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Sibelle orpheline de la transhumance


Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.

Nous voilà donc, avec Sibelle, qui achevons notre deuxième semaine de confinement. Avec Sibelle, c’est beaucoup dire, car ma tigresse continue d’aller et venir avec une forme d’insouciance que je lui envie. Et quand je dis « nous », je n’oublie pas pour autant tous ceux qui sont sur la brèche, mobilisés, exemplaires, dévoués : les personnels soignants, d’abord, mais aussi nombre de fonctionnaires, nombre de salariés aussi.  J’ai failli écrire « au front ». Mais de père ardennais et de mère mosellane, j’ai appris à me méfier des métaphores militaires. Je viens d’un pays où les terres sont encore rouges du sang versé par des millions de soldats et de civils au fil de trois guerres (1870, 14-18, 39-40-45). Alors pour être simplement sincère, que ceux qui se battent contre ce virus sachent toute mon estime. Et la vôtre.

Toujours est-il que me voilà confiné, néanmoins, sur les hauteurs du village, et que je n’ai pas mis les pieds à Cahors depuis une quinzaine de jours. Et que cela risque de durer. A ma protégée féline, je confie une interrogation de prime abord saugrenue : « Retrouverai-je, le moment venu, les mêmes impressions qui furent les miennes pendant les premiers mois qui suivirent mon installation « pour de bon » dans le Lot ? » En effet, croyez-le ou pas, si très vite je me suis senti chez moi dans le village, à chaque fois en revanche que je devais me rendre à Cahors, j’avais tout simplement le sentiment d’être en vacances. Avec ma petite famille, nous avons passé nos congés 20 ans durant dans le Lot. D’abord près de Gourdon, puis près de Martel, et vers Figeac, et enfin dans le Quercy Blanc. C’était l’été. C’était le temps de l’insouciance. On venait visiter Cahors pour se promener sur le Boulevard Gambetta comme s’il s’agissait des Champs-Elysées ; les quais le long du Lot avaient valeur de Promenade des Anglais ; le marché et la halle étaient des plongées dans une sorte de Rungis. Puis on s’en retournait rejoindre notre gîte, les courses faites, le panier débordant de victuailles plus gourmandes et goûteuses les unes que les autres. Même le premier hiver, ce sentiment perdura. Le mercure avait baissé mais il ne neigeait pas, et Cahors, même en pantalon et en petite doudoune, restait Cahors. Je ne peux fixer la date précise où pour la première fois, cette impression ne fut pas au rendez-vous. Ce devait être à l’occasion d’un rendez-vous professionnel sans doute. Toujours est-il que désormais bien adapté et adopté ici, en Quercy, je formule ce vœu : quand les nuages noirs du coronavirus se seront enfuis, que je retrouve un peu de ce parfum d’alors. Et que de retour à Cahors, cette insouciance d’avant de nouveau me gagne ne serait-ce que quelques heures…

Hors le souhait ardent qu’évidemment, l’hécatombe cesse le plus rapidement possible, que mes proches soient épargnés, que la courbe des sinistres et anxiogènes décomptes quotidiens enfin s’inverse, ce sera là, modestement, un bien beau cadeau de Noël avant l’heure. Sibelle me souffle qu’il faut absolument conclure ce rendez-vous par quelques phrases sur son vif désarroi d’avoir appris l’une des conséquences de cette période sombre : pas de transhumance cette année. Pas de descente du troupeau des vaillantes brebis à lunettes noires de Rocamadour jusqu’aux rives du Lot, à Luzech, via les chemins de traverses, pas de spectateurs le long du parcours pour ce petit tour de France à nous, pas de suiveurs, le bâton de marche à la main, pour accompagner la cohorte joyeuse au gré des étapes longues de 20 km, pas de repas à la bonne franquette en soirée. Sibelle se sent comme orpheline. Elle, je vous le dis discrètement, c’est surtout le magnifique et efficace ballet des chiens qui encadrent la troupe qui l’épate d’ordinaire. La transhumance, c’est l’un des rares moments de l’année où ma féline joue la modeste. Elle n’aurait jamais le dixième de leur patience…

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