Generic selectors
Exact matches only
Search in title
Search in content
Post Type Selectors
Search in posts
Search in pages

Elle vend un « vrai » tableau de maître en le présentant comme un « faux »

Originaire de Cahors, cette antiquaire parisienne avait un urgent besoin de liquidités…

C’est un classique de l’escroquerie : abuser un amateur d’art en lui vendant une copie d’une œuvre que l’on présente comme un original signé de l’artiste. Mais l’inverse est plus rare. Ce 18 janvier 1950, dans le très sérieux quotidien L’Aurore, est narré ce curieux fait divers : « Scandale sur la Rive Gauche / Une antiquaire « liquide » pour 538.000 fr. un Murillo estimé 3 millions que lui avait confié une authentique descendante du roi Louis XIII. La nouvelle s’en est répandue hier soir et a provoqué une énorme émotion dans le milieu des antiquaires de la rive gauche : Mme Gabrielle Stutterheim, antiquaire, 90, rue de Grenelle, a été écrouée pour abus de confiance par ordre de M. Lavadoux, juge d’instruction. Il s’agit d’une affaire de tableau extrêmement compliquée. Mme Seulin de Sage, descendante de Louis XIII par Philippe d’Orléans, son second fils, et par la princesse Palatine, possédait un magnifique tableau de Murillo bien connu : « la Présentation de saint Jean à l’Enfant Jésus ». Ce tableau provenait de la collection de la duchesse d’Orléans. »

« Cette œuvre magistrale était évaluée à 3 millions. Obligée de s’en défaire, Mme Seulin de Sage la confia à Mme Stutterheim, qui devait se charger de la vente. Les œuvres de cette qualité, on le sait, ne se vendent pas facilement. Elles sont généralement trop connues des marchands et souvent trop chères pour les particuliers. Elles donnent lieu, en tout cas, à des expertises et à des pourparlers assez complexes, les intermédiaires aidant. Au bout de quelques semaines, Mme Seulin reçut une étrange visite, celle de M. Scovazzo, domicilié boulevard Berthier. – J’ai acheté ce tableau, lui dit-il, à Mme Stutterheim, qui me l’a vendu comme étant l’œuvre d’un élève de Murillo. Or je crois que c’est un vrai Murillo. J’ai donc fait une enquête et j’ai appris que vous l’auriez vendu à Mme Stutterheim… Bien évidemment l’antiquaire n’avait pas remis l’argent à la propriétaire qui était ainsi brusquement mise en présence du fait accompli et qui n’avait plus qu’à porter plainte. Notons que l’antiquaire avait remis le tableau à M. Scovazzo pour régler une dette de 538.000 francs, ce qui était liquider à bon compte une belle pièce. M. Scovazzo, entièrement de bonne foi, est prêt à rendre le tableau à sa propriétaire contre la restitution de ses 538.000 francs. Bonne surprise ! Mme Stutterheim a sans doute perdu la tête. Elle a, en effet, liquidé dans des conditions analogues une peinture de l’école flamande, une miniature d’Isabey, des estampes, des livres rares et une « Vierge à l’Enfant » en pierre, cédée à un général… Toutes ces œuvres lui ayant été seulement confiées. – Inculpée, Mme Stutterheim a été immédiatement écrouée et a choisi comme défenseur Me Duplan. C’est Me Jandon qui sera partie civile pour la descendante de Louis XIII. »

