Sibelle veut un(e) ministre d’ici
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Ceci n’est pas un secret, et encore moins un secret d’État : en règle générale, je rédige cette chronique le vendredi matin, m’installant tranquillement devant l’ordinateur aux alentours de 9 heures. « Tranquillement » n’est pas, à la réflexion, le terme qui convient. Car réglée comme une pendule, une certaine Sibelle se pointe toujours au rendez-vous, épiant le moindre de mes gestes, commentant chaque phrase, chaque adjectif, faisant mine de se scandaliser dès que je fais allusion à un de ses caprices ou à un de ses bons mots, mais évidemment ravie de constater la place qui lui revient dans ces billets, à l’image de la place qu’elle a dans ma vie…
Or, ce vendredi, j’avais à peine allumé le PC, épluché quelques courriels et consulté les résultats sportifs de la veille que soudain, mon fil Twitter s’emballait. Le palais de l’Elysée venait d’annoncer la démission du gouvernement. Faut-il dès lors vous décrire l’excitation gourmande de ma tigresse domestique ? Tout en surveillant son propre smartphone (au cas où, dans une sorte de fuite en avant politique tenant de la science-fiction, un conseiller du président viendrait à tenter de la joindre pour savoir si Mademoiselle accepterait un maroquin), voilà ma belle qui se met à disserter gravement sur les options s’offrant au chef de l’Etat, sur la politique à mener durant les deux dernières années de son quinquennat, sur le profil des futurs ministres… Et souhaitant évidemment que je fasse part au monde, c’est-à-dire à vous, de ses pensées et suggestions. J’ai bataillé. Et j’ai fini par imposer mon point de vue. Pas question de vous imposer tout cela.
A une exception près : Sibelle n’a peut-être pas tort sur deux points. La pertinence de la création d’un ministère de la cause animale et l’intérêt qu’aurait le Lot à avoir un de ses (grands) enfants membre du gouvernement. Resterait à savoir lequel ou laquelle. « Il est constant d’observer, que les gouvernements soient de gauche, de droite ou d’ailleurs, en marche ou à l’arrêt, que pour un département, avoir un ou une ministre, cela est toujours utile pour faire avancer les dossiers, décrocher des subventions, retrouver comme par hasard un trafic ferroviaire un tantinet plus étoffé ou être épargné quand il est décidé en haut lieu de supprimer X fonctionnaires… » observe Sibelle. Sans doute.
Mais pour le reste, revenons à notre idée première. Juste avant que l’AFP n’annonce dans un« flash urgent » la démission de Mister Edouard (Sibelle et moi, on lui trouve quelque chose de british, au maire du Havre, cet humour faussement froid, ce flegme, sincère ou affecté, on ne sait…), des cris, des chants, ont résonné depuis la ruelle. En ce dernier jour d’école, des enfants et leur maîtresse sillonnaient le vieux village avec, ai-je cru discerner, une fiche à la main. Comme s’il s’agissait d’un rallye.
Au terme de cette année scolaire évidemment hors norme, constater que cette tradition de consacrer le dernier jour de classe à une activité ludique et culturelle, dans une ambiance joyeuse, m’a rasséréné. Est-ce l’âge (j’ai passé la cinquantaine), est-ce ce millésime 2020 si déconcertant et épouvantable quand on prend du recul, est-ce une forme de nostalgie qui toujours ramène à l’essentiel ? Observer ces enfants m’a bouleversé. J’ai pensé à mes propres années à la communale, dans le quartier de Torcy, à Sedan. Quand à 4 heures et demie, le dernier jour, notre maître ou notre maîtresse se fendait d’un « Bonnes vacances les enfants, faites attention, prenez le temps de lire et de réviser un peu… ». On piaffait. Et puis on finissait par renvoyer la politesse. Et quelquefois, on ressentait une gêne. Un flottement. Un de nos copains annonçait qu’il ne serait pas là en septembre : ses parents étaient mutés, la famille déménagerait durant l’été. Ou alors une copine avait peine à retenir une larme. Nous étions dans les années 1970. La crise commençait à ravager la région, les usines textiles, sidérurgiques et métallurgiques trinquaient les premières. Pour cette camarade de CE2 ou CM1, il n’y aurait ni vacances à la mer ni même quelques jours de camping dans les verdoyantes forêts vosgiennes. Un pique-nique par ci, une après-midi par là, chez papy et mamie qui ont encore un poulailler, seraient ses seuls vrais moments d’insouciance.
J’en étais là quand Sibelle a bondi. Un des gamins de l’école du village avait décroché du groupe. Il s’était attardé devant le muret, en bas de la maison. Il avait repéré une pierre manquante, au niveau de la chaussée : « Bah, ce n’est qu’un enfant qui a découvert ton passage secret, ta chatière. Ne lui en veux pas. Il n’y a qu’un enfant qui puisse être aussi malin pour savoir qu’on peut traverser les murs et braver les lois de la physique. A condition de se faire tout petit… » Sibelle a souri… Moi aussi.