Sibelle a des goûts de luxe
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
– Nombre de Lotois se sont levés ce matin de bonne heure et de bonne humeur : c’est l’ouverture de la pêche à la truite ! Pour mettre en garde ma chère Sibelle, pour éviter, que curieuse, elle ne cherche à se rendre sur les berges d’une rivière réputée, je lui ai narré les mésaventures d’un de ses lointains aïeuls. Il se nommait Marquis et possédait toutes les nobles qualités qu’impose pareil titre. Il vivait aux côtés de ma grand-mère, dans un petit village ardennais frontalier de la Belgique. Marquis avait le don de surgir d’on ne sait où dès qu’il apercevait mon père, la canne à la main, tenter sa chance dans le ruisseau qui serpentait près de la maison… Il espérait toujours qu’un peu de menu fretin (c’est bien le mot) lui soit dévolu. Or, ce qui devait arriver arriva. Un après-midi, Marquis n’y tint plus. Malgré son nom, il perdit la raison. D’un bond, alors que mon père écartait le bras pour lancer le leurre d’un geste sec, le chat n’y tenant plus d’excitation se jeta sur l’extrémité du fil. Et l’hameçon s’accrocha à la gueule du malheureux. Mon père fit alors preuve d’un sang-froid sans égal. Séance tenante, il prit Marquis dans ses bras et courut jusqu’au cabinet du médecin du village. Aucun des patients, dans la salle d’attente, n’osa protester devant l’urgence. Le toubib s’improvisa vétérinaire, et délicatement, ôta l’hameçon, avant de poser quelques points de suture. Par la suite, Marquis n’eut plus jamais l’idée de suivre quiconque sur les berges du ruisseau.
– Heure d’été ? Heure d’hiver ? Avec Sibelle, nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord. J’ai donc décidé de ne pas participer à la consultation initiée par l’assemblée. Plus de deux millions de Français, un record, ont eu, eux, moins de scrupules. Et ont majoritairement dit le choix de rester toute l’année à l’heure d’été. Sibelle a remarqué avec sa sagesse coutumière que l’explication tenait sans doute moins à des considérations économiques ou environnementales qu’à une question de sémantique et de psychologie. « Il faut l’admettre, le mot été évoque le soleil, la chaleur, l’indolence, les vacances, les petits apéros sur la terrasse et le rosé bien frais. » Pas faux.
– Tout Souillac est en ébullition depuis que la municipalité et la communauté de communes ont annoncé porter un projet pour faire de la petite cité une capitale du luxe et de la mode avec une centaine de boutiques, des unités de fabrication et de formation, des espaces culturels dédiés à la gastronomie et aux métiers d’art… Sibelle, cela ne vous étonnera pas, est très séduite (ce qui n’est pas le cas de certains riverains qui ont déjà créé un collectif pour dire leur inquiétude par rapport à ce projet « pharaonique », selon eux). « Qui ne tente rien n’a rien. Une telle ambition doit être saluée. Et mérite également de se doter d’une ambassadrice alliant charme et élégance, symbolisant le savoir-faire français en terme de luxe et de gastronomie, une égérie dont le portrait pourra le moment venu être un vecteur de communication pour la ville et sa cité de la mode et du luxe… » J’ai évidemment joué le jeu. « Et tu penses à qui ? ». Sibelle était déjà en train de multiplier les selfies. « A moi, pardi » a-t-elle soupiré en cherchant la pose la plus adaptée. Je la laisse à ses rêves. Et les élus de Souillac et de Cauvaldor aux leurs. Mon seul vœu : qu’il n’y ait pas de boutique de luxe dédiée aux chats dans ce futur complexe « haut de gamme »…