La capitale du Lot n’en finit pas d’être fouillée. Cette fois, une ancienne auberge a été mise au jour.
Ecrivain majeur du XXème siècle mais auteur inclassable, Julien Gracq avait l’art des formules assassines. Un an avant de refuser le prix Goncourt pour Le Rivage des Syrtes, il avait publié en 1950 un pamphlet visant précisément les mœurs et le milieu littéraires, dont le titre résonne toujours avec acuité : « La littérature à l’estomac ».
Bien plus tard, en 1988, il publie « Autour des sept collines », un recueil de notes consacrées à Rome qu’il visita tardivement. Ce géographe de formation s’attendait à être déçu en découvrant la ville, et l’ouvrage le confirme. Faisant allusion à l’addition des vestiges archéologiques qui ponctuent le moindre trajet d’un point à un autre quand on parcourt Rome, il écrit : « Tous ses viscères nobles mis à l’air, elle est la seule ville au monde qui ressemble à une autopsie… » On ignore cependant si Gracq a pu avoir une impression similaire quand il passa par Cahors à l’été 1958, venu passer quelques jours à Saint-Cirq-Lapopie chez son ami André Breton…
Toujours est-il que s’achèvent ces jours-ci les fouilles entreprises depuis avril au niveau du futur Campus Santé de Cahors, près du CHAI, avenue Pierre-Semard (et à proximité, justement, de l’avenue André-Breton…). « Nous savons que cette zone se trouvait au cœur de la ville antique et nous nous doutions que le sous-sol serait riche en vestiges. L’opération (c’est-à-dire les fouilles, NDLR) menée en collaboration avec l’Inrap devait se terminer le 29 août. Elle a toutefois été rallongée de deux semaines au vu des découvertes réalisées. Les vestiges étaient très bien conservés car les fondations des bâtiments contemporains qui se trouvaient au-dessus étaient peu profondes » a expliqué Aurélie Sérange, de la cellule départementale d’archéologie du Lot, responsable scientifique du chantier, à nos confrères du magazine Historia.
Une ancienne auberge près de l’Auberge du CHAI
Elle a détaillé ensuite les trésors découverts : « En premier lieu, nous avons eu la surprise de mettre au jour un fanum – un petit temple gallo-romain – qui correspondrait à la première occupation du site, probablement autour du Ier siècle après J.-C. C’est assez rare de mettre au jour ce type d’édifice dans un contexte urbain. » Et de poursuivre : « Nous avons pu identifier à peu près la moitié du bâtiment (…). Il était composé d’une galerie pour déambuler, ainsi que d’un espace central, dédié au culte, que l’on appelle une cella. (…). »
Un puits a par ailleurs été trouvé, contenant objets et restes d’animaux. Enfin, une auberge a été mise au jour : « Elle daterait d’entre le Ier et le IIIe siècle – les datations seront affinées lors des études post-fouille – et elle a connu plusieurs réaménagements au fil du temps. L’édifice était composé d’une galerie couverte (…). Il disposait d’au moins un étage, puisque nous avons mis au jour un départ d’escalier » a précisé Aurélie Sérange.
Cela étant, dans ce même quartier, des fouilles ont eu lieu durant des siècles et a fortiori quand furent implantés les équipements postérieurs à la Révolution industrielle (dernier tiers du XIXème siècle). On lit ainsi dans le Journal du Lot du 13 décembre 1883 : « Une nouvelle découverte archéologique à Cahors._ On sait que l’ancienne ville gallo-romaine de Divona se trouvait principalement dans la partie ouest de la ville actuelle, dans le voisinage du pont Valentré qui n’existait pas encore, et de la gare actuelle du chemin de fer. On s’attendait donc à la découverte de quelques vestiges de l’antiquité, de l’époque gallo-romaine, dans les fouilles qu’on était obligé de faire pour la nouvelle gare et pour le raccordement de la grande ligne en construction avec l’embranchement existant déjà. Cependant on n’a rien trouvé d’important dans le courant de deux campagnes ; ce n’est que dernièrement, en faisant une fouille près de la voie du côté sud de la gare actuelle, que l’on a trouvé le chapiteau magnifique d’un grand pilastre carré, fait avec le grès rouge qui a servi à l’érection des grands monuments de la cité gallo-romaine. Ce chapiteau est orné d’une rangée de feuilles d’acanthe d’un bon goût, qui se transforment en quatre volutes aux quatre coins du pilastre ; mais l’une de ces volutes est cassée car elle était formée d’une pièce rapportée qui tenait au chapiteau au moyen d’un boulon, dont on voit encore le trou dans la pièce principale. »