De Murillo à Utrillo

Pour l’anecdote, à noter que nos confrères se sont emmêlés d’ailleurs les pinceaux, écrivant plusieurs fois « Utrillo » (1883-1955), représentant de l’Ecole de Paris passé par l’impressionnisme et figure de Montmartre, au lieu de « Murillo ». Nous nous sommes permis de corriger… Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682), né et mort à Séville, est avec Velasquez, selon les historiens de l’art, « un des principaux représentants du Siècle d’or espagnol en peinture et le chef de file de l’école de Séville, second centre artistique de l’Espagne au XVIIe siècle après Madrid ». Très célèbre de son vivant, sa notoriété déclina par la suite notamment auprès du grand public. Mais il n’empêche : ses toiles sont toujours considérées comme exemplaires du baroque espagnol. Très pieux, surnommé le « peintre de la douceur », ses œuvres évoquent majoritairement des scènes de l’Evangile. Et il est vrai que nombre d’églises en France sont ornées de copies de Murillo. Les originaux étant conservés dans de grands musées comme le Prado à Madrid ou le Louvre à Paris ! On peut aussi admirer certaines de ses toiles en Occitanie, au musée Goya de Castres ou au musée des Augustins de Toulouse.

Dans l’article de L’Aurore, il manque cependant une précision qui est bien présente en revanche dans tous les autres journaux ayant évoqué l’affaire (notamment en province, puisque l’Agence France Presse lui consacra une longue dépêche) : cette brave antiquaire ayant eu recours hélas à des méthodes peu scrupuleuses était née à Cahors en 1903 et avait par la suite épousé un certain Monsieur Stutterheim ! Du Lot, mais cette fois d’une autre personnalité bien plus célèbre, il en était question, toujours en date du 18 janvier 1950, dans Le Figaro. Par un hasard remarquable, dans la même page, outre l’affaire du « Murillo », le quotidien évoquait une autre affaire de collectionneurs… Lisez plutôt : « Un procès autour de lettres de la reine Caroline adressées à Joachim Murat / La princesse Joachim Murat, par la voix  de Me Jean Lemaire, se présentait hier devant la troisième chambre du tribunal civil de la Seine contre le marquis Xavier de Rochambeau, assisté de Me Claude Montigny, au sujet de trois lettres écrites par la reine Caroline Bonaparte, épouse de Joachim Murat, roi de Naples. »

La princesse déboutée

« Après avoir abandonné son trône, la reine de Naples, qui vécut sous le titre de comtesse de Lipona, qui n’est que l’anagramme de Napoli, légua une collection de correspondance conjugale à sa famille. En 1948 étaient mises en vente salle Drouot trois lettres de la reine Caroline adressées à Joachim Murat et dans lesquelles elle le pressait d’assister au mariage de Napoléon Bonaparte auquel celui-là avait décidé de ne pas se rendre. L’actuelle princesse, veuve de Joachim Murat, l’arrière-petit-fils du destinataire de ces missives, voulut s’enquérir de la provenance et de l’identification de ces documents, et elle les reconnut comme appartenant à sa collection. Il en résulta le présent procès, dans lequel le marquis Xavier de Rochambeau prétend que ces trois lettres proviennent d’une collection d’autographes constituée par sa famille en 1870. Le jugement sera rendu à quinzaine. »

On a retrouvé trace de la décision du tribunal dans un quotidien de province, La Liberté du Morbihan, le 11 février 1950. Il est… sans appel : « L’AFFAIRE DES LETTRES DU ROI DE NAPLES / PARIS. – La 3e chambre du tribunal civil de la Seine a débouté mercredi après-midi la princesse Murat, qui revendiquait la propriété de deux lettres de son ancêtre, le roi de Naples, et une autre de la femme de ce dernier Caroline Bonaparte. La princesse prétendait avoir confié ces trois lettres aux archives nationales en 1939, pour les mettre à l’abri, et les avoir égarées depuis lors. Mais le marquis Xavier de Rochambeau a pu prouver, en présentant des factures que ces trois lettres avaient en fait été achetées en 1868 et 1876 par son arrière grand-père. Admettant l’action reconventionnelle du Marquis, le tribunal condamne d’autre part la princesse à lui verser 20.000 francs de dommages-intérêts. »

Sources : Site Gallica BNF.

Photo : Un autre tableau de Murillo représentant le Christ enfant et saint Jean (Musée du Louvre).

Partager :