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Août 44 : dans Cahors libéré, les premiers numéros de Liberté


La libération du Lot telle qu’observée par le journal « Liberté », proche du PCF.

17 août 1944. Cahors est libéré. Et tout le département avec. Ils étaient occupés par l’armée allemande depuis novembre 42, mais sous le joug du régime de Vichy depuis juin 40. Jadis radical, puis résolument conservateur lors de l’avènement du Front populaire et enfin clairement favorable au régime instauré par Pétain et donc à la collaboration, le « Journal du Lot » a cessé de paraître dès juin 1944. Il faut attendre le 23 août, soit quasiment une semaine, pour que paraisse le premier numéro non clandestin de « Liberté », qui se présente comme « l’organe du Front National du Lot ». Précisons d’emblée pour les plus jeunes que ce FN là était la déclinaison du Front National, « mouvement de résistance à l’occupation allemande, créé à l’instigation du Parti communiste français », selon la notice de la Bibliothèque nationale qui explicite encore : « [Il] s’efforça de rallier autour de lui des milieux sociaux, politiques et professionnels très divers. D’abord actif dans la zone Nord en 1941, ensuite dans le Sud. Il regroupa ses adhérents par professions. » Simple recto verso (le papier était rare), le premier numéro de « Liberté » paru dans le Lot libéré titre à la une « Paris ! Paris! ». Car l’actualité, de fait, c’est déjà la perspective de voir la capitale de la France libérée… Mais sur le plan local, on retient d’abord ce long récit logiquement et explicitement titré : « Plus un Allemand dans le Lot ! ». Nous reproduisons ci- dessous la majeure partie de l’article qui occupe l’essentiel de la première page (un long éditorial courant sur la colonne de gauche appelant par ailleurs à« l’unité des Patriotes » via les comités de libération…).

« Dans Cahors libéré

Les événements se déroulent avec une telle rapidité, l’écroulement du front allemand sur le champ de bataille de France est si flagrant, qu’il devient impossible d’en donner un tableau précis, sans être dépassé, quelques heures plus tard, par de nouveaux faits. Pour les habitants du Lot, cependant, la situation est claire. Le Lot est libéré. Totalement libéré. Nos populations peuvent se remettre au travail ; les routes sont désormais sûres, nos villages ne flamberont plus ; nous n’aurons plus à ramasser de nouveaux cadavres sur nos routes ou sur nos places publiques. Mongols, brutes des SS, officiers du Parti Nazi insolents et stupides, et ces individus tarés et sadiques de la Gestapo, tout a été nettoyé par nos volontaires des FFI ; et en premier lieu par ces braves bataillons des FTPF dont on ne saura jamais assez faire l’éloge. Mais il n’y a pas seulement que les Allemands d’Allemagne, les Prussiens de Prusse, il y a, il y avait aussi les Prussiens de France, ces hommes plus vils et plus coupables encore qui dénonçaient et pourchassaient les Patriotes, les livraient aux prisons, aux tortures, aux pelotons d’exécution boches ; les miliciens, les indicateurs de la Gestapo. De ces gens, certains se sont enfuis avec et dans les camions de l’ennemi. La justice du peuple les retrouvera. D’autres sont tombés entre les mains des Patriotes. La justice du peuple les jugera. Enfin, on verra plus loin que la trahison, toujours, paie mal ! Le peloton d’exécution de nos FFI a puni comme il convenait, avec la rapidité et la rigueur nécessaires, certains des plus évidents coupables de tant de nos malheurs.

Le Lot est libéré

Le département du Lot avait été souillé par la botte ennemie, par la trahison de certains Français. Par le fascisme de Hitler, par le fascisme de Pétain. Il est désormais libéré. Propre. L’ordre règne. Les lignes de communication se rétablissent. Les routes, les ponts se réparent. Le ravitaillement s’améliore. On verra plus loin les mesures immédiatement prises par l’Etat-Major des FFI, par le Préfet, par le Comité de Libération du Lot, par les comités locaux et le comité départemental du Front National pour restaurer la discipline, la circulation des marchandises, le libre exercice du travail, la rentrée des récoltes : en un mot une vie normale dans le département. Car l’objectif principal de tous et de toutes est la reprise du travail. La guerre n’est pas terminée. Les enfants ont encore faim, et pas seulement les enfants ! Nous manquons de tout […] La besogne est énorme. Jamais la solidarité des hommes entre eux ne s’est mieux affirmée ; le paysan est dépendant du cheminot, le cheminot du mineur, le citadin de l’éleveur, l’éleveur du transporteur. Aussi le mot d’ordre doit-il être pour tous et pour toutes,

Union, tout le monde au travail !

Ceci dit revenons quelque peu en arrière. Cahors a été libéré sans effusion de sang. Il est désormais permis de dévoiler que l’Etat-Major des FFI, pour des raisons d’urgence militaire, avait décidé d’attaquer Cahors, de l’enlever de vive force ; certaines unités étaient déjà en place ; au dernier instant, cependant, on apprenait qu’en cas d’attaque brusquée, les Allemands étaient décidés à s’emparer d’otages. 20 citoyens de la ville devaient être arrêtés. Et quel eût été leur sort ? On le devine aisément. En présence de cette situation, l’Etat-Major résolut d’attendre. Il apprenait d’ailleurs bientôt que l’ennemi se livrait à des destructions de matériel, brûlait ou évacuait ses archives : en un mot, allait de lui-même abandonner la ville. Il fut aussitôt décidé de surveiller ses mouvements, de le laisser partir de Cahors ; et de ne l’attaquer qu’au sud, sur les routes, loin de toute agglomération. Ce qui fut fait. Des prisonniers, du matériel tomberont entre les mains des FTPF.

