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A Douelle, quand les petits Marseillais apprenaient à faire chabrot 


Où il est question du #Lot et des #Lotois sur les réseaux sociaux.

– L’accueil récent de réfugiés ukrainiens ne fait que témoigner d’une déjà longue tradition : le Lot demeure une terre d’accueil pour ceux qui fuient la guerre et les persécutions. Ce fut particulièrement le cas au XXème siècle pendant la Seconde guerre mondiale. Et même un peu avant, quand s’établirent en Quercy des familles espagnoles. Puis vint mai 40 et l’Exode. On estime qu’au moment de l’Armistice, à la mi-juin, on recensait 70 000 réfugiés sur Cahors.

– Beaucoup rentrèrent chez eux quelques mois plus tard, sauf les Alsaciens et Lorrains qui ne voulaient pas intégrer le IIIème Reich, sauf des familles qui savaient leur domicile détruit, et bien sûr, très vite, ceux qui étaient persécutés… Il est toutefois un épisode moins connu. Au début de l’année 1944, les Alliés préparent leur débarquement en Provence (qui aura lieu en août) et bombardent les ports et ouvrages militaires du littoral méditerranéen. Le gouvernement de Vichy met en œuvre alors une opération visant à protéger les populations civiles, à commencer par les femmes, vieillards et enfants (sic). Le Lot est au rendez-vous. C’est ainsi que des enfants puis des familles sont dirigés en février vers Cahors et sa région.

– Quotidien national jadis bien coté mais alors devenu collaborationniste, Paris-Soir dépêche un de ses reporters dans le Lot et dans son édition du 17 février 1944, l’article paraît en une du journal… On n’est pas dupe évidemment à la lecture de certains passages très orientés, voulant mettre en avant la belle entreprise des autorités. Mais on se surprend toutefois au fil du reportage à esquisser quelque sourire. Notamment quand sont retranscrites les réactions des minots de Marseille découvrant avec bonne humeur les charmes de notre contrée. Lisez plutôt.

– Titre : « Les villageois du Lot ont reçu à bras ouverts les premiers convois d’enfants marseillais ». Et voici l’article… « (De notre envoyé spécial Raymond DAROLLE). CAHORS, 16 Février. Des milliers de gens dont la présence ne s’avérait pas nécessaire dans la région méditerranéenne l’ont déjà quittée, obéissant aux directives du gouvernement. Mais, comme il a déjà été dit, cela n’est encore que la préface d’un exode massif de près de 500.000 femmes, vieillards et enfants qui doivent trouver refuge dans les départements du sud-ouest et du centre (Ariège, Tarn, Aveyron, Cantal, Lozère). C’est un exode pénible sans doute pour chacun mais qu’on ne peut comparer à l’autre, à celui de juin 1940. car, cette fois, tout se passe avec ordre et méthode et ceux qui partent savent, où ils vont et pourquoi ils s’en vont. » 

– « Dans les départements de repli, on achève de prendre des mesures qui permettront d’accueillir décemment les évacués, et les premiers convois – des convois d’enfants, essentiellement – viennent de quitter Marseille et les grandes villes du littoral. Les premiers petits auxquels je suis allé rendre visite sont ceux que le Lot vient d’accueillir. Le geste de ce département non désigné comme département de repli est d’autant plus sympathique qu’il a déjà reçu plusieurs milliers d’enfants de la banlieue parisienne en septembre dernier. Ici, à Cahors, M. Layssac, chef du service des réfugiés de la préfecture du Lot, nous dit : « Parce qu’ils ont compris la devoir de solidarité qui s’impose aujourd’hui à tous les Français, nous allons pouvoir recevoir et héberger dans les familles 3.000 petits Marseillais. Tous les trois ou quatre jours, un convoi nous arrive et les enfants sont aussitôt dispersés dans les villages du département. Si vous voulez rendre visite à quelques-uns de nos petits hôtes, vous les trouverez à Douelle. »

– « C’est, à quelques kilomètres de Cahors, un petit village semblable à bien des villages de chez nous, avec des maisons basses, couvertes de tuiles roses, qui s’alignent sur les rives du Lot. Un après-midi, le maire, M. Arnaudet, était prévenu par M. Layssac : « 82 petits Marseillais arriveront demain à Cahors. 22 seront envoyés à Douelle. Prenez vos dispositions pour les recevoir. » Une heure plus tard, l’instituteur, M. Laville, s’en allait de maison en maison chercher pour eux des parents adoptifs. Bien que Douelle, comme les autres communes du département, ait accueilli de nombreux petits Parisiens, lorsqu’il revint de sa tournée, M. Laville put dire au maire : « 38 familles se sont offertes pour les recevoir. Tout sera prêt demain. »

