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A Espère, la saga des Jean Miquel 


Homonymes, mais destins singuliers. En 1874, le lieutenant Jean Miquel né à Espère en 1834 se voit décerner la Légion d’honneur. En 1908, four fêter la défaite du maire sortant Jean Miquel, les radicaux organisent un banquet ! 

Les archives réservent parfois de drôles de surprises. Ou nous laissent orphelins : on y trouve des réponses, mais on en ressort avec plus de questions encore ! C’est le sentiment qui nous anime après avoir étudié le destin de Jean Miquel, né à Espère en 1834. Fils d’un cultivateur lui-même déjà prénommé Jean, il rejoint comme « engagé volontaire » le 23 mars 1852, à tout juste 18 ans, le 43ème régiment d’Infanterie de ligne. Jean Miquel est promu caporal un an plus tard, avant d’être nommé sergent le 15 mars 1855. A cette date, il participe à la campagne d’Orient qui s’étire jusqu’en juin 1856. Puis le Lotois va combattre, toujours avec le même régiment, en Italie, du 28 avril au 21 août 1859. 

Prisonnier à Sedan puis détenu en Allemagne 

De retour en France, Jean Miquel poursuit son ascension. Il est d’abord promu adjudant en août 1865 avant de devenir officier, nommé sous-lieutenant au sein du 45ème régiment d’Infanterie de ligne le 6 mars 1869. Mais bientôt survient la guerre qui précipite la fin du Second empire. Comme des dizaines de milliers d’autres, Jean Miquel est fait prisonnier à Sedan le 1er septembre 1870. Tandis que Napoléon III est décrit errant sur son cheval dans les faubourgs de la ville avant de négocier sa reddition, le jeune officier du Quercy rejoint sans doute alors la sinistre presqu’île d’Iges. Une boucle de la Meuse où sont en quelque sorte parquées les troupes françaises. Un camp à ciel ouvert où plusieurs jours durant, les conditions de détention se révèlent terribles. Zola les décrit dans La Débâcle. Les prisonniers (au nombre d’environ 83 000) ont faim et ils ont peur. Quant à ceux qui se risquent à traverser la Meuse pour échapper à leurs geôliers, ils sont abattus ou meurent noyés. 

Jean Miquel et les autres sont transférés quelque temps plus tard vers l’Allemagne. A pied puis en chemin de fer. La vie au quotidien n’a plus rien à voir avec celle connue à Sedan ni à ce qu’elle sera, dans les camps de prisonniers allemands, au XXème siècle lors de la Première puis surtout la Seconde guerre. Les officiers, surtout, sont traités correctement. Jean Miquel est noté de retour en France le 10 avril 1871. Dès le 14, il est affecté au 17ème régiment provisoire d’Infanterie, puis ce sera le 117ê meen mai 1872, une unité nouvellement créée, avant d’être promu lieutenant le 3 août 1872. 

Deux ans plus tard, il est fait par décret chevalier de la Légion d’honneur le 20 août 1874. La nouvelle lui est transmise avec le brevet afférent alors que le 117ème est stationné à Villeneuve-l’Etang, sur l’actuelle commune de Marnes- la-Coquette, dans les Hauts-de-Seine. Quant à la décoration elle-même, c’est devant les troupes qu’elle est épinglée sur son uniforme… 

Est-il effectivement rentré à Espère ? 

Bien que relativement courte (notre Lotois n’a alors que 40 ans), la carrière de Jean Miquel touche à sa fin. Plus de campagnes, plus de guerres… Et c’est alors que son unité est désormais basée au Mans que le 24 juin 1882, le lieutenant est admis à faire valoir ses droit à la retraite. Sur le certificat, on lit que l’intéressé déclare « se retirer à Espère ». Il cesse aussi dès lors de bénéficier en sus de son solde d’officier d’un « traitement » annuel de 250 francs comme chevalier de la Légion d’honneur… Dans ses bagages, deux autres décorations : la Médaille d’Italie et celle de la Reine d’Angleterre (pour avoir combattu en Crimée). 

