Sibelle et l’échelle de Richter
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
– Mercredi, 10 h 56. J’entends, je devrais dire je ressens comme un tremblement qui provient du toit de la maison. Pour moi, pas de doute. Comme ils en ont l’habitude, des matous poursuivent ma chère Sibelle en bondissant sur les tuiles. Ou l’inverse. Mais je me ravise. Ma tigresse préférée n’est pas en cause. Elle dort profondément sur le sofa. Un quart d’heure plus tard, consultant mon fil Twitter (ça fait bobo branché, hein?), j’apprends qu’un séisme de magnitude 4,9 sur l’échelle de Richter s’est produit précisément à 10 h 56, avec pour épicentre la commune de Montendre (quel drôle de nom pour un tel chevauchement tectonique), en Charente-Maritime. Plus tard, d’autres témoignages confirmeront que l’événement a été ressenti effectivement jusqu’en Corrèze et aussi, donc, dans le Lot. Je passe un coup de fil à un proche pour l’informer. Je dois parler un peu fort, l’émotion sans doute. Même si, fort heureusement, aucun dégât n’est à déplorer, ni en Charente, ni dans le Quercy. Du coup, Sibelle se réveille. Elle est chafouine. « La prochaine fois, conseille donc à ce dénommé Richter de faire attention quand il grimpe sur son échelle… »
– On annonce le retour des brebis sur le site du Mont Saint-Cyr. Un troupeau de 350 bêtes qui vont « nettoyer » les dizaines d’hectares pittoresques de ce si joli balcon sur la ville. C’est un de mes lieux de balade préférés. Il y a là un résumé de la beauté du Lot et de ses causses. Sans compter la magnifique leçon d’histoire et de géographie qui nous attend quand on observe Cahors d’en haut. Dans quelques semaines, ce sera au tour de la transhumance Rocamadour-Luzech, du 9 au 13 avril. Avec Sibelle, j’irai voir passer le troupeau vers Nuzéjouls. Ma protégée féline qui sait l’utilité de l’opération (prévention des incendies, notamment), est toujours fascinée par ce spectacle. « Le pastoralisme, voilà une composante majeure de la culture d’ici. Voilà une tradition qui a du bon… » observe-t-elle. Mais elle conclut invariablement par ce constat très lucide sur la notion même de transhumance. « Pour sûr, ce ne sont pas des chats, a fortiori par centaines, que l’on pourrait ainsi faire marcher au pas… Et en ordre (non) dispersé ! »
– Entre les tristes anniversaires des attentats de 2012 à Montauban et Toulouse, et de 2018 à Trèbes, qui ont tant bouleversé notre région, le énième acte des Gilets Jaunes, le feuilleton Benalla, le Brexit…, non décidément, je ne peux choisir. Et ne veux pas. Une fois n’est pas coutume, et Sibelle est d’accord avec moi, terminons en poésie. Donc le printemps s’achève dimanche, quand le vrai printemps s’installe, un clin d’œil surréaliste qui n’aurait pas déplu à André Breton… Je vous offre quelques vers. Ils sont signés du Lotois Gilles Lades, par ailleurs auteur d’une irremplaçable Anthologie des Poètes du Quercy. Ce petit poème est un cadeau. Une parenthèse, une respiration. Non pas que la poésie consiste à voir tout en beauté, à ne pas vouloir prendre parti, à préférer fuir devant la triste condition humaine. Mais au moins, elle nous aide à tenir debout, à peser chaque mot. En espérant que quelques-uns guérissent les maux du monde. Ou le transforment.
« Les cyprès brûlent doucement dans le ciel
l’été s’apaise à son plus haut
morts et vivants échangent leurs vérités
dans les galets brillent les agates
des grappes veillent sous les dernières feuilles
le tendre reproche de l’aïeule
fait germer la nouvelle âme
l’extrême soir est un orient
qui consume le chagrin
les bords du monde viennent à nous
pour exaucer l’élan d’enfance » (extrait du recueil Le Temps recommencé, éditions Alcyone).