Réfugié à Souillac, il dirigea avant puis après la guerre la banque en charge des intérêts soviétiques en France.
Ouvrez les bans ! Robert Dumas (dit Paul), préfet du Lot, représentant le Gouvernement Provisoire de la République Française ; Jean Bordes (dit Baptiste), monteur en chauffage (Forces Unies de la Jeunesse Patriotique) ; Alfred Bourgnoux (dit Alfred), agriculteur (Comité de Défense et d’Action Paysanne) ; Jules de Coppet (dit Jules), Ancien gouverneur de Madagascar ; René Darses (dit Papy), plombier (Mouvements Unis de la Résistance) ; Jean-Robert Desroches (dit Benoît), inspecteur d’assurance (Parti Communiste) ; Louis Gaudin (dit Quitou), ingénieur (Forces Françaises de l’Intérieur) ; Jean-Michel Guilhem (dit Michel), étudiant (Jeunesse Agricole Chrétienne) ; Charles Hilsum (dit Étienne), banquier (Front National) ; André Lalanne (dit André), employé SNCF (Confédération Générale du Travail) ; Antoine Édouard Laval (dit Dupré), forgeron mécanicien (Emprisonnés politiques) ; François Leyge (dit François), artisan ; Jean Lurçat (dit Bruyère), artiste peintre (Comité National des Intellectuels) ; Raymond Mouysset (dit Mouysset), exploitant forestier ; Jean Rougier (dit Monsieur Pierre), chirurgien (Comité National des Médecins) ; Antoine Roux (dit Antoine), entrepreneur en menuiserie (Parti Radical) ; Simone Selves (dite Simone), institutrice ; Étienne Verlhac (dit Valmy), comptable (Parti Socialiste).
Un nouveau préfet représentant le gouvernement provisoire (alors basé à Alger), et 17 membres du Comité Départemental de la Libération du Lot représentant pour la plupart les différentes « familles » de la résistance dans le département… Voilà, le 17 août 1944, alors que Cahors et le Lot sont « débarrassés » (le terme est utilisé par le préfet lui-même quelque temps plus tard dans un courrier officiel) des occupants allemands, quels sont les visages du nouveau pouvoir en place dont les missions sont particulièrement vastes et délicates : maintenir l’ordre, rétablir les communications, contrôler et parfaire le ravitaillement alimentaire, arrêter et juger les collaborateurs…
Un parcours singulier
Parmi ces noms, deux étonnent alors la population _ même la plus informée des arcanes et secrets des forces ayant agi et combattu clandestinement _, et étonnent toujours certains historiens : Jules Marcel de Coppet et Charles Hilsum. Le premier était gouverneur de Madagascar en 1940 quand il refusa de se soumettre au pouvoir vichyste et voulut même rallier l’île aux forces britanniques. Révoqué, il revient en métropole et s’établit dans le sud-ouest où il compte parents et amis. Il y entre en résistance. Pour le second, le parcours est plus étonnant encore. Avant et après la guerre. Mais lui aussi, réfugié dès l’été 1940 dans le Lot où son épouse a des attaches (la famille Louradour à Saint-Sozy), il y a très vite tissé des liens avec la résistance locale.
Charles Hilsum est né à La Haye en 1898 : son père y était courtier et ses ascendants exerçaient aux Pays-Bas la profession de banquier depuis des générations. Sa mère, d’origine polonaise, s’est installée à Paris au début des années 1890. Elle y donna ainsi le jour à un fils aîné(*), René (1895-1990), et vraisemblablement alterna les séjours entre la France et la Hollande puisque le second fils, Charles naquit en terre hollandaise. Il conserve du reste cette nationalité jusqu’à la Seconde guerre.