Ainsi donc Jean Miquel, en 1882, est-il a priori rentré au pays. Dans son village d’Espère le bien nommé… Nous n’avons pas retrouvé sa trace toutefois dans les divers recensements de la fin du XIXème et du début du XXème. Il y a des Jean Miquel à Espère, mais les âges ne correspondent pas. Pourtant, un détail sur le dossier de l’officier conservé aux Archives nationales interpelle. Sur un certificat indiquant son numéro de matricule, émanant de la chancellerie de la Légion, on lit ceci. Date de décès : « centenaire ». Le mot a été calligraphié au crayon de mine. Comme en attente d’être en possession de la date effective. Cette hypothèse voudrait que Jean Miquel eût fêté ses 100 ans en 1934. Une époque où les centenaires étaient rares. Pour l’heure, nous n’avons trouvé aucune mention d’un Jean Miquel, né à Espère, ayant eu 100 ans cette année-là. Qu’il habitât encore ou non à Espère ou ailleurs… 

La dure campagne de 1908 

Mais le village a compté d’autres Jean Miquel. Au tournant du XXème siècle, le maire de la commune s’appelle ainsi. Il signe les actes d’état-civil que l’on peut observer en ligne. Il semble apprécié puisque réélu en 1900 et en 1904, ayant été élu une première fois au milieu des années 1890… Mais en 1908, patatras. Il faut dire que le pays est déchiré. Et Cahors aussi. Il n’y a plus guère de « royalistes », hormis à l’extrême-droite, que l’affaire Dreyfus a évidemment excités. En revanche, il demeure des conservateurs et des réactionnaires auxquels s’opposent les radicaux et républicains. Sans parler des premiers socialistes. En 1908, le pays se remet aussi doucement de la loi de 1905 et de la séparation de l’Église et de l’État. Dans ce climat, Jean Miquel et sa liste sont vaincus à Espère. Comme à Cahors, comme dans le pays tout entier, la campagne y a été rude. Violente même, parfois. D’où cet incroyable article paru le Journal du Lot, dans son édition du 24 mai 1908. 

« Espère. Bonne fête républicaine. – Dimanche dernier, il y avait grande fête chez nous. Les nouveaux conseillers municipaux avaient invité tous les électeurs de la commune à un banquet fraternel afin de célébrer la belle victoire démocratique du 3 mai. Leur invitation, imprégnée de la plus franche cordialité, a été acceptée par plus de 60 citoyens. Les jeunes gens même, ont exprimé le désir de s’associer à cette manifestation essentiellement républicaine. Certes, nul ne songe à les en blâmer. Au contact de ces endiablés de radicaux qui viennent d’acculer la réaction et d’infliger un piteux échec au « vaillant adjoint » qui pourra, désormais, aller vider son carquois « sur la verte prairie » et dont l’outrecuidance allait jusqu’à affirmer, « aes triplex », que « les gros mangeraient toujours les petits », ces citoyens en herbe ont certainement trempé leur énergie naissante ; ils ont pu constater les bons effets de l’entente étroite et cordiale. » 

Jean Miquel a quand même pavoisé 

« C’est dans la salle du Comité qu’a eu lieu le banquet sous la présidence de l’honorable et sympathique M. Simon, maire. Superbe fut la décoration, délicieux fut le menu, irréprochable fut le service. Un orchestre amené par la jeunesse prêta son concours. Il exécuta les meilleurs morceaux de son répertoire, sans oublier la Marseillaise. Dans cette circonstance on aurait dit que clarinettes et pistons tenaient à proclamer aussi leur foi républicaine et que les baguettes du tambour Mazières se trouvaient entre les doigts de quelque fée. Chacun sentait bien qu’il avait de vrais amis à ses côtés, puisque la moindre note discordante n’a éclaté dans ce concert de bonnes volontés ardemment républicaines. Au dessert M. le Président, en des termes excellents, et aux applaudissements de tous, a félicité les convives d’être venus en si grand nombre. » 

« Il n’a pas manqué d’associer à ces remerciements les fermes démocrates de Mercuès, qui par leur présence avaient tenu à rehausser l’éclat de cette fête intime. Il a bu à tous ceux qui avaient fait tout leur devoir. La soirée se termina au milieu de la joie générale. Les jeunes gens organisèrent un bal champêtre et dansèrent jusqu’à une heure assez avancée de la nuit. On s’est séparé aux cris de « vive la République ». Un fait particulier mérite d’être signalé. L’ancien maire a pavoisé sa maison et l’a illuminée le soir. C’était son droit disent les uns ; c’était pour fêter son enterrement affirment les autres ; d’aucuns pensent qu’il espérait ainsi déguiser le dépit. Formons des vœux pour qu’il nous donne la clef de l’énigme. En attendant, réjouissons-nous d’avoir mis fin au régime despotique que nous subissions et d’avoir enfin proclamé la république radicale à Espère. Signé : un groupe d’électeurs. » 

Ph.M. 

Sources : Archives nationales, Archives départementales du Lot. Photo : site Military Photos. 

Légende : Le lieutenant Miquel a-t-il été centenaire ? Et s’est-il réellement retiré à Espère ? 

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