Ce député lotois qui aimait les éléphants
Natif d’Ussel (Lot), Noël Auricoste enseigne en Lozère où il est élu député en 1893. Plus tard directeur de l’Office des colonies, il intègre en 1906 la Société des Amis de l’Eléphant !
Nul n’est prophète en son pays, dit l’adage. Il est toutefois des exceptions. Quitte à être patient. En octobre dernier, enfin, Noël Auricoste est célébré par les siens. Son village natal que traversent l’ancienne RN 20 et l’autoroute
« Occitane » donne alors son nom à une rue. Mais il y a un problème. Ou plutôt deux. Ce village lotois, c’est Ussel. Même orthographe que la sous-préfecture de Corrèze. Du coup, dans nombre de notices biographiques, y compris celle du Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 de Jean Jolly, reprise sur le site de l’Assemblée nationale, Noël Auricoste est considéré comme né à Ussel… en Corrèze.
Par ailleurs, ainsi que nous le mentionnions d’ailleurs dans une brève dès le mois d’octobre 2023, on ne trouve trace de cette naissance dans les registres de l’état-civil de la commune mis en ligne sur le site des Archives du Lot. En revanche, celle du frère cadet en 1845 l’est bien… Nous avons enquêté. Et nous avons trouvé. Le 23 décembre 1862, le juge de paix du canton de Saint-Germain, arrondissement de Gourdon, dresse un acte de notoriété confirmant que Noël Auricoste est bien né à Ussel (Lot) le 25 décembre 1844. Son père, agriculteur et propriétaire, et les autres « témoins », indiquent dans cet acte qu’effectivement cette naissance n’a pas été consignée sur les registres, sans que l’on sache pourquoi… Or, on ne peut fait carrière sans un acte de naissance ou à tout le moins un écrit officiel s’y substituant. Et la carrière de Noël, né un 25 décembre (évidemment), fut tout à fait honorable.
L’ascenseur social a fonctionné
Ce fils de paysan débute alors qu’il n’a pas encore 20 ans comme instituteur adjoint à Catus (1864-1866), puis devient professeur adjoint durant quelques mois au collège de Figeac. Fin 1866, il intègre l’Ecole normale de Cluny nouvellement créée (dans les locaux de l’ancienne abbaye) pour former des enseignants spécialisés dans des disciplines « techniques ». Deux ans plus tard, le jeune prof lotois est nommé au collège de Mende, en Lozère, pour y enseigner la physique… Il y reste dix ans, puis bifurque. Noël Auricoste demeure fonctionnaire mais rejoint la préfecture de Mende comme chef de division. C’est là que le virus de la politique va le saisir. En 1893, ce républicain dans l’âme qui a bénéficié de l’ascenseur social (comme on ne dit pas encore) est élu député de la Lozère. Les archives démontrent que ce fut un parlementaire actif : « Il s’intéressa plus particulièrement à la décentralisation de l’enseignement primaire (1895), au personnel des bureaux de préfectures (1895 et 1896), à la création d’écoles pratiques d’agriculture et de viticulture (1895), au déclassement des routes nationales (1895), aux fermes-écoles (1895 et 1896), à la réfection du cadastre (1896), au personnel de l’enseignement agricole (1896) » lit-on dans le dictionnaire de Jean Jolly.
Dans le même temps, il dirige un journal et rejoint nombre de conseils d’administration à Mende (conseil départemental d’hygiène, de la prison, de la ferme-école…). Sans oublier des mandats locaux (conseiller général, élu municipal de Marjevols). Cet activisme n’est pas récompensé. Battu en 1898, il se voit toutefois confier en mars 1899 par le futur président de la République Paul Doumer la direction de l’Office des colonies à Paris, dont la création venait d’être décidée. « Il se consacra à l’organisation de cette institution avec dévouement, activité et compétence, ce qui lui valut d’être fait Chevalier de la Légion d’Honneur » note encore Jean Jolly.
Un ami des pachydermes
Les responsabilités nouvelles de l’ancien député l’amènent alors à rejoindre une association d’un genre particulier, fondée à la fin de l’année 1905 : la Société des Amis de l’Eléphant. Elle avait été créée par des journalistes spécialisés dans le développement des colonies, surtout en Afrique. Leur but : réunir scientifiques et personnalités du gotha pour protéger les éléphants d’Afrique, chassés pour leur ivoire. Mais attention : la préoccupation n’est pas liée à la sauvegarde de la biodiversité. Les Amis de l’Eléphant trouvent dommage que l’animal ne soit pas domestiqué en Afrique comme il l’est en Asie où sa puissance permet d’en faire un formidable « outil » de portage, dans les villes ou dans les travaux agricoles. La Société, grâce à son nom qui se révèle une belle trouvaille en terme de communication, obtient une certaine renommée médiatique. Mais cependant, elle ne parviendra pas à ses fins. Et la France ne ratifie pas, d’ailleurs, un traité visant à protéger le pachyderme…
Il en reste quelques travaux, des articles scientifiques, mais aussi des souvenirs de dîners de bienfaisance réunissant le tout Paris d’alors et quelques dessins humoristiques dans la presse de l’époque ! L’un des dirigeants, Edmond Perrier, par ailleurs président de la Société d’acclimatation, avait pourtant plaidé avec méthode : « Si l’on trouve le rôle de bête de somme incompatible avec la dignité humaine, il faut trouver des animaux capables de remplir le rôle dont on fait une obligation, souvent aux populations indigènes. L’éléphant, à la fois cheval et voiture, est tout désigné comme porteur. Il sera un aide précieux pour construire les chemins de fer dont on rêve de voir toute notre Afrique sillonnée ».
