Kira au Pays de l’or noir
Exceptionnellement ce dimanche, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
« Je me suis fait un sang d’encre. Mardi, mes deux coquines de protégées félines ont disparu une bonne partie de la journée. Dès potron-minet visiblement. Car au moment de leur verser leur ration de croquettes du matin, personne. Kira et sa grande sœur Abysse avaient déjà filé. Il n’était pas huit heures… Ah je les imagine, les deux fugueuses, sur la route, ébaubies, excitées de se lancer dans une telle aventure, et se rapapinant à l’avance, tandis que le soleil lentement surgissait de la ligne du causse, embrasant de ses premiers rayons les bosquets et les talus, perçant la brume cotonneuse qui semble flotter en apesanteur sur l’eau du fleuve… Ma journée a été affreuse. J’ai couru les rues du village, j’ai frappé aux portes, j’ai même suivi quelques matous malingres. Rien. Personne n’avait vu mes deux protégées. Toutes celles et tous ceux qui ont connu pareille angoisse sauront quel effroi fut le mien. J’ai même sauté le déjeuner. Pas faim. Trop inquiet. Et puis voilà. Vers 17 heures, deux ombres se sont glissées et ont passé la baie vitrée. Comme si de rien n’était. J’ai hurlé. De joie et de colère. Il en aurait fallu davantage pour les troubler : « Ben quoi, on était au marché. A Lalbenque. » Ah les sacrées chattes ! Elles n’avaient pas innocemment marqué d’une trace de coussinet la date du 6 décembre. J’aurais pu m’en douter. Elles n’auraient pour rien au monde manqué la première de la saison.
« Ah quoi ça sert de venir vivre dans le Lot si on ne découvre pas les charmes du marché aux truffes ? » m’a précisé Abysse, dont la robe noire évoque d’ailleurs le célèbre trésor… « Bon. Et alors, vos impressions ? » ai-je demandé. Kira a fait le bilan. « Vu la météo cet été et cet automne, la truffe sera rare. Il y en avait quand même 32 kg en vente… Les prix ? Entre 500 et 800 le kilo. Mais c’est le spectacle qui valait le déplacement. On ne vend et on n’achète pas la truffe comme le kilo de carottes. Il y a tout un cérémonial, un rituel. » Je n’ai pas osé demander si elles avaient réussi à goûter le « cher » objet de leur désir. Elles auraient été capables de me rétorquer qu’avec le maigre argent de poche que je consens à leur donner, c’était mission impossible. Pourtant, avec leur sens de l’entourloupe et leur capacité à adopter un regard qui ferait fondre n’importe quel bipède au cœur endurci, sait-on jamais…
« Ah, il y avait aussi un événement. L’inauguration d’une statue sur les marches de la mairie. On l’appelle « Lo trufaire ». On y voit un homme et son panier (de truffes). Et son chien. Il y a quelque chose de beckettien dans cette œuvre… » a encore précisé Abysse. « Beckettien ? » ai-je encore osé demander. « Oui, cet homme semble figé dans une posture d’attente. Il attend des clients, sans doute. » Alors j’ai compris que mardi, moi aussi, j’étais resté dans une posture beckettienne. Je n’attendais pas Godot. Mais Kira et Abysse. Parties au Pays de l’or noir. La petite truffe au vent et les papilles en éveil. Toujours est-il que déjà réputée pour ses truffes, son marché, sa jolie piscine, voilà Lalbenque qui devient une étape en matière d’art contemporain. A Paris, on appellerait « Lo Trufaire » une installation. Ici, il est déjà dans le paysage. Eternel. Bravo au passage à sa créatrice, Elisabeth Cibot, qui fut élève de César, et qui est une des grandes figures de la sculpture française (prix Claudel, prix Belmondo…). »