Kira dans la peine
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
« Les sujets ne manquaient pas. Avec Kira, cette semaine, nous aurions pu évoquer la énième mobilisation des élus lotois en faveur d’un renouveau de la ligne ferroviaire dite POLT pour qu’enfin les liaisons entre Paris, Cahors et Toulouse soient plus rapides. Une initiative d’autant plus méritoire en pleine grève des cheminots… D’où cette question subsidiaire : au-delà des positions de principe de chacun, une éventuelle ouverture à la concurrence changera-t-elle la donne dans ce dossier ? Nous aurions pu également disserter sur la double expo de photos grand format installée à Cahors sur la thématique des chemins de Saint-Jacques, sur l’instauration des 30 premières minutes gratuites pour le stationnement automobile en centre-ville, sur la fermeture de la droguerie Baffalie, une institution qui n’a pas trouvé de repreneur, quelques semaines après l’arrêt de la librairie Lagarde, autre commerce historique de la ville- préfecture (deux coups durs, alors qu’on évoque tant la nécessaire revitalisation des centres)… Nous aurions pu, avec ma petite protégée féline, commencer à distiller quelques pronostics alors que la coupe du monde de football va débuter en Russie. Oui, cette semaine, il y avait de quoi faire. Et puis non. On n’a pas le cœur.
La tristesse est trop vive, encore, trop béante. Jeudi, les hauteurs du bourg, où nous sommes installés depuis maintenant trois ans, ont été plongées soudain dans les brumes du désarroi, de la peine, de cette affliction teintée d’impuissance inhérente à tout décès. Monsieur Claude n’est plus. C’était l’un des anciens, l’une des mémoires du village. A la fois discret et chaleureux, à la fois cultivé et curieux de l’actualité. A la fois engagé – il lui importait tant que l’environnement et la beauté de sa terre natale soient préservés – et ouvert à la discussion. Quand le temps s’y prêtait, quand il en avait l’énergie, Monsieur Claude aimait en fin de journée effectuer une promenade dans les ruelles du vieux bourg. Une petite silhouette noire le suivait. Son chat Virgule. Il arrivait que l’on échange quelques mots avec Monsieur Claude, quand il passait au niveau de notre bolet. Alors Virgule manifestait son impatience. Kira ne disait mot. Elle admirait la fidélité de Virgule, elle respectait ce tendre compagnonnage entre l’homme et son chat. Mais la nature féline est ainsi faite. Quand le tandem reprenait sa marche, je la devinais soulagée. Les chats des voisins, c’est bien, mais c’est encore mieux quand ils restent chez eux.
Alors voilà. On ne verra plus, certains soirs, Monsieur Claude et Virgule. On n’évoquera plus les rituels d’antan qui rythmaient le quotidien du village, ni tel point d’histoire, ni telle plante sauvage, ni tel oiseau devenu rare. On voulait simplement vous dire merci et au revoir, Monsieur Claude. Merci de nous avoir tendu la main quand nous sommes arrivés de nos lointaines Ardennes. Merci de nous avoir offert un peu de votre savoir et de votre mémoire, un peu de votre amour du Quercy et de votre profonde humanité. Quant à toi, Virgule, sache qu’avec Kira, on est évidemment d’accord : notre jardin te sera toujours ouvert. »