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A Figeac, le fils du cheminot attaquait les trains 


Raymond n’a pas vraiment suivi la voie de son père employé des chemins de fer. Il aimait les trains quand ils transportaient de l’argent en liquide. Le Lotois est mort au bagne. 

Le 22 novembre 1907. Il fait encore nuit quand le train Toulouse-Paris quitte Etampes, dans l’actuel département de l’Essone. Le reste est expliqué très minutieusement dans le quotidien Le Matin du 23 novembre, à la une, en dessous d’un schéma (notre illustration) qui préfigure les infographies dont la presse est désormais friande. Sous un titre et un sous-titre explicites : « A l’assaut d’un train. Trois voyageurs de première classe, pendant qu’un train file à 70 km/h, se faufilent dans le wagon des messageries, tirent des coups de revolver, emportent des caisses d’argent et disparaissent. » 

Ainsi débute le compte-rendu qui évoque ce que l’on ne nomme pas encore un scénario digne d’un western : « Il s’est passé, la nuit dernière, à quelques kilomètres de Paris, une scène qui rappelle et inaugure chez nous les mœurs des Gauchos en même temps qu’elle évoque le souvenir des temps lointains du Directoire et du Consulat, où chauffeurs et compagnons de Jéhu (groupes armés contre-révolutionnaires ayant fait régner la Terreur blanche de 1795 à 1799, NDLR) attaquaient et dévalisaient les diligences. Le train 16, qui quitte Toulouse la veille à 2 h 43 (de l’après-midi) pour arriver à Paris à 4 h 45 du matin, a été, hier, le théâtre d’un acte de banditisme, qui recule encore les limites connues de l’audace déployée jusqu’ici par les malfaiteurs. Comme dans les solitudes américaines où les tribus des Indiens – Apaches ou Sioux – attaquent et dévalisent les trains, rançonnant et tuant les voyageurs, le train 16 a été cambriolé et volé, en pleine vitesse, par trois bandits, qui, à coups de revolver, ont blessé deux agents de la Compagnie d’Orléans. La préméditation est établie, elle révèle une audace et aussi un courage qu’on n’a pas l’habitude de rencontrer chez les professionnels du vol. » 

L’enquête sera assez rapide. Les enquêteurs devinent qu’ils sont peu nombreux, dans le petit monde du banditisme de l’époque, à avoir pu préparer un tel coup. Il fallait des malfaiteurs connaissant bien les usages en vogue dans le transport ferroviaire, et des hommes n’ayant pas froid aux yeux. Alors, rapidement, on soupçonne un certain Raymond Albinet d’être le chef d’équipe. C’est un spécialiste. Il a été condamné, déjà, pour des faits similaires, en 1897. Mais il s’est évadé du bagne. Ainsi, la police a du mal à mettre la main sur lui. Jusqu’à ce qu’on le localise à Bordeaux. Il y est arrêté. Mais l’homme nie. Farouchement. Il dit se nommer Leray. On compare les mesures anthropométriques, les photos. On fait même appel au spécialiste et fondateur de la police scientifique, Bertillon. Lequel est formel : c’est bien Albinet. Mais le doute persiste. 

Un reporter envoyé à Figeac 

D’autant que la famille et les proches d’Albinet ne le reconnaissent pas sur les photos prises dix ans plus tard, c’est-à-dire dix ans après son départ vers Cayenne… Alors le journal Le Matin envoie un de ses reporters à Figeac. L’article paraît le 1er mars 1908. « Tandis que, plein de perplexité devant les dénégations de son prisonnier, M. Germain (juge d’instruction) se morfond en son cabinet d’Etampes, j’étais allé de mon côté, ce matin, questionner les père et mère d’Albinet, du véritable Albinet, de celui que la cour de Bourges avait condamné, en 1897, à vingt ans de travaux forcés. C’est là-bas, dans le Lot, à Figeac, où depuis l’heure de sa retraite, M. Augustin Albinet, ancien chef de station de la Compagnie d’Orléans, est venu vivre là, entre sa femme et sa fille, une pâle jeune fille de vingt-deux ans, et y a abrité sa douleur. Et M. Albinet me narre les tristes aventures de son fils. » 

