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A Douelle, le célèbre économiste Jean Fourastié écrivait aussi des « Que Sais-Je ? »


Inventeur du concept des Trente Glorieuses, Jean Fourastié fut aussi un infatigable vulgarisateur. On lui doit de nombreux « Que Sais-Je ? », cette fameuse collection où tout étudiant trouve son bonheur…

Attaché à Douelle, Jean Fourastié (1907-1990) l’était à plus d’un titre. Il y avait une grande partie de ses racines familiales, y séjourna à maintes reprises, et a choisi surtout d’étudier la commune à trois décennies d’intervalle pour un ouvrage qui a contribué à sa célébrité (celle de l’économiste comme du village) en inventant le concept désormais universel des Trente Glorieuses. Nous l’avons déjà expliqué dans une chronique dominicale à retrouver ici.

Cela étant, dans un livre plus personnel, « Le long chemin des hommes », paru en 1976 chez Robert Laffont, Jean Fourastié expliquait avec un brin de poésie et de nostalgie cet enracinement lotois en évoquant la figure de son aïeul. « L’histoire de mon grand-père, Célestin Mouly, est socialement analogue à celle de mon père. Nés tous deux, à vingt-cinq ans de distance, dans une famille de paysans pauvres, quoique propriétaires de leurs terres, tous deux chassés de la maison par la misère, entrèrent dans l’Administration des contributions indirectes et se marièrent aux lieux de leur premier poste. Mon grand-père étant né aux confins du Rouergue et du Quercy, à la Capelle-Bleys, paroisse voisine du hameau de Mouly, et mon père à Douelle, je me sens Quercynois pour trois quarts et Morvandiau pour le reste. »

> « J’ai vraiment été un petit paysan »

« A Douelle, les généalogies et les papiers de famille remontent jusque vers 1575. J’ai depuis trente ans en travail une histoire du village, qui serait à la fois économique, sociale, culturelle, etc. Vers 1945, je voulais faire pour lui l’étude démographique modèle que Louis Henry a faite en 1950 pour Crulay, puis Louis Valmary pour Castelnau-Montratier. Je souhaite encore avoir le loisir de compléter et de rédiger cette étude. Dans l’état informe où elle se trouve, elle m’a déjà beaucoup appris. Grâce à elle, j’ai vécu, à l’échelle de l’homme moyen, la crise du phylloxéra en 1878, la prospérité des années 1860, les petites révolutions de 1852, 1848 et 1830, la grande révolution de 1789, les mortalités, les famines du XVIIIème et du XVIIème siècle. Surtout, c’est à Douelle où ma mère et moi étant « réfugiés » en 1914 et 1918, mon grand-père mort dès 1912 et mon père mobilisé, que j’ai vraiment été un petit paysan comme nos centaines d’ancêtres, proche de l’ânesse, du bœuf, du canard et de l’oie. »

« C’est aussi au cours de ces années où Douelle resta, jusque vers 1930, dans une situation technique et sociale voisine de la tradition, que j’ai pu vivre de la vie spirituelle, des croyances et des attitudes surréelles du peuple français, dont je reparlerai plus loin. En outre, de mon père, de ma mère et de ma grand- mère, de nombreux cousins germains de mon père ont eu sur moi une influence certainement décisive. Je n’en évoquerai qu’un seul : le nombre de ses noms usuels ravissait ma mère, émerveillée par l’effervescence occitane. On l’appelait en effet, selon de subtiles références aux circonstances, Alphonsou, Bessières, Moussette, Calixte. Le second seulement était un nom d’état civil ; le troisième était son nom de « maison » (celui qui se transmet par les femmes) ; les autres lui étaient personnels. Calixte était menuisier, et, de temps à autres, barbier le dimanche matin. Cadet d’une maison pauvre, ayant épousé une cadette de maison plus pauvre encore, étant de force physique assez médiocre et vite fatigué par l’effort, il ne fut sauvé de la misère que par l’élévation du niveau de vie qui commença de se manifester, fort lentement, en Quercy, dans les années 1910. »

> J’aurai passé à Douelle « 180 mois de ma vie »

