Sibelle et ses petites habitudes
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Il y a désormais 74 bornes Toutounet dans Cahors intra-muros. Dix nouveaux points de distribution de sachets en libre-service destinés à ramasser les déjections canines ont en effet été installés début octobre. L’information n’est pas anodine. Un maître qui négligerait ses devoirs après que son chien se soit soulagé peut écoper d’un PV de 50 euros. Sibelle sourit. « Tu vois les économies que je te fais faire ! » plaisante l’impudente. Impudente mais pas impudique. Bien au contraire. Quand elle se promène en ville, l’idée ne lui viendrait jamais de faire ses besoins au vu et au su de tout un chacun. A défaut de WC dédiés, Sibelle a ses habitudes dans notre petit jardin. Au niveau de la plate-bande qui longe le mur en pierre sèche. L’été, quand l’hortensia est généreusement fleuri, on aperçoit à peine la fine tigresse se dodeliner, gratter les écorces de pin qui recouvrent la terre et enfin, la tête en l’air, le regard dans le vague, comme persuadée que nul ne peut la surprendre, procéder à l’opération… Généralement, je fais semblant de ne m’apercevoir de rien. Je ne voudrais pas troubler ma féline préférée. Contrarier sa pudeur. Il en va autrement des matous qui de temps à autre viennent visiter notre même jardin, s’enhardissant jusqu’à grimper les marches et faire le tour du bolet. Eux, je discerne bien leurs légers tressaillements, cherchant à laisser leur empreinte odorante et marquer un territoire qui n’est pourtant pas le leur. « Ah les vauriens » convient Sibelle, flattée toutefois que ces agissements aient aussi valeur d’offrande. Qu’en l’espèce, évidemment, je ne peux verbaliser.
Mes excuses. Je souhaitais cette semaine ne pas trop m’attarder sur l’actualité, sur ces images de nos alliés kurdes bombardés, par exemple, une nouvelle fois abandonnés du monde libre qu’ils ont pourtant défendu avec une telle ardeur. Je m’en vais plutôt retourner lire. Et Sibelle aussi. On va se dépêcher de dévorer le dernier récit de Patrick Modiano, paru chez Gallimard. C’est évidemment toujours un plaisir d’accompagner le prix Nobel dans les méandres de sa mémoire troublée, de le suivre dans une improbable enquête à vingt ans de distance, de tourner les pages avec lui d’un album aux photos jaunies par le temps. Mais cette fois, c’est encore plus urgent. Sibelle m’a inquiété. « Tu as vu le titre ? Oui, c’est cela : « Encre sympathique ». Alors gaffe » m’a-t-elle conseillé. « Il n’y a pas de temps à perdre. Sait-on jamais. Que l’éditeur ait ourdi quelque machination pour faire le buzz ? Et qu’au fil des jours, subrepticement, les caractères d’imprimerie ne s’effacent. Et qu’in fine, les pages ne redeviennent aussi vierges que les flocons cotonneux qui entourent les souvenirs toujours revisités par les mots de l’auteur, et cette désormais célèbre petite musique modianesque qui nous enivre et nous émeut, toujours davantage. »