Enfant de l’assistance devenue princesse, elle fit fortune avec son charme et son charisme, gagna tous ses procès sauf celui qu’on lui refusa au printemps 1944.
C’est une simple brève, mais elle paraît néanmoins à la une du Populaire le 17 mai 1946. Comme si le rédacteur en chef de permanence avait deviné que ces quelques lignes et ces patronymes allaient faire saliver le lecteur. Titre : « André Cotillon avait été exécutée ». Et texte : « L’administration des Domaines a vendu le mobilier du château de Saint-Denis-Catus (Lot) comme biens saisis par l’Etat et ayant appartenu à Mme Vve Salviati, née Cotillon. Qui ne se rappelle les exploits de la pseudo-princesse de Bourbon qui fut mêlée, avant la guerre, à l’affaire Bonny et intenta au prince de Bourbon un procès en reconnaissance de paternité ? Cette Cotillon-là vécut sa vie comme un quadrille, mais la termina en danse macabre, pour n’avoir pas su quitter la piste au moment de l’occupation : les maquisards du Lot l’exécutèrent comme agent de l’ennemi, peu avant la Libération. La vente a rapporté 1.600.000 francs. »
Selon le convertisseur en ligne de l’Insee, la somme est tout sauf anecdotique. En terme de pouvoir d’achat, cela correspond à plus de 15 millions d’euros en 2025 ! Pour le reste, il faudra attendre le 15 janvier 1947 pour que le président du tribunal civil de Grasse ordonne « la mainlevée du séquestre mis sur les biens de la nommée Cotillon (Andrée), dite princesse de Bourbon, divorcée Salviati. demeurant à Saint-Denis-Catus (Lot), par ordonnance en date du 18 juin 1945 ». Comme quoi, même décédée, l’intéressée continua quelque temps à mobiliser l’énergie des greffiers ou magistrats…
Une vedette des faits-divers
Cela étant, après cette vente, d’autres journaux fouillèrent dans leurs archives et retracèrent les exploits de la vraie-fausse princesse. Comme France-Soir, toujours à la une, toujours en date du 17 mai 1946. « Capturée par le maquis du Lot et accusée d’intelligence avec l’ennemi, la pseudo-princesse de Bourbon fut fusillée peu de temps avant la libération. Andrée Cotillon a pris sa place parmi les vedettes des faits-divers parisiens en 1935, lors du procès Bonny. Le policier taré (*) poursuivait en diffamation un hebdomadaire quand elle demanda à être entendue. Fille naturelle d’une couturière parisienne, la Cotillon, placée par l’Assistance publique chez un fermier de la Nièvre, avait débuté dans l’aventure par quelques menus vols qui lui valurent sa première fiche de police. Aussi, quand elle connut ses premiers succès dans la galanterie, fut-elle bientôt la proie de la bande de maîtres-chanteurs que menait Bonny lui-même, que certain ministre n’hésitait pas alors à appeler le premier détective pas de France. La Cotillon « montait ». Elle avait des protecteurs de plus en plus importants, de plus en plus riches. Au fur et à mesure de son ascension, Bonny et ses complices augmentaient leurs exigences et lui extorquaient des sommes de plus en plus considérables. Ses révélations à l’audience firent sensation et provoquèrent l’ouverture d’une information contre Bonny. Le juge chargé de l’information était M. Benon, qui depuis lors a lui-même été condamné aux travaux forcés à perpétuité pour faits de collaboration. Mais, Bonny en prison, Cotillon poursuit sa carrière tapageuse. Pour arborer le titre ronflant qui lui manque, elle s’est acheté un père, et elle a choisi naturellement, le plus couronné sinon le plus honorable. En 1936 toujours, le prince de Bourbon-Naundorf l’a reconnue pour sa fille. Mais il a les dents longues ou Cotillon n’a pas la piété filiale assez généreuse. Elle lui coupe les vivres et par représailles, il la désavoue. Le procès en recherche de paternité dévoile de savoureux détails. Au moment de la conception de la fille putative du prince, ce dernier servait comme sergent de la coloniale en Chine où sévissait la guerre des Boxers. La couturière qui devait donner le jour à la belle Andrée exerçait son métier en chambre, rue Beaubourg, à Paris. La Cotillon ne pouvait laisser sans emploi sa popularité. Elle ouvrit une épicerie – bar – charcuterie boulevard des Batignolles, où se pressait le Tout-Paris, puis à Juan-les-Pins, la pension Stella Maria. Elle devait naturellement verser dans le marché noir, et elle fut inculpée pour ce chef dès 1941. »
Au cœur d’une faune pittoresque
Un autre quotidien de l’époque (il s’agit de La Presse), dans sa nécrologie d’un genre particulier, eut cette formule : « Ainsi se termina dans la honte la vie tumultueuse de celle qui fut un des exemples les plus frappants de la faune pittoresque, mais souvent dangereuse qui fleurit en France entre les guerres ». Sauf, donc, que l’aventurière _ c’est évidemment commun avec ce genre de personnages à qui tout réussit, légalement ou non _ n’a pas su s’arrêter à temps. Et c’est de fait à Juan-les-Pins, durant le début de la Seconde guerre, que le vent tourna.
