Née à Cajarc en 1760, guillotinée en 1794, la religieuse fut l’une des inspiratrices de Bernanos pour son « Dialogues des carmélites ».
A première vue, à deux siècles d’intervalle, rien ne les rapproche. Entre la religieuse Annette Pelras morte en martyre à la Révolution et Françoise Sagan (1935-2004), romancière précocement célèbre pour son chef-d’œuvre « Bonjour tristesse », quoi de commun hors le fait d’être nées à Cajarc ? Sans doute une soif d’absolu, un rejet de la basse vilénie humaine (ou tout simplement des hommes, avec ou sans majuscule), une forme d’acceptation à tout donner (y compris son âme et sa personne physique)… jusqu’à tout abandonner…
Longtemps, la seconde nommée fut plus populaire. Mais en décembre dernier, feu le pape François approuvait la canonisation de la « bienheureuse » Annette Pelras, membre des carmélites de Compiègne et celle de ses 15 compagnes. L’aboutissement d’un long processus selon les règles de l’Église. Cependant, dès 1949, quand bien même son nom n’était pas cité par l’auteur, Annette Pelras et les martyres de Compiègne avaient été exhumées d’un long oubli par une autre figure singulière de la littérature française, Georges Bernanos, dans sa pièce « Dialogues des carmélites », un magistral opus que Francis Poulenc (un compositeur dont la foi fut transcendée à Rocamadour) déclina en superbe opéra.
Une beauté extraordinaire
La vie d’Annette Perlras (Annette Pelras, en religion Marie-Henriette) ? « Elle était née en 1760, à Cajarc, diocèse de Cahors, d’une famille qui offrait dans tous ses membres l’image de la sainteté. Vers l’âge de seize ans, elle était entrée comme ses soeurs dans la Congrégation des Dames de Nevers. Mais sa beauté extraordinaire lui ayant fait courir des dangers qui alarmèrent son âme innocente, elle résolut de chercher dans le cloître un refuge contre les adulations du monde. Elle avait vingt-cinq ans lorsqu’elle eut la joie de voir s’ouvrir pour elle les portes du Carmel de Compiègne. « Jamais, dit le Cardinal Villecourt, elle ne parut plus belle que lorsque, montant sur l’échafaud, elle leva pour la dernière fois vers le ciel ses regards étincelants du feu sacré qui embrasait son âme… » lit-on dans un des nombreux ouvrages relatant le drame au XIXème siècle, « Les carmélites de Compiègne mortes pour la foi sur l’échafaud révolutionnaire » (par l’abbé Odon, 1897).
Les faits sont désormais bien connus. En juillet 1794, seize religieuses carmélites de Compiègne sont condamnées à mort puis guillotinées par le Tribunal révolutionnaire en raison de « fanatisme et sédition ». Alors que régnait la Terreur depuis déjà deux ans, arrêtées, elles avaient fait le vœu dès 1792 de donner leur vie pour « apaiser la colère de Dieu et que cette divine paix que son cher Fils était venu apporter au monde fût rendue à l’Église et à l’État ». Leur courage et leur mort paisible impressionnèrent les foules. Elles furent béatifiées un siècle plus tard, en 1896.