Le père sera peu présent. Mais l’enfant effectue une brillante scolarité, fréquentant le collège Chaptal de 1910 à 1914… Un peu plus tard, le jeune Hilsum gagne l’Angleterre et devient étudiant à Cambridge. Il en revient nanti d’une solide formation et passionné de rugby. On le retrouve ainsi licencié au Paris Université-Club, comme l’attestent des coupures de presse après la Première guerre. Reste néanmoins à tracer son chemin sur le plan professionnel. Eh bien, comme ses aïeux et ancêtres, Charles Hilsum sera banquier ! Mais un banquier pas tout-à-fait comme les autres…
Une banque aux actionnaires très particuliers
Il entre comme chef du service de la correspondance au « Comptoir parisien de banque et de change », une société anonyme fondée en 1921 par un certain M. Wissotzky, jusqu’alors connu comme ayant été un des principaux négociants en thés de Russie. En 1925, l’établissement change de dénomination, devenant la « Banque commerciale pour l’Europe du Nord ». A la même époque, l’actionnariat passe quasi complètement sous contrôle de la jeune URSS via sa banque d’État. Les autorités françaises laissent faire : elles espèrent que cet outil pourra éventuellement solutionner enfin la question du remboursement des emprunts russes ! Charles Hilsum prend du galon. Le voilà sous-directeur en 1926 puis directeur en 1932.
Mais quel rôle joue exactement la banque, bras armé en France des Soviétiques dans le monde de l’économie et de la finance ? Un rôle clé : tous les industriels ou opérateurs voulant investir ou commercer avec la Russie doivent passer par la BCEN. Et dans l’autre sens, la banque peut financer le mouvement communiste (le PCF ou ses association ou sociétés satellites, dans le monde de l’édition par exemple). Dans les années qui précèdent la Seconde guerre, Charles Hilsum se révèle très actif par ailleurs au sein de France-Navigation, société ayant en charge de convoyer des armes au gouvernement républicain espagnol, lequel peut également placer et protéger ses fonds à Paris…
Et puis, de nouveau, la guerre. Avec une première phase : la dissolution du PCF par le gouvernement Daladier en septembre 1939 en raison de son soutien au pacte germano-soviétique. La BCEN est fermée d’office et placée sous séquestre. Les militants sont ébranlés. Hors les atermoiements de la direction, certains dirigeants acceptant l’inacceptable, à Paris comme en province, les communistes français sont sous le choc. Le printemps et l’été 1940 avec la Débâcle accentuent leur désarroi.
A cette date, Charles Hilsum et son épouse rejoignent le Lot et se fixent à Souillac. Ils vont y rester près de cinq années. Ils se fondent dans la population locale (celle de la ville elle-même et de la campagne environnante) comme des centaines d’autres familles : réfugiés français ou étrangers, communistes ou non communistes, juifs ou non juifs. Et au fil des jours, des mois, des années, pour nombre d’entre-eux, l’étau va se resserrer au gré des décrets et des lois indignes de Vichy, au fur et à mesure de la montée en puissance de la collaboration puis de l’envahissement de la zone « sud » le 11 novembre 1942.
A Souillac, la Résistance et l’amour
La chronologie de l’entrée en résistance (ou plutôt dans la résistance) de Charles Hilsum, ses premiers contacts, ses premières actions : tout cela n’est pas précis et, comme pour l’ensemble de sa biographie, doit encore faire l’objet de recherches. Cette vie en forme de roman reste à écrire. Mais il y a des faits, des documents, des témoignages. Comme par exemple une fausse carte d’identité au nom d’un prétendu Étienne Ducos, comptable, domicilié à Toulouse, datée de mai 1943 et visée en juillet 1944 encore par le maire de Saint-Sozy mais ornée de la photo de… Charles Hilsum, ou une autre carte d’identité avec cette même photo mais tamponnée en Ardèche et demeurée vierge.
Homme cultivé, l’ex-banquier rencontre aussi des intellectuels et artistes engagés dans la résistance et qui demeurent ou séjournent à Souillac. Il se lie d’amitié avec Jean Lurçat, avec les écrivains André Chamson, Jean Cassou et André Wurmser, notamment, et ceux-ci ont évoqué leur compagnon de combat à plusieurs reprises. On sait aussi que Charles Hilsum fut inquiété par la police vichyste, mais interpellé pour de supposées actions de propagande communiste, il est remis en liberté. Les policiers n’ont rien trouvé pour étayer les accusations.