Mais résumons d’abord le parcours : placée dans la Nièvre, l’enfant née en 1903 y connaît une jeunesse tranquille puis commet des délits. Sa peine effectuée, la jeune Andrée « remonte » à Paris. Elle s’y produit comme danseuse légèrement vêtue dans des cabarets spécialisés puis entame une carrière d’« escort girl », comme on ne disait pas encore, se rendant au domicile de richissimes clients. Elle fait fortune, tout en étant protégée par des hommes du « milieu ». Elle se marie brièvement avec l’un d’eux, le dénommé Salviati. Surviennent alors les célèbres épisodes de l’affaire Bonny, qui la fait chanter, et celui du prétendu prétendant au trône. Qui la reconnaît comme sa fille. Mais la loi est ainsi : une fois reconnue, elle ne peut plus perdre son titre de princesse…
Un temps commerçante dans la capitale, la désormais célèbre Andrée Cotillon descend sur la Côte et ouvre un établissement à Juan-les-Pins. Elle n’a pas la prudence de s’éloigner des affaires malgré la guerre. En effet, selon « L’Espoir de Nice », « on y organisait la nuit de fort joyeuses parties. On y sablait le champagne, on dansait, on jouait même. Et parmi les fidèles de l’établissement, on pouvait rencontrer, mêlé à tous les noceurs de la Côte, au moins un commissaire de police qui, depuis, eut des malheurs, ainsi que quelques individus qui déjà en 1941 furent arrêtés par la surveillance du territoire. Lorsque la zone Sud fut occupée, la « Princesse de Bourbon » se mit tout naturellement à la disposition de l’occupant. – Officiellement, cette fois. »
Une châtelaine peu fréquentable mais très fréquentée
Cependant, la Côte n’est pas un Eldorado tranquille. Surtout qu’une partie de la pègre locale s’est alliée à l’Occupant ou à ses zélés alliés vichystes. Inquiétée pour s’adonner au marché noir, Madame Cotillon cherche un repli. C’est ainsi qu’elle acquiert le château de Saint-Denis-Catus, dans le Lot. Il s’agit du Domaine de l’Escalié, ancienne propriété du Dr Emile Rey (1838-1922), maire du village de 1892 à 1906, conseiller général, mais aussi député de 1889 à 1906, année où il devient sénateur, siégeant au palais du Luxembourg jusqu’en 1920. Ami de jeunesse de Gambetta, ce républicain de progrès est resté célèbre pour avoir initié plusieurs lois sur les retraites et sur l’assistance médicale gratuite. En 1856 il avait hérité du domaine, au nord du bourg. Il y avait installé son cabinet et avait expérimenté dans le parc de nouvelles techniques pour parfaire la culture de la vigne.
Après sa mort, la propriété resta longtemps en déshérence. Par quel hasard Andrée Cotillon s’y intéressa-t-elle ? Puisqu’on ne ne prête qu’aux riches, il se dit qu’Anatole de Monzie aurait aidé à la négociation. Toujours est-il que fin 1942, début 1943, la princesse y emménage. Avec ses meubles et collections dont la vente rapportera plus d’un million et demi… Les lieux deviennent vite très fréquentés. Mais mal. De riches collaborateurs, des officiers allemands et des arrivistes. Sans oublier des jeunes femmes peu regardantes mais très regardées. Cahors n’est pas loin. L’endroit assez discret. La chère y est goûteuse et la chair assez faible. Et à la belle saison, Madame Andrée a une nouvelle lubie : elle s’adonne (mais par philosophie dit-elle) au naturisme.
Première alerte en novembre 1943. Selon La Liberté de Nice (édition 31 juillet 1945), un voyou membre du PPF (parti collaborationniste fondé par Doriot), met à sac le château de la princesse. Celle-ci, note le journal, vivait alors avec un certain Tissier, ancien complice de Stavisky pour lequel il avait dirigé le crédit municipal de Bayonne… Cependant, ce même article daté de juillet 1945 s’achève par ces mots laconiques : « Depuis février dernier, la princesse de Bourbon a disparu, en compagnie d’un autre habitant du château, le nommé Tissier, membre de la bande Stavisky. Ils n’ont plus donné signe de vie ! Que sont-ils devenus ? C’est ce que la police cherche à savoir. »
En fait, Andrée Cotillon et Gustave Tissier ont été tués le dernier week-end de mars 1944 au château par des résistants assurant la liaison entre le maquis de Douaumont (basé sur Cajarc) et la 35ème brigade FTP-MOI, qui multiplie les actions en région toulousaine (**). Etonnamment, ou pas, les invités habituels du château et de ses parties fines sont absents. Habituée des prétoires, Andrée Cotillon est abattue sans avoir pu plaider sa cause. Intelligence avec l’ennemi, retiendra l’histoire d’abord officieuse, puis officielle. Une chose est sûre : celle qui avait rabattu son caquet à l’infâme Bonny et pris à son propre piège le très putatif descendant des rois de France, celle qui avait séduit les notables parisiens comme les fêtards, artistes et dandys en goguette de la Côte d’Azur comme les crapules opportunistes et les officiels et officiers de tous bords, est partie avec ses secrets. Elle ne suivait qu’une morale : la sienne. Ce n’était pas une morale très reluisante, évidemment.
Ph.M.
(*) : « Se dit de quelqu’un qui est porteur d’une tare physique ou morale » selon le Larousse. Dans le cas du policier Bonny, on choisira la tare morale. Ayant été à la manoeuvre dans la plupart des grandes affaires des années 1930, recruté par la milice et la police allemande sous l’Occupation, ayant torturé et tué nombre de résistants ou civils (comme à Tulle), il fut condamné à mort à la Libération.
(**) Version retenue dans le livre de Cédric Meletta, qui s’appuie sur des sources judiciaires conservées notamment à Agen.
Photo : Andrée Cotillon à la barre du tribunal. Parue dans Police Magazine, 9 décembre 1934 (site Gallica BNF).
Sources et références : Site Gallica BNF ; « Diaboliques, Sept femmes sous l’Occupation », Cédric Meletta, éditions Robert Laffont, 2019.