Dans l’ouvrage déjà cité, paru un an après, l’attitude de la Lotoise est mise en avant : « Elle fit également preuve, pendant la Terreur, d’un héroïsme surhumain dans les occasions les plus dangereuses. Ame intrépide, douée d’une force morale et d’une force physique extraordinaires, elle procura à beaucoup de personnes le salut de l’âme et le salut du corps par sa présence d’esprit et par son dévouement. Son zèle se déployait surtout quand il s’agissait de soustraire quelque prêtre à la fureur révolutionnaire. Qui sait combien elle en préserva de la mort et de la détention ! Un soir, un d’entre eux, qu’elle connaissait très bien, arrive à l’hospice sous un déguisement, et lui dit à voix basse: « Soeur Thérèse, sauvez-moi, je suis découvert. – Venez, dit-elle, et, marchant devant lui, elle le conduit dans une salle où un homme venait de mourir, le fait mettre dans le lit voisin de celui du défunt, qu’elle allait ensevelir, puis, avec une adresse et une présence d’esprit qui n’appartenaient qu’à elle, elle fait passer ce dernier sous la paillasse. Enveloppant alors le prêtre dans un linceul, elle le met sur ses épaules et descend de la salle comme pour porter le soi-disant mort à la chambre destinée à recevoir les défunts de l’hospice, en attendant l’heure de la sépulture. On était habitué à lui voir remplir cet office quand il mourait quelqu’un dans les salles, depuis qu’il n’y avait plus d’infirmier. Au bas de l’escalier, elle rencontre une troupe de forcenés qui lui crient en vociférant : Citoyenne, nous savons qu’il y a un prêtre ici; et, coûte que coûte, nous l’aurons. – S’il vous faut celui-là, dit Soeur Thérèse, sans se déconcerter et en montrant son fardeau, vous pouvez le prendre ; pour d’autres, je n’en connais pas, cherchez tant qu’il vous plaira. – La mort a toujours quelque chose d’imposant : les bandits se rangèrent pour donner passage à Soeur Thérèse, et s’élancèrent ensuite dans l’escalier, à la recherche de celui qui venait de leur échapper d’une manière si providentielle. Ils se retirèrent bientôt après, persuadés qu’il n’y avait personne de caché dans l’hospice. »
A Cajarc, une lumière mystérieuse
Dans le même ouvrage dont on ne peut ignorer qu’il avait vocation, alors que la IIIe République s’affirmait, à édifier les fidèles voire à cultiver leur esprit de résistance, on lit encore ceci : « D’après le témoignage de plusieurs personnes dignes de foi, le jour de son martyre, son frère, Jean-Jacques Pelras, rentrant chez lui à une heure assez avancée de la nuit, ne fut pas médiocrement surpris de se voir subitement éclairé par une lumière mystérieuse qui l’accompagna dans le corridor, l’escalier et jusque dans sa chambre, alors que les maisons environnantes étaient dans une complète obscurité. Ce phénomène, qui l’impressionna vivement, fut aussi remarqué par sa femme. Peu de jours après, apprenant l’exécution de sa soeur, il s’écria : « Pauvre Annette, c’est toi qui es venue me voir ! »
Reste qu’Annette Pelras est également et enfin passée à la postérité pour une autre scène, ainsi que l’a rappelé l’évêque de Cahors il y a peu : « Elle a joué aussi un rôle unique en interrogeant lors du procès l’accusateur public Fouquier-Tinville sur ce qu’il entendait par l’accusation de « fanatisme ». Et c’est elle qui, après avoir eu pour réponse que c’étaient leurs « croyances puériles » et leurs « sottes pratiques de religion » qui étaient visées, va s’exclamer en s’adressant à la communauté : « Ma Mère et mes sœurs, vous venez d’entendre l’aveu que nous attendions toutes de la bouche de l’Accusateur : c’est pour notre attachement à la sainte religion ! Félicitons-nous, réjouissons-nous de ce que nous mourrons pour la cause de notre foi, notre confiance en la Sainte Eglise catholique et romaine ! » Et Mgr Camiade de remarquer encore : « On souligne souvent que dix jours après leur mort, Robespierre ayant été tué, la Terreur a cessé et un apaisement s’est réalisé dans le pays. Même si la paix ne fut pas absolue ni définitive, on peut y voir un fruit direct de leur offrande… »
Sainte Annette Pelras est désormais fêtée chaque 17 juillet. Plusieurs cérémonies se sont ainsi déroulées il y a deux semaines à Cajarc.
Ph.M.
Sources : site Gallica BNF.
Photo : tableau de Paul Hippolyte Delaroche (1797-1859)





