Cahors, 1941 : Un officier de gendarmerie rayé des cadres parce que juif
Commandant de gendarmerie, André Ziwès est nommé à Cahors en 1941. Victime des lois scélérates de Vichy, il vit comme un paria jusqu’en 1944 mais devient général à la Libération.
19 décembre 1949. Une cérémonie singulière se déroule à Paris. Le préfet de Seine-et-Oise, Armand Ziwès, remet au général de brigade André Ziwès les insignes d’officier de la Légion d’Honneur. Les deux hommes se connaissent bien. Et pour cause. Ils sont cousins germains.
Quelques années plus tôt, André Ziwès n’imaginait peut-être pas vivre un tel moment. Le 21 juin 1941, alors qu’il avait été affecté à Cahors, le chef d’escadron (équivalent du grade de commandant) de gendarmerie a été rayé des cadres parce que juif. Il a d’ailleurs quelques semaines plus tard rempli un sinistre formulaire ainsi qu’une loi de Vichy le rendait obligatoire. Son nom et celui de son épouse figurent dans les dernières pages du Registre des Juifs tenu par la préfecture du Lot, suite au recensement qu’une loi de juin 1941 a instauré en zone libre. Mais les formulaires ne sont parvenus que le mois suivant dans les préfectures et commissariats… Le couple demeure alors quai Champollion à Cahors. Cet officier de gendarmerie devenu soudain un paria est pourtant, déjà, un héros. André Ziwès a en effet derrière lui un parcours exemplaire. Et jalonné d’épreuves.
Prisonnier en Allemagne durant la Première guerre
Né à Paris en 1893, il s’est engagé en 1911 comme simple soldat de deuxième classe au sein du 46e régiment d’infanterie. Quand la Première guerre est déclarée, il est déjà aspirant. Le 30 août 1914, le jeune officier est blessé alors qu’il mène l’assaut contre l’ennemi à Fossé, dans les Ardennes. Mais il est blessé et fait prisonnier. D’abord détenu sur le territoire français (à Vaux-en- Dieulet, dans les Ardennes toujours), il est bientôt conduit en Allemagne. Il ne rentre qu’en janvier 1919. Il retrouve l’école militaire d’infanterie et va participer en suite à l’occupation de la Silésie.
Mais en 1923, changement de cap, ou plutôt changement d’arme. Le jeune officier rejoint la gendarmerie et au fil de ses affectations successives _ Mortagne (Orne), Poligny (Jura), Sancerre (Cher), Fontainebleau, Mende (Lozère) et Beauvais _ correspond une régulière progression dans la hiérarchie. Capitaine en 1922, chef d’escadron en 1934, André Ziwès est même promu chevalier de la Légion d’Honneur en 1931.
Survient la Seconde guerre. En 1940, il est de nouveau cité pour avoir « courageusement dirigé le maintien de l’ordre sous un violent bombardement aérien ». C’est alors que les nuages sombres et honteux de l’État français initient une législation antisémite qui n’épargne personne. Muté en quelques mois à plusieurs reprises (Périgueux, Clermont-Ferrand), le voici assigné, en quelque sorte, dans le Quercy.
On ignore précisément combien de temps il séjourne à Cahors, en famille (ses enfants sont scolarisés dans le Lot, sa fille Micheline obtenant le bac au lycée Clément-Marot à l’automne 1941).
Le général avait un sacré cousin
Toutefois, après la nuit revient le jour. En octobre 1944, André Ziwès est rappelé à l’activité, selon la terminologie militaire. Le voilà affecté à Courbevoie puis Melun. Il décide de faire valoir ses droits à la retraite en avril 1946. Entre-temps, il a été promu général de brigade en octobre 1945. Il se retire à Vincennes où il décède le 26 avril 1961. Son cousin Armand Ziwès mourra un an plus tard. On devine que les deux hommes ont eu le temps de se raconter bien des choses, bien des souvenirs. Car la carrière d’Armand est encore plus romanesque : il a débuté instituteur pour finir préfet tout en ayant été un grand romancier spécialisé dans les polars et la littérature enfantine. Préfet du Gers à la Libération, il avait été révoqué par Vichy en 1942, mais l’ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde avait déjà rejoint la résistance depuis belle lurette. Il fit ainsi passer la ligne de démarcation à des centaines de Juifs, fabriqua des faux-papiers et commanda un groupement de guérilleros espagnols en Haute-Vienne (sic), selon un relevé de ses états de service accompagnant son dossier quand il fut fait officier de la Légion d’Honneur.
Ph.M.
Sources : site « force-publique » de La société nationale de l’histoire et du patrimoine de la gendarmerie et de la Société des amis du musée de la gendarmerie (biographie et photo), archives nationales, archives du Lot.