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Breton et Péret, les deux amis de Saint-Cirq-Lapopie


L’amitié est aussi une valeur cardinale en poésie. Dans son repaire lotois, André Breton a accueilli plusieurs étés durant son ami Benjamin Péret. Ils y chassaient les papillons. Mais pas seulement.

On connaît les phrases d’André Breton laissées sur le livre d’or de la commune : « C’est au terme de la promenade en voiture qui consacrait, en juin 1950, l’ouverture de la première route mondiale – seule route de l’espoir – que Saint-Cirq embrasée aux feux de Bengale m’est apparue – comme une rose impossible dans la nuit. Cela dût tenir du coup de foudre si je songe que le matin suivant je revenais, dans la tentation de me poser au cœur de cette fleur : merveille, elle avait cessée de flamber, mais restait intacte. Par-delà bien d’autres sites _d’Amérique, d’Europe _ Saint-Cirq a disposé sur moi du seul enchantement : celui qui fixe à tout jamais. J’ai cessé de me désirer ailleurs. »

Ce même livre comprend d’autres pépites, d’autres agates merveilleuses. Telles ces lignes signées Benjamin Péret, en juillet 1953 : « Saint-Cirq-Lapopie est un cactus toujours en fleurs depuis qu’il a surgi. Le temps n’a pas permis qu’elles se ternissent ni se fanent et chacun ne peut que les caresser du regard. Saint-Cirq-Lapopie est un cristal à travers lequel |on voit d’autres cristaux qui cachent des visages dont celui du troubadour |qui jadis sut _ un des premiers _ parler de l’amour. Que sa figure grandisse afin que s’efface l’image de ceux qui détruisirent le château qui a dû être couronné de papillons, où le guetteur répondait au chant du pic-vert en suivant le manège du rossignol de muraille s’affairant à alimenter sa nichée ! Le Château n’est plus qu’un squelette fossile dont le cœur durci bat encore de tous les tons de l’arc-en-ciel aux applaudissements des scabieuses et des orchidées sauvages qui sitôt se fatiguent. Mais le Lot est alors descendu d’un étage afin de se donner une chevelure de capillaires, tandis que les corbeaux désemparés sont allés se réfugier dans la falaise à barbe de figuier. »

Une amitié longue de 40 ans

Les deux poètes se rencontrent en 1920 après une introduction un tantinet cocasse. Depuis la périphérie nantaise, la mère de Benjamin Péret fait le voyage jusqu’à Paris où André Breton a fondé la revue « Littérature ». Elle prend le titre au pied de la lettre, ignorant que Breton et ses amis se sont engagés dans le mouvement Dada, dont il s’émanciperont pour fonder le surréalisme. Madame Péret achète un exemplaire de la revue et glisse à son interlocuteur que son fils « souhaite se lancer dans la littérature ». Quelques jours plus tard, Benjamin rencontre André. Le début de quatre décennies d’une amitié aussi solide que fraternelle, d’une admiration réciproque, d’engagements communs, sur le plan poétique, culturel, et bien sûr politique. Tous deux, notamment, ont très tôt deviné les dangers mortifères du stalinisme, quitté le PCF et du même coup certains de leurs amis communs et rejoint le trotskysme. Breton rencontrera le fondateur de la IVème Internationale juste avant la guerre, à Mexico. Péret, lui, ira combattre en Espagne.

Quand Breton achète l’Auberge des Mariniers, Benjamin Péret est l’un des premiers à découvrir les lieux dès l’été 1951. Des photos d’archives le montrent mettre la main à la pâte lors du long chantier de restauration (jamais achevé du reste). Il semble apprécier le village et la vallée. Cela étant, il loge en général à l’auberge. Même si l’ami André l’avait mis en garde contre la médiocrité des matelas et des menus ! Sur d’autres photos, on reconnaît les poètes à Cahors, devant le pont Valentré, au milieu des ruines de l’abbaye de Marcilhac-sur-Célé ou encore chassant les papillons ou plus simplement encore attablés au moment de l’apéritif… Le dernier séjour de Péret date de 1956. Par la suite, il souffre d’ennuis de santé qui l’emporteront dès 1959, ou de soucis financiers : car Péret, lui, ne posséda jamais rien. Militant syndical et politique, il sacrifie tout à la cause. Et à la poésie. Et aux arts, notamment ceux du Brésil (où il s’exila un temps), qu’ils fussent primitifs et/ou populaires, et dont il fut l’un des précieux découvreurs et ambassadeurs.