Critiqué en son pays d’adoption
Mais revenons à la carrière politique du député dans son département d’adoption. Elle ne fut pas de tout repos et malgré son dévouement, il faut croire que ses origines lotoises créèrent quelque méfiance, malgré les années. En mai 1896, lors des élections municipales à Marjevols, deux listes s’affrontent. Les opposants tirent à boulets rouges contre les amis du député né à Ussel. D’où cet article paru dans Le Moniteur en date du 3 mai : « Nous venons de lire la vigoureuse et patriotique profession de foi des candidats républicains de Marvejols. Nous avons en même temps sous les yeux les deux listes en présence. Et de ce simple rapprochement résulte immédiatement la constatation suivante. On sait que le grand cheval de bataille des réactionnaires consiste à surexciter le chauvinisme local, en reprochant à leurs concurrents républicains de n’être pas « enfants du pays. » Notre honorable et si dévoué député, M. Auricoste, qui est arrivé en Lozère à vingt ans, qui s’y est marié, y a eu son premier enfant et qui a consacré à ce département toute une vie de travail et de dévouement, ne trouve pas grâce devant leurs yeux II a beau avoir conquis droit de cité parmi nous en instruisant nos enfants, en prenant une part active et prépondérante à la gestion des affaires départementales pendant 30 ans, en tenant enfin sa porte toute grande ouverte aux revendications et aux sollicitations de ses électeurs qui sont devenus pour la plupart ses obligés. Il n’est pas enfant du pays ! Eh bien ! Parcourons un peu la liste réactionnaire : nous y trouvons, il est vrai, les noms de hauts et puissants seigneurs dont le passage aux affaires ne laissera pas dans l’histoire une trace plus profonde que celle de leurs successeurs républicains. Ce n’est pas le maire autoritaire et quinteux — au fond cordialement détesté de son propre parti — qu’était M. Mendras qui fera oublier le grand cœur et le cher patriote qu’était Jules Daudé ! Mais, il y a plus : M. Delmas, qui le suit immédiatement sur la liste réactionnaire, est né dans le département de l’Aude ! M. Podevigne est originaire du Cantal. Et, comme il s’agit des élections municipales de Marvejols, et avant tout des intérêts de la commune de Marvejols, nous avons le droit de récuser : M. Cordesse, de Recoules-de-Fumas ; M. Toye, de St- Germain-de-Calberte ; M. Astruc de Pin-Moriès ; M. Cabanes, de Chirac ; M. Charbonel, de Serverette ; M. Claret, de Mende ; M. Gaillard-Bertrand, de St- Bonnet-de-Chirac. (…) Les réactionnaires ne peuvent combattre qu’avec des armes déloyales : le mensonge ou l’intimidation. Marvejols possède une majorité républicaine incontestable. Elle ne se laissera ni entamer ni diviser. Il était bon de le constater une fois de plus. »
Des descendants illustres
Comme quoi, disions-nous en début d’article, nul n’est prophète ! Ni en son pays natal, ni en son pays d’adoption… Et c’est ainsi du reste que Noël Auricoste fut battu en 1898 ! Décédé prématurément en 1909, alors que vivant à Paris, il séjournait précisément à Marjevols, il aura eu toutefois la satisfaction de voir son fils Joseph (1880-1960) réussir comme horloger spécialisé dans les instruments de précision destinés notamment à la marine et à l’aviation. Sa société, et la marque Auricoste, toujours réputée de nos jours, produit des montres de luxe, l’entreprise ayant été revendue depuis des décennies à divers groupes. Quant à son petit-fils, Emmanuel (1908-1995), fils de Joseph, il fut un sculpteur de renom, élève de Bourdelle. « Il reçut des commandes pour orner un bas-relief du Palais de Chaillot, un monument à Chateaubriand à Milan et une porte de bronze de la Société des Nations, une statue de Fénelon à Cambrai et des monuments de bronze à Marvejols (Lozère) » nous apprend le dictionnaire Maitron, qui note que l’artiste fut une figure du PCF… Auricoste, quel nom !
Ph.M.
Sources : Archives nationales (base Léonore), site Gallica BNF, Le Maitron en ligne, « La société des Amis de l’éléphant : protéger, réglementer, domestiquer (1905-1911) », par Bruno Delmas et Diane Dosso in « L’animal : un objet d’étude » édité par Judith Förstel et Martine Plouvier, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2020 (en ligne).
Illustration : Dessin d’Henry Somm paru dans le journal humoristique Le Rire du 30 décembre 1905. Légende : « Malentendu. – Et pas moyen de lui faire savoir que je suis membre de la Société protectrice de l’éléphant ».