« En 1892, il avait dix-huit ans, il fut condamné une première fois, avec sursis, à Aurillac, où il était homme d’équipe, pour vol d’une caisse de recettes de la Compagnie d’Orléans. A la suite de ce premier avatar, son père le fit s’engager aux « Joyeux » (surnom d’un bataillon d’infanterie d’Afrique réputé pour enrôler des repris de justice, NDLR). En 1896, son service militaire terminé, Albinet, après un court séjour à la maison paternelle, gagna Paris, et un beau jour ses malheureux parents apprenaient qu’il était arrêté comme l’auteur d’une audacieuse agression commise contre un express, aux environs de Vierzon. Traduit devant la cour d’assises de Bourges, il avoua sa faute et fut condamné à vingt ans de bagne. En 1903, M. Albinet, convoqué à la sous-préfecture de Figeac, apprenait que son fils s’était évadé et qu’on le croyait mort. Quelle ne fut pas sa surprise en recevant, peu de temps après, une lettre de son fils datée de Panama. Il lui disait qu’il était engagé là-bas comme mécanicien et qu’il espérait se faire une vie nouvelle. Deux mois après, dans une nouvelle lettre, il manifestait à son père l’intention de rentrer en France, où, disait-il, il devait être oublié. M. Albinet lui écrivit pour l’en dissuader et il attendait une réponse lorsque se produisit l’attentat d’Etampes et, peu après, l’arrestation, à Bordeaux, d’un homme qu’on disait être Albinet. « Je me disposais à partir pour Etampes pour voir une dernière fois mon malheureux fils, lorsque les journaux publièrent la photographie de l’homme arrêté à Bordeaux. Alors, ce ne fut même pas de l’incertitude. Une nouvelle conviction s’était faite dans mon esprit. Cette photographie n’était pas celle de mon fils. Onze années ne pouvaient l’avoir ainsi changé. Ni ma femme, ni ma fille, ni moi ne le reconnaissions. Non, ce n’était point là notre enfant. » 

L’envoyé spécial du Matin continue alors : « J’ai là, dans ma poche, deux agrandissements photographiques : l’un de la photographie prise en 1897 par le service anthropométrique de Paris après l’arrestation d’Albinet l’autre, pris il y a quinze jours par le service anthropométrique de Bordeaux, après l’arrestation de Leray, à l’hôtel des postes, par l’agent Charon. Déjà, tout à l’heure, je dois le dire, j’étais allé soumettre ces photographies à quelqu’un qui, autrefois avait connu tout particulièrement le fils Albinet : c’est M. Labri, chef de gare de Figeac, en retraite depuis quinze jours. M. Labri avait été autrefois son chef de service à la gare d’Aurillac. Longuement, il compara les deux images et, me désignant la première, celle de 1897, il dit : « Oui, c’est bien là Albinet, l’homme qui fut employé dans mon service à Aurillac. Quant à la seconde photographie, celle prise à Bordeaux il y a quinze jours, ce n’est point celle d’Albinet. Je ne reconnais point cette physionomie. » 

Le père ne reconnaît pas son fils 

« En même temps M. Albinet semait dans mon esprit un dernier doute. J’ai su, me dit-il, que l’homme arrêté l’autre jour à Bordeaux par l’agent Charon, le fut sur la désignation d’un chef de train qui était employé autrefois avec mon fils. Ce dernier prétendait l’avoir aperçu descendant récemment à la gare de Bordeaux. Or, voilà seize ans que mon fils a quitté la Compagnie. Il avait alors dix-huit ans ; il en a aujourd’hui trente-quatre, s’il n’est pas mort. Vous avouerez qu’il faudrait, en ce cas, qu’il ait bien peu changé pour avoir été reconnu aussi facilement. « Non, voyez-vous, maintenant, je suis persuadé, que l’homme arrêté par la police bordelaise n’est pas mon fils. » 

