnels de santé.
Clara Ribeiro réfute l’idée selon laquelle le faible taux de condamnations pour violences intrafamiliales freinerait la parole des victimes. « On progresse sur ces sujets. Les femmes font de plus en plus confiance aux institutions, ce qui libère la parole et mécaniquement entraîne un plus grand nombre de réponses pénales. S’il y a une augmentation des affaires de violences intrafamiliales, c’est justement qu’il y a une augmentation des dépôts de plainte », assure-t-elle. La magistrate plaide aussi pour une pédagogie continue sur le sujet : « Ce qui est souvent difficile, c’est d’envisager que ce n’est pas parce qu’une victime dit avoir été victime que c’est forcément vrai. Il faut un faisceau d’éléments pour corroborer cette parole. »
> La montée du trafic de stupéfiants
Les violences intrafamiliales ne sont pas le seul défi pour le parquet de Cahors. Le trafic de stupéfiants est aussi une problématique qui prend de l’ampleur. « Certes, le Lot n’est pas très criminogène, mais tout de même, il y a des infractions de plus en plus violentes qui inquiètent. Il ne faut pas oublier que Cahors est l’arrière-cour de Toulouse en ce qui concerne les stupéfiants ». Cette réalité se traduit en chiffres : en 2024, deux fois plus de points de deals ont été démantelés, et le nombre de personnes impliquées dans des trafics a augmenté de 8%. « Ce qui est nouveau, c’est la présence de cocaïne et d’héroïne, en plus de la résine de cannabis », détaille-t-elle.
> Une vision humaine de la détention
Loin de l’image d’une procureure dure et intransigeante, Clara Ribeiro porte un regard pragmatique sur la prison. Avant d’être magistrate, elle a travaillé à la prison de Fresnes (94), où elle a géré un point d’accès aux droits pour les détenus pendant quatre ans. Cette expérience l’a marquée : elle ne requiert jamais une peine de prison à la légère. « Je sais ce que représente l’incarcération. C’est la privation des choses les plus élémentaires : aller et venir, mais pas que… Quand vous êtes en maison d’arrêt, vous n’ouvrez plus rien : ni porte, ni courrier. C’est aussi une privation de tous les sens : vous perdez les odeurs, les couleurs… » Pourtant, elle précise : « La détention est toujours une épreuve, mais dans certains cas, il n’y a pas d’alternative. »
Bien qu’elle soit consciente du problème de la surpopulation carcérale, Clara Ribeiro refuse toutefois de céder à une position laxiste. « Il y a des pistes de réflexion en cours, notamment sur les sorties de détention avant les fins de peine, mais tout le monde n’est pas d’accord avec cela », ajoute-t-elle en pensant notamment aux victimes qui voient souvent ce procédé d’un mauvais œil. En attendant, elle continue de militer pour une prison plus humaine.
Texte et photo Caroline Peyronel