« Il y avait donc dans cet endroit un grand bâtiment, un temple ou une basilique. Cela n’a rien de surprenant puisque ce précieux vestige d’un grand monument, se trouve sur l’alignement d’une ancienne voie, qui descendait de la haute ville vers le bord du Lot. C’est sur cet alignement que l’on a découvert une belle maison romaine en février 1872, dans les ruines de laquelle on a trouvé un sanglier en bronze dont on peut voir le fac-similé au Musée de Cahors. Plus lard, en 1877, M. Disses, agent-voyer de la ville, a constaté l’existence d’un aqueduc ancien, dont la partie entre le jardin de la gare et le cours du Lot a été même utilisée pour l’écoulement des eaux de l’Avenue de la gare. Donc, l’existence d’une grande rue de l’ancienne cité gallo-romaine, dans la direction que nous venons d’indiquer est parfaitement constatée. Ce qui donne l’espérance que non loin de l’endroit où le chapiteau en question a été trouvé, on peut espérer d’autres découvertes du même genre. Au reste, nous espérons que ce beau chapiteau ira joindre les autres monuments lapidaires de notre Musée, réunis sous le grand escalier de la mairie. »
A Saint-Cirq-Lapopie aussi
Retour au XXème siècle et aux amis de Saint-Cirq-Lapopie… Quand ils se promenaient dans les ruelles escarpées du village, André Breton et Julien Gracq ne pouvaient ignorer le poids et les témoignages d’un passé d’une grande richesse. Comme en témoigne, en pleine guerre, cet article paru dans le Journal du Lot le 27 novembre 1941 (rubrique Saint-Cirq-Lapopie) : « Les fouilles du château-fort. – Il y a déjà quelques temps, on nous a parlé d’un projet de fouilles à exécuter dans notre féodale cité, particulièrement aux environs du château fort. Nous avons appris, depuis, que ces fouilles ne pouvaient désormais être pratiquées sans l’autorisation de l’administration des Beaux-Arts et c’est probablement ce qui les a jusqu’ici retardées. Voici quelques renseignements sur les fouilles qui ont eu lieu précédemment, soit dans les environs du château fort, soit dans notre bourg proprement dit. »
« Divers archéologues ont, en effet, remué depuis un siècle et plus, à plusieurs reprises, le sol de la cité. Citons, au hasard, M. Albarel expert géomètre à Saint-Cirq, qui, en 1805, fouilla sous le donjon, du côté de la
rivière du Lot, et ramena deux casques, une cuirasse, une épée et des objets d’art datant du XIVe siècle. En 1835, M. le docteur Pasquier originaire de Grenoble, médecin à Saint-Cirq, exhuma sur le côté du bourg des objets d’art des XVe et XVIe siècles. Ces objets consistaient dans deux poignards ciselés et une petite dague à double tranchant. Successivement ce furent notre compatriote M. le docteur Victor Bénech, médecin à Paris, qui, vers 1855, mit au jour une cotte de mailles bien conservée et des pièces de monnaie anglaise portant l’effigie du roi Edouard III d’Angleterre, ce qui fait remonter cette trouvaille à la première partie de la guerre de Cent ans, au XIV siècle ; M. Beauregard, avocat à Paris, lequel, en 1869, découvrit dans les ruines de notre ancienne église deux lances du XIIe siècle ; MM, Dessaint, Jon, Turleau,
archéologues également distingués, ont fouillé à leur tour parmi nous, et leurs recherches ont été couronnées de succès, entre les années 1868 et 1880. »
« Avec le concours d’un radiesthésiste »
« Enfin, M. Félix Bergougnoux, originaire de Cahors, percepteur de Saint-Géry, entre les années 1878-1890, a non seulement creusé notre sol au point de vue strictement local mais il a étendu ses recherches sur le Causse de Saint-Cirq-Lapopie. Sur le plateau de Pech-Ombran, il a fouillé un dolmen et exhumé le squelette d’un guerrier appartenant à l’époque gallo-romaine ainsi que plusieurs médailles et monnaies de cotte époque. Sous le château fort, à l’endroit où le capitaine protestant de Géniès s’empara de Saint-Cirq par surprise, en 1580, M. Bergougnoux a ramené des armes de diverses époques et des monnaies à l’effigie du roi Henri V d’Angleterre. Nous en oublions parmi les chercheurs obstinés qui sont venus ici exercer leur science archéologique et historique. On nous informe que les nouvelles fouilles que- nous espérons prochaines seraient faites avec le concours d’un radiesthésiste averti. Cela ne peut qu’en faciliter le succès, et nous en acceptons à l’avance l’heureux augure, tout en nous promettant de tenir nos lecteurs au courant. »
Sources : Site Historia, site Gallica BNF.
Photo d’illustration Département du Lot.