Pourtant, l’instruction se poursuit. Les interrogatoire aussi, tout comme les confrontations. A chaque fois, le mis en cause répète qu’il se nomme Leray, qu’il n’est pas Albinet, qu’il ne connaît pas d’Albinet. Lors d’un interrogatoire, 

Leray finit par s’énerver, comme le rapportent les journaux. « Je vous ai déjà dit, s’écrie-t-il, que je n’étais pas Albinet, et si vous persistez à m’appeler de ce nom, je ne vous répondrai point. Je suis Louis Leray, et c’est tout. Le lieu de ma naissance, les différents détails de mon identité, vous ne les connaîtrez que plus tard, lorsque le moment sera venu, car il y a des gens à qui je ne voudrais point, à cette heure, causer de peine. Mais, je vous le répète, je n’ai rien de commun avec l’ancien forçat Albinet, dont les journaux m’ont appris les hauts faits. » 

Son avocat appuie cette ligne de défense :« Mon client s’appelle Leray,  dit-il, et non Albinet, Il le soutient. Et, jusqu’à ce qu’on l’ait convaincu de mensonge, vous ne pouvez l’interroger que sous le nom de Leray. En outre, je tiens à protester contre le régime auquel le soumettent, dans la prison d’Etampes, des gardiens malveillants. Cela doit cesser. »

Il avoue et sera grâcié 

Mais la justice suit son cours et finalement, l’affaire est jugée aux assises en janvier 1909. Récidiviste, évadé du bagne, Albinet est condamné à mort pour tentative de meurtre et vol qualifié. Et là, tout bascule. Le Matin, toujours, relate ainsi le 10 janvier 1909 : « Après le verdict de la cour d’assises de Versailles, le condamnant à la peine de mort, Albinet ne manifesta aucune émotion pendant une heure. Ce fut seulement à huit heures du soir, pendant qu’il attendait, en compagnie de quatre gendarmes, son transfert dans la cellule réservée aux condamnés à la peine capitale, qu’il commença à manifester les signes de la plus vive inquiétude. Il demanda combien de temps on mettrait à lui apporter la nouvelle de sa grâce, si toutefois elle lui est accordée, ce dont il commence à douter. Deux gardiens de prison le renseignèrent avec précision, lui prodiguèrent des paroles d’encouragement, et le condamné, revenu au calme, demanda à parler en particulier au brigadier de gendarmerie. Celui-ci ne put accéder à son désir, mais il engagea vivement le triste héros du pillage du train 16 à s’expliquer devant tous ceux qui étaient présents. » 

« C’est alors que le prétendu Leray dit à voix très haute : « Eh bien, oui, ceux qui m’ont condamné ne se sont pas mis le doigt dans l’œil. C’est bien moi, Albinet, l’ancien employé de chemin de fer, évadé du bagne. C’est moi qui ai attaqué le train 16. Mais je jure que je n’ai pas tiré un coup de revolver dans cette circonstance ; j’en voulais à la caisse et non à la peau des gens… C’est Marin qui a blessé le chef de train. Je ne mérite pas la mort. A ce moment, une sonnerie se fait entendre : la cellule est prête, et deux gardiens emmènent, à travers les escaliers mal éclairés, le condamné à mort, qui marche d’un pas ferme vers son nouveau logis. » 

Né à Figeac le 22 avril 1873, Raymond Albinet ne sera pas guillotiné. Le 27 février 1909, il est gracié par un décret du Président de la République Armand Fallières. Il décèdera au bagne, en Guyane, en janvier 1926. 

Ph.M. 

Sources : site Gallica BNF (journaux) et archives de la Creuse (où la famille est domiciliée quand le fils Albinet s’engage dans l’armée) qui conservent le livret militaire de l’intéressé. Le document mentionne aussi ses condamnations postérieures. 

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