Des battues pour retrouver un drôle de léopard
On pensait la bête échappée d’une ménagerie. En 1876, le sud lotois se mobilise pour chasser un léopard. Mais c’est un loup qui fut piégé. Récit haut en couleur et au parfums d’ancestrales frayeurs…
22 février 1935. Auteur d’une célèbre « Histoire populaire du Quercy : des origines à 1800 » publiée en 1920 chez Coueslant à Cahors, L. Saint-Marty signe en une du Journal du Lot un savoureux article. Il y conte un récit qui rappelle alors les grandes peurs d’antan quand les loups descendus des montagnes ravageaient les troupeaux. Et il met au jour un fait divers pas comme les autres qui fit longtemps jaser dans le Quercy. Quand, en 1876, aux confins du Lot et du Tarn-et-Garonne, entre Bach et Saint-Projet, on crut longtemps chasser un léopard échappé d’une ménagerie ayant fait étape à Montauban. Mais surprise. On finit par démasquer le coupable. Et il n’avait rien d’exotique…
« Le fauve redoutable et redouté de nos régions fut toujours le loup, descendant « de la montagne », lors des rudes hivers pour venir sur nos plateaux rôder autour des troupeaux et des habitations, s’avançant au cours de certaines périodes de misère jusqu’aux portes du faubourg Labarre. Favorisés par l’existence de forêts plus étendues et plus fourrées que celles de nos jours, les loups restèrent assez communs jusque vers la fin du XVIIIe siècle et, en 1790, la Société populaire de Gourdon craignait le redoublement de « leurs méfaits », attendu « qu’ils n’entendraient plus l’explosion des fusils » – réquisitionnés pour l’armement des volontaires. Vers 1820, on tuait, en moyenne, dans toute la France, de quinze à seize cents loups par an ; de 1901 à 1905 cette moyenne atteignait à peine la centaine et, depuis, elle a dû vraisemblablement continuer à s’affaiblir encore. »
Un loup ayant tué 250 bêtes à laine
« Le département du Lot est un de ceux où ces fauves ont, depuis longtemps, complètement disparu ; en juin 1878, le dernier, pensons-nous, était abattu dans les bois de Lapanouic, près Rocamadour. Au dire du Courrier du Lot, de l’époque, c’était « un loup énorme », ayant tué « environ 250 bêtes à laine », causant « dix mille francs de dommages ». Deux ans auparavant, un autre loup avait été tué dans les bois de Belmont, sur les confins du Lot et du Tarn-et- Garonne, à la lisière de ce vaste plateau de Cantayrac, jadis peuplé, aujourd’hui désert, qui s’étend de Jamblusse à Mouillac, de La Barthe à Saint-Projet et dont une partie est utilisée depuis une trentaine d’années comme champ de tir du 17e corps d’armée. Il y a quelque soixante ans, la plupart des propriétaires possédaient un troupeau plus ou moins nombreux suivant l’étendue des bois dont ils disposaient dans cette région, l’herbe fine et savoureuse des clairières constituant un pâturage de choix pour les bêtes à laine. »
« Ces troupeaux étaient le plus souvent confiés à la garde de jeunes mercenaires, garçons ou filles, encore trop jeunes pour se livrer aux durs travaux agricoles. Or, un jour de mai 1876, le berger de la grosse ferme d’Aubrelong s’aperçut de la disparition de l’une de ses bêtes ; ce n’était pas là chose extraordinaire ; assez souvent, en effet, agneau ou brebis, malades ou égarés ne rentraient pas le soir à la bergerie, mais le lendemain ou le surlendemain, ils ralliaient le troupeau, ou les chiens découvraient leur dépouille. Mais, cette fois, la bête qui manquait ne reparut pas ; bien plus, quelques jours après une autre disparaissait aux abords d’un ruisselet, sous- affluent de la Lère, – la rivière de Puylaroque – dont le nom évoque des drames lointains : Los négodouïros – le lieu des noyades – une autre encore, appartenant à un autre troupeau, non loin des ruines de l’antique chapelle de Saint-Alby. L’alarme se répandit aussitôt. Dans toute la région, on ne s’entretenait plus que de la redoutable « bête » ; le dimanche, les parties de cartes à l’ombre du vieil ormeau communal en étaient suspendues ; les anciens, nés avant le siècle, racontaient les récits qu’ils tenaient des vieillards de l’époque de leur enfance : Contou, « le vieux », répétait, d’après son père, garde-chasse au Grézal, comment le « Monsieur » d’Escamps s’était débarrassé d’un loup rencontré dans la gorge boisée de La Valse : la bête, plus grosse qu’un veau d’un an, s’était jetée, la gueule ouverte, sur le cheval, l’embrassant avec ses pattes de devant ; le cavalier lui tira un coup de fusil dans la gueule, tandis que deux paysans, accourus, lui brisaient les jambes de derrière… François, « le marchand », dont le père et le grand-père avaient longtemps fréquenté la foire de Beaucaire, parlait à son tour de ce loup fameux qui avait terrorisé le Gévaudan, tandis que Toinon Criquet, un héros de la prise d’Alger, affirmait avoir vu, en traversant la forêt de la Braconne, pour aller « rejoindre », à Rochefort, une famille de loups « s’amusant comme de petits chiens »… »
Un léopard échappé d’une ménagerie
« Chacun préconisait quelque moyen de destruction : pièges ingénieux, fosses profondes, habilement dissimulées, lacets en fil d’acier, battue générale avec tous les chasseurs du pays… Pourquoi, pour cet objet n’enverrait-on pas « la troupe » ? Mais, en fait, était-ce bien un loup dont on avait à se plaindre ? Justement, une ménagerie avait naguère stationné à Montauban et les charretiers qui, chaque semaine, conduisaient en cette ville un chargement de bois en avaient apporté la nouvelle. Un fauve ne pouvait-il pas s’être échappé ? un léopard, par exemple… Bientôt, on ne douta plus qu’un léopard, en effet, ravageât les troupeaux. Rabet n’affirmait-il pas avoir aperçu sur le toit en chaume de la bergerie de Pech-Vert une bête en tout semblable à celle de ce nom que portait la couverture des cahiers scolaires vendus par Ramounil ? A la suite d’une « tournée » commandée par le gendarme Lacarrière, « le plus ancien de la brigade », le brigadier de gendarmerie de Lalbenque envoya un rapport, les maires de Belmontet et de Vaylats alertèrent le Préfet, lequel, si l’on en juge par un communiqué officiel, crut lui aussi à un « Léopard échappé d’une ménagerie ». »
« Bref, dans les premiers jours de juin, une battue fut décidée : expédition officielle qui, sous la direction du conseiller de Préfecture Caviole et de l’ex-commandant de mobiles Guiraudies, parcourut les bois durant quelques heures. De léopard, ni de loup, on n’en vit point, mais on en parla beaucoup au cours du dîner servi par l’un des plus réputés hôtels de Lalbenque. La bête continua ses ravages. Tandis que les petits propriétaires ramenaient leurs troupeaux aux abords des lieux habités, les bergers des grosses fermes s’étaient munis de sortes de trompes, façonnées avec une corne de bœuf, qu’ils faisaient entendre de temps à autre pour effrayer l’animal redoutable et se donner du courage à eux-mêmes. La servante de Pech-Sec les imitait et, dans la nuit, faisait elle aussi résonner le son du cor que reproduisaient, au loin, les échos de la Veyrière. Enfin, dans les premiers jours de septembre, un chasseur occasionnel, Rouelle, cadet, du village de Raunel eut la bonne fortune de découvrir la bête : surpris dans un fourré, et blessé d’un coup de feu, l’animal se jeta sur l’homme qui dut se servir de son arme comme d’une massue ; le fusil fut d’ailleurs brisé. Le « Léopard » était un loup, un gros loup, pesant soixante-dix kilos, au dire du Courrier de Tarn-et-Garonne. La bonne nouvelle fut vite connue : « Oou tuat lou tout ! » – « On a tué le loup ! », s’écriaient les gens en s’abordant. Suivant l’usage qui accompagne la capture de toute bête nuisible, l’heureux chasseur, avec deux ou trois amis, promena la dépouille de sa victime dans toute la région et les habitants se montrèrent si généreux que ce fut une longue période de ripailles dans tous les cabarets du village. A tel point que lorsque étrennes et pourboires prirent fin, notre tueur de loups ne pouvant se plier de nouveau à la vie fruste de naguère voulut exploiter l’incendie de sa maison et… « eut une triste fin », disent encore les gens du pays. »
Source : texte et image site Gallica-BNF.
Image : lithographie de Charles- Philibert de Lasteyrie (1759-1849).