« Une lumière qui, jour après jour, m’a embelli la vie »

Cet homme entier exerça une influence constante sur André Breton. Qui lui rendit cet hommage dans « l’Anthologie de l’humour noir » : « Il fallait un détachement à toute épreuve, dont je ne connais bien sûr pas d’autre exemple, pour émanciper le langage au point où d’emblée Benjamin Péret a su le faire. Lui seul a pleinement réalisé sur le verbe l’opération correspondant à la sublimation alchimique qui consiste à provoquer l’ascension du subtil par sa séparation d’avec l’épais. (Avec lui) la censure ne joue plus, on excipe du tout est permis. Jamais les mots et ce qu’ils désignent, échappés une fois pour toutes à la domestication, n’avaient manifesté une telle liesse. (…) J’en parle de trop près comme d’une lumière qui, jour après jour, m’a embelli la vie. L’humour jaillit ici comme de source. »

Reste à expliquer qu’aujourd’hui encore, Benjamin Péret ne soit pas reconnu pleinement alors que bien de ses contemporains le considérèrent comme le meilleur d’entre-eux. Poète sublime, il n’accepta pas que les mots fussent embrigadés, même au service de la Résistance. Dans les poèmes d’alors signés Aragon ou Eluard, par exemple, il voit _ aussi _ des odes au nationalisme et au stalinisme. Il exprime ce refus d’obtempérer dans un pamphlet publié en 1945 qui met en émois le tout Paris, « Le déshonneur des poètes ». Qui s’étonnera dès lors que sur sa tombe, ses proches aient fait graver le titre d’un de ses recueils les plus époustouflants : « Je ne mange pas de ce pain-là ».

Rendez-vous à Saint-Cirq les 6 et 7 juillet

En 1963, est créée l’Association des Amis de Benjamin Péret. Breton, qui a été extrêmement affecté par le décès de son complice, fait partie des premiers adhérents. Depuis, d’autres ont pris le relai. L’œuvre complète de Péret a été publiée (7 tomes chez Losfeld et Corti), des cahiers annuels sont édités (comprenant régulièrement des inédits), certains de ses recueils sont publiés en collection de poche, des DVD et un site internet de qualité sont disponibles.

Il n’y avait donc rien de plus logique que plus de 60 ans plus tard, l’esprit de Péret revienne flotter dans les ruelles de Saint-Cirq. Invitée par la Rose Impossible ces 6 et 7 juillet, l’Association des Amis de Benjamin propose lectures et conférences au Centre international du surréalisme et de la citoyenneté mondiale. Au programme le samedi 6 juillet (à partir de 14 heures), présentation du Cahier Péret n°12 (Jean-Luc Gillet) et une communication de Karla Segura Pantoja : « Breton, Péret et le Mexique ». Le samedi 7 juillet (à partir de 14 heures, « l’amitié entre Breton et Péret » (Gérard Roche). Les communications seront accompagnées de lectures de poèmes et de textes. Entrée libre.

On ignore si, après les échanges, il est prévu de s’adonner au jeu de « L’Un dans l’Autre », une variante des célèbres cadavres exquis surréalistes que les deux amis inventèrent à l’été 1953, dans la petite cour ombragée de l’auberge des mariniers…

Ph.M.

Sources : « ANDRÉ BRETON / BENJAMIN PÉRET, CORRESPONDANCE 1920-1959 présentée et éditée par Gérard Roche » (éditions NRF Gallimard), site de l’Atelier André Breton, site de l’Association des Amis de Benjamin Péret.

Photo : Benjamin Péret et André Breton à la chasse aux papillons à Saint-Cirq.

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