A l’été 1944, que Charles Hilsum fût choisi pour siéger au sein du Comité Départemental de la Libération du Lot (représentant le Front National d’alors, c’est-à-dire un mouvement de résistance certes créé par le PCF mais ouvert aux non communistes) n’est dès lors pas si surprenant. Sa formation et son activité professionnelle (certes dans un cadre singulier) en font un expert des questions économiques, financières et budgétaires. Mais quoi qu’il en soit, Charles Hilsum a regagné Paris dès 1945. Il faut rouvrir et relancer la BCEN. Cette année-là, par décret du 5 novembre, l’homme est naturalisé français. Ce sera au fond la seule « décoration » acceptée par cette personnalité discrète et qui considère n’avoir fait que son devoir. Dans le dossier conservé aux Archives nationales, son fils découvrira des décennies plus tard que Charles Hilsum n’a pas même souhaité remplir les formulaires que d’aucuns avaient jugé opportun de lui adresser pour obtenir la Légion d’honneur ou une médaille ou autre distinction au titre de la Résistance…
Son fils… Car durant son long séjour forcé dans le Lot, sur un plan cette fois tout-à-fait intime, la vie de l’homme d’affaires a basculé. Il a croisé une jeune réfugiée originaire du Nord, Linette Houzet, dont le père est négociant dans le textile. Elle est de quelque vingt ans plus jeune mais Charles tombe éperdument amoureux. Et c’est réciproque. Cette union que la morale et l’ordre établi réprouvent restera « hors la loi » mais le couple aura effectivement un enfant, Joël Houzet, né en 1951. Charles lui consacrera tous ses samedis… Journaliste, artiste, galeriste, elle aussi engagée au sein du mouvement communiste, Linette accepte ce statut et cette liberté.
Sur le plan professionnel, bientôt PDG, le banquier Hilsum est confronté aux aléas des temps. Son nom apparaît en 1948 dans la presse quand le ministre de l’Intérieur Jules Moch dénonce devant les députés les activités de la banque et sa collusion avec l’URSS, ce qui fait sourire les élus communistes. Depuis des années, ils déclarent à la questure de l’Assemblée leur compte ouvert à la BCEN où chacun fait virer à la fin du mois ses indemnités parlementaires ! La vraie fausse affaire fait pschitt.
En 1951, un incident sérieux est relaté dans Le Franc Tireur (édition du 6 septembre) : un attentat au plastic réveille les riverains et détruit l’entrée des locaux de la banque. Interrogé par le journaliste, Charles Hilsum dit ne pas comprendre. Les policiers, si. Ils relient l’affaire à une série d’attentats visant des bureaux du PC ou de sociétés et organismes apparentés.
Pour le reste, le banquier multiplie les voyages (URSS, Chine, Japon), forme de nouveaux cadres (comme un certain Jean-Baptiste Doumeng, de Toulouse), et entretient des liens d’amitié avec des personnalités de premier plan. Tel Raymond Aubrac, dont on devine qu’il n’accorde sa confiance qu’à des hommes au passé irréprochable. Mais chaque samedi, et nombre de week-ends, il les réserve à son fils. Promenades au Jardin d‘acclimatation, parties de tennis, moments de complicité sur les plages de Normandie… Charles Hilsum décède prématurément le 12 avril 1965.
Ph.M.
(*) René Hilsum (1895-1990) rencontre André Breton au collège Chaptal. Il fonde en 1920 les éditions « Au sans pareil » et publie poètes dadaïstes puis surréalistes. Il adhère par la suite au PCF, continue son métier d’éditeur sous d’autres formes. Résistant, il est arrêté puis déporté à Mauthausen d’où il rentre vivant en 1945. Ami de Louis Aragon, il travaille au sein des Editions Sociales jusqu’à l’âge de 83 ans.
Photos : collection Joël Houzet.
Sources : entretien avec M. Joël Houzet ; site internet personnel Joël Houzet ; site Gallica-BNF ; ouvrage « Double détente, Les relations franco-soviétiques de 1958 à 1964 », de Thomas Gomart, Editions de La Sorbonne, 2005 ; mémoire de master « La création du Comité Départemental de Libération du Lot et ses liens avec les Comités Locaux de Libération entre août 1944 et juin 1948 », Enzo Delpech, Université de Limoges, 2022.






