Adieu Kira
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
« Cela s’est produit mardi matin. Des voisins ont téléphoné. Je suis descendu quatre à quatre. Ils t’avaient reconnue. Tu semblais dormir, là, sur le côté de la rue. Mais c’était comme dans le poème de Rimbaud. Tu dormais, oui. Mais sans espoir de réveil. Une petite flaque de sang au niveau de la tête. C’était fini. Le choc fut sans doute violent. Je veux croire que tu n’as pas souffert. Et peut-être même que l’automobiliste ne s’est rendu compte de rien. Kira. Tu avais un peu plus de deux ans. Tu connaissais le quartier comme ta poche. Mais avec les voitures, d’ailleurs assez rares, dans le vieux village, et même sans doute parce qu’elles sont rares par rapport à la ville, comme beaucoup de chats, tu ne savais pas comment réagir. Généralement, tu te précipitais dans un jardin, tu sautais sur un muret. Et puis là. Et puis là, tu as été piégée.
Kira, ma belle. Tu nous as quittés un an après Abysse. Une petite chatte abandonnée que nous avions recueillie, comme toi. On l’avait adoptée et ensuite seulement, elle nous avait adoptés. Pareil pour toi. Venue des Ardennes, Abysse s’était fondue dans la douceur du Quercy. Toi, tu étais née ici. Seule rescapée d’un fratrie qui erra plusieurs semaines dans le village. Quel caractère, quelle noblesse. Quelle indépendance, surtout. Je crois que les humains t’effrayaient. Comme ils m’effraient aussi, peut-être pas pour les mêmes raisons. Il a fallu plusieurs mois pour que tu acceptes de cohabiter dans notre maison, là, sur les hauteurs du bourg, pour que de temps en temps, tu te fasses câline, pour que tu t’abandonnes. Et puis l’inquiétude revenait. Alors on tentait de te rassurer. Merci ma belle, merci pour ces moments de complicité, merci d’avoir, pendant deux ans, ensoleillé notre vie. Nous ne t’oublierons pas. Nous ne te remplacerons pas. Nous adopterons sans doute d’autres chats, mais ils ne te remplaceront pas. Ils seront différents, ils auront d’autres qualités, d’autres défauts.
Mais des Kira, il n’y en aura pas d’autre. Tu es partie alors que j’allais observer une pause dans cette chronique, comme l’été dernier. Je ne vais pas demander à Sibelle, elle aussi adoptée, elle aussi native du Lot, elle aussi féline mais encore au printemps de sa vie (elle a tout juste un an), je ne vais pas lui demander de commenter l’actualité. C’est trop tôt. On verra ça après le 15 août. Et puis l’actualité, hein, elle n’est pas jolie jolie. Alors quitte à partir en vacances, je veux que ce soit encore avec toi, ma Kira. Je veux que le rire des enfants qui s’éclaboussent dans la piscine, je veux que les fruits gorgés de soleil dans la corbeille, je veux que les siestes sur le transat, à l’ombre du bolet, je veux que les matins frais sur le causse et les soirs étoilés dans la vallée, je veux que les cailloux ramassés dans la rivière, je veux que les poèmes lus dans la clairière, je veux qu’ils portent encore ton nom. Kira ! »