– « A l’école du village où, sur les mêmes bancs, s’assoient aujourd’hui, côte à côte, les écoliers parisiens, les enfants du pays et les petits évacués marseillais, l’un de ceux-ci, Emmanuel Dirico, un jeune déluré de 11 ans, m’a raconté son voyage et son arrivée à Cahors. Je m’en voudrais de changer un seul mot à son récit : – « Nous sommes partis le soir de Marseille, de la « Vierge dorée ». Le matin, on s’est réveillé à Cahors. On a fait une petite trotte et on est arrivé dans la maison. Je ne sais pas si elle était vieille ou si elle était neuve. Dehors, c’était vieux ; dedans, c’était neuf. » Il s’agit du centre d’accueil du Secours national, aménagé dans l’ancien évêché de Cahors. » 

– « L’enfant poursuit : « On nous a donné du café au lait et puis du chocolat et du pain d’épice. J’ai trop mangé et, à midi, j’avais mal au ventre. On est venu ici dans un gros autobus vert et on noua a « donné » (sic) à ceux chez qui nous devions habiter. » Et mon jeune interlocuteur en vient à me parler de sa nouvelle existence : « Depuis mon arrivée, je ne fais que manger de la viande ou du lapin ; j’ai aussi appris à faire « chabrot » en mettant du vin dans mon assiette après avoir mangé de la soupe. » Et que fais-tu de tout ton temps ? Le petit regarde en riant l’instituteur qui assiste à l’entretien et poursuit : « Je vais à l’école et, chaque soir, quand j’ai fini, je casse du bois pour allumer du feu. Je voulais aussi conduire le bœuf, mais il est trop gras. Je lui arrive aux pattes. Hier, je guis allé chercher des cailloux noirs avec le taureau ». Le taureau en question était un porc et les cailloux noirs, vous le devinez, étaient des truffes ».

– « Un court silence et le petit Marseillais, qui songe sans doute à de joyeux ébats dans la Méditerranée, ajoute : « Je me languis de cet été car on pourra aller se baigner dans la rivière. M. Laville qui, avec beaucoup de dévouement, s’occupe de tous ces enfants, me dit à son tour : « Le plus difficile, c’est de les habiller. Le Secours national fait ce qu’il peut, mais cela ne suffit pas. Aussi tous les gens du pays apportent-ils leur contribution volontaire. Chaque mois, en venant chercher leurs titres d’alimentation, ils me laissent une petite somme. J’ai ainsi recueilli quelques milliers de francs pour parer au plus pressé. Et il ajoute : « Les gens d’ici ont fait preuve d’une magnifique générosité. Une veuve de guerre, qui a trois enfants, a demandé qu’on lui confie un de ces petits ; un père de sept enfants m’a dit : « S’il faut en prendre un, on se serrera. Il y aura toujours de la place pour un huitième. »

– Et l’envoyé spécial de conclure : « La solidarité paysanne n’est pas un vain mot. » Pourtant, ce qu’il ne sait pas, c’est que Douelle (comme d’autres villages du Lot) n’accueille pas que de jeunes Marseillais au vu et au su de tous, et en premier lieu des autorités. C’est aussi dans ce village que se réfugia la famille Cohen à compter de 1943. « La famille voyagea jusqu’au petit village de Douelle dans le Lot où elle retrouva des cousins qui s’y cachaient déjà. Douelle était un village très pauvre. Néanmoins les habitants accueillirent et aidèrent les fugitifs. Une de ces personnes au grand cœur s’appelait Reine Arnaudet, 20 ans. Elle essaya d’aider la famille Cohen autant que possible. Elle venait les prévenir chaque fois que les Allemands s’approchaient du village et emmenait toute la famille dans les montagnes pour les mettre en sécurité. La famille Cohen resta à Douelle jusqu’à la fin de la guerre et fut sauvée grâce à l’extraordinaire courage des villageois, et surtout grâce à Reine Arnaudet à laquelle l’Institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné le titre de Juste parmi les Nations. » 

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