Cahors est libéré

Le 17 août, à 14 heures, les dernières arrière-gardes allemandes quittaient, avec le dispositif d’usage de retraite, leurs derniers cantonnements en ville. Ils avaient auparavant saboté les lignes télégraphiques et téléphoniques ; fait sauter le standard à la Kommandantur. A 15 heures, les premières avant-gardes des FFI pénétraient en ville. Elles étaient bientôt suivies par l’Etat-Major au complet, les services techniques, le Préfet et ses collaborateurs. La Mairie était occupée. Dans la nuit, le Comité départemental du FN s’installait à l’Hôtel de l’Europe et se mettait dès 4 heures au travail. […] »  Suit encore le récit de l’organisation du ravitaillement, du nettoyage de la ville (dans les différents sens du terme) ou encore de la poursuite de l’ennemi afin de « libérer » l’axe de communication avec Toulouse.

Penser à l’avenir, panser les plaies

Toujours dans ce premier numéro de « Liberté », en page 2, un large encadré est titré : « Il y a deux sortes de morts ». Suivent le récit de la rafle de Gourdon du 29 juin 1944 et les noms des 23 otages fusillés le 30 à Boissières par des SS (certains de ceux-ci étant français). Ces Lotois sont « morts pour la France », selon le sous-titre du journal. Et on trouve en dessous les noms de « ceux qui furent exécutés pour trahison et intelligence avec l’ennemi ». Ils sont une quinzaine : « Le peloton d’exécution de nos FFI a puni comme il convenait, avec la rapidité et la rigueur nécessaires, certains des plus évidents coupables de tant de nos malheurs », avait-on lu en première page… On trouve encore une évocation du martyre d’Oradour-sur-Glane, un compte- rendu de la première réunion du Comité de libération du Lot, quelques informations « pratiques » concernant l’électricité ou les loyers des « patriotes aux armées ». Et enfin cet encart : « Les personnes possédant des documents photographiques sur la Résistance dans le Lot (photos de villages détruits, manifestations patriotiques, groupes de partisans…) sont priées d’entrer en contact avec le service de presse du Front National à Cahors ». Comme si, en ces premiers jours d’après-guère, quelques heures après la libération, on songeait déjà à en écrire l’histoire. Dans les numéros suivants, cet encart sera de nouveau publié. Mais on lit aussi très vite d’autres messages qui laissent à penser que la longue nuit de l’occupation et de ses horreurs est encore loin d’être achevée pour chacun. Voici par exemple ce communiqué du Service d’évacuation et de Regroupement des Enfants. « Le service d’évacuation et de regroupement des enfants et des familles déportées (subventionné par l’American Joint Comity) prie les personnes et œuvres sociales ayant pris à charge ou s’étant occupées de familles, personnes et enfants isolés, de nous faire parvenir tous les renseignements en leur possession à ce sujet, ceci dans le but de regrouper les familles israélites dispersées. D’autre part, il est également porté à la connaissance des personnes intéressées que toutes les demandes de renseignements pour les enfants et familles juives dispersées sont à adresser au même service. Les personnes libérées ou évadées des camps de concentration, prisons, pénitenciers, sont priées d’envoyer leur état civil et leur adresse au SERE (rue Maignac à Toulouse). » Dans ces mêmes numéros de cette fin d’été et de l’automne 1944, des éditoriaux appellent à l’union des forces représentées par le Front National et des chrétiens qui ont suivi les positions de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse qui a condamné la persécution des Juifs en 1942 et mis son important réseau au service des associations de secours israélites. Aux premières heures de la libération, une de ses formules (« L’argent doit être au service de l’homme » et non l’inverse) incite à imaginer de nouvelles alliances.

Une chronique judiciaire hors normes

Plus prosaïquement peut-être, une large place est accordée aux audiences de la cour martiale de Cahors devant laquelle sont déférés hommes et femmes convaincus de collaboration. Quelques phrases repérées au fil de ces longs articles : la condamnation à 10 ans de travaux forcés de M.T., fille publique qui a passé son temps « à banqueter avec les hommes de la Gestapo tandis que dans les bois le maquis crevait de froid et de faim ». Un an de prison pour Monsieur B., professeur de lycée, milicien qui a compris en… 1943 « que la milice luttait contre la France » et a prévenu certains collègues menacés. « Pourquoi n’avez-vous pas rejoint le maquis ? » tonne le président. « J’ai été trop bourgeois » répond l’enseignant. La peine de mort est requise à plusieurs reprises (et vite exécutée du reste) lors d’audiences ultérieures. La peine jugée légère dont a écopé l’enseignant pose question alors au public qui se presse pour assister à ces jugements. Et au rédacteur lui-même : il explique ne pas comprendre que des hommes plus jeunes n’ont pas bénéficié de la même compréhension. Et il insiste sur le cas d’un sergent d’origine sénégalaise, qui a rejoint la Résistance. Ivre, il s’est bagarré avec des gendarmes lors d’une fête villageoise. Des coups de feu ont été tirés. On lit avec stupeur que le commissaire du gouvernement (le procureur en quelque sorte) reproche au « nègre d’être redevenu nègre ». Sentence : un an ferme. Comme le professeur. « Comment comprendre qu’un frère d’armes subisse le même sort que B. qui livrait son pays aux Boches ? » s’emporte le rédacteur de « Liberté ». Oui, ainsi qu’on le lisait dans le premier numéro d’août, la guerre n’est point encore finie. Ni les drames qui la jalonnent. « Aux armes ! Aux outils ! Aux champs ! Combattons, produisons… Nous vaincrons ! » explicite un encadré en vis-à-vis de cette singulière chronique judiciaire.

Philippe Mellet

Source : fac-similés mis en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France.

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