« Mais, né vers 1860, il savait ce que c’était que travailler 12 à 14 heures par jour pour gagner 10 sous, alors qu’un kilo de pain coûtait 3 sous. Plus tard, il hérita de ses parents un ou deux hectares de terre, dont la moitié de pure rocaille, mais une centaine d’ares en vigne. Tous les après-midi des dimanches d’été, il pêchait « à la volante » sur le Lot. Je conduisais son bateau. Je n’ai pas le talent qu’il faut pour dire le charme de ces soirées ; il ne me vient que des mots bêtes : il ne prenait presque jamais de poisson ; il parlait peu, mais avec bon sens et gaieté ; il lui revenait de temps à autres, sans qu’il ait eu beaucoup de mémoire, des bribes de chansons et de récits entendus aux veillées ; il était républicain ; il n’allait à l’église qu’à la Toussaint, aux Rameaux et aux sépultures. Au retour de la pêche, nous nous arrêtions à sa terre de Beyne. Nous arrosions quelques semis en puisant l’eau à la rivière dans des arrosoirs en tôle en général percés. Nous regardions pousser les haricots, rougir les tomates. C’était pour moi la vie et le bonheur. J’ai fait cela jusque vers 1935, aussi longtemps qu’il put conserver son bateau. Les vacances universitaires me permettaient et me permettent à nouveau aujourd’hui de passer à Douelle près de trois mois par an. J’y ai donc passé quelque 180 mois de ma vie. »

Cela étant, même en vacance, un intellectuel réfléchit. Et il peut écrire, aussi, quelques feuillets, entre un repas à l’ombre du bolet et une partie de pêche. Economiste, démographe, philosophe, Jean Fourastié fut un auteur prodigue et prodige. C’est ainsi qu’en dehors de ses ouvrages purement scientifiques, il fut un très actif contributeur de la collection célébrissime des Presses Universitaires France : les indémodables (ou presque) « Que Sais-Je ? ». Livres en format de poche à prix modiques, rédigés par des sommités sur tous les sujets, ils furent (et sont encore ?) avant Internet les indispensables compagnons de tous les étudiants de France et de Navarre. 

> Pas de progrès sans confort (pour les femmes aussi) 

Or, on ne sait pas assez que Jean Fourastié en rédigea bon nombre (avec un penchant pour l’économie prospective – normal, Fourastié fut commissaire au Plan -) et l’économie traduite dans la vie quotidienne (d’où des réflexions sur la notion de progrès) : « La Comptabilité » (1943), « L’économie française dans le monde » (1945), « La civilisation de 1960 » (1947), « Les Arts ménagers » (1950), « La Productivité » (1952), « Histoire de demain » (1956) et une très atypique « Histoire du confort » (1973). On y lit : « De multiples améliorations ont été apportées dans nos pays au travail de l’homme, à l’usine comme aux champs. Mais dans la plupart des foyers français, la femme n’a bénéficié que tout récemment de ce progrès. Dans nos plus petites campagnes, nos paysans se servent depuis 1950 de tracteurs, de moissonneuses, de sulfateuses, de semeuses…, tandis que leurs femmes ont le plus souvent gardé, jusqu’en 1960, l’équipement de leur arrière-grand-mère. Dans nos villes même, à peine 26 % des foyers avaient en 1950 ce confort élémentaire de notre époque, que constitue le cabinet de toilette avec douche ou bain, à eau courante. Maintenant, le chiffre s’élève à plus de 60 %. La plupart des familles dites bourgeoises n’étaient elles-mêmes guère mieux partagées ; elles habitaient des logements construits au siècle dernier, à une époque où la domesticité d’un foyer aisé était normalement d’au moins deux personnes ; or, la fermeture de l’éventail des revenus est telle qu’elle ne permet plus à la mère de famille que de payer quelques heures de femme de ménage. La mécanisation des travaux du foyer s’impose donc ; il est urgent de comprendre que le problème des arts ménagers, auquel beaucoup d’hommes ne reconnaissent qu’un caractère anecdotique et superfétatoire, est en réalité un des problèmes sociaux les plus importants de notre temps. Or, il faut savoir que ce problème n’est pas uniquement lié à l’équipement et donc à l’argent. A équipement égal, une femme peut largement améliorer le rendement de son travail et gagner ainsi beaucoup de temps tout en diminuant sensiblement sa fatigue. En même temps que nous voudrions saisir les hommes responsables du développement de l’économie française de l’importance sociale des arts ménagers, nous voudrions que ce petit livre aide les femmes et les chefs de famille à étudier rationnellement leur tâche et à tirer ainsi un parti maximum de leurs ressources. » Certes, ce n’était pas très woke. Mais cela avait le mérite de plaider, à une époque où beaucoup d’épouses dépendaient financièrement de leurs maris, et étaient cantonnées aux tâches ménagères (ou devaient les assumer en plus du reste), à considérer sue le confort devait aussi concerner les cuisines, les buanderies et les celliers.

Ph.M.

Sources : site Gallica BNF et INA pour la photo.

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