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Un conte de Noël qui pique au vif


Décembre 1911 : tout Cahors et plusieurs institutions félicitent le jeune Raymond Marmiesse qui a stoppé la course folle d’un chien enragé.

C’est un dimanche de novembre que s’est produit le drame. En tout cas le fait divers qui fort heureusement se termina de la meilleure façon. On en lit le compte rendu dans le Journal du Lot en date du mercredi 8 novembre 1911 :

« Chien enragé._ Dimanche, vers quatre heures et demie, un chien noir, de forte taille a parcouru les rues de la ville, en mordant ses congénères et des personnes qui se trouvaient sur son passage. Dans le faubourg Labarre, il a déchiré les robes à deux femmes et à une fillette. Dans la rue Feydel, il a mordu un cheval à la jambe et dans la rue du Château-du-Roi, une petite ânesse appartenant à Mme Soubrieu. »

« Poursuivi, ce chien n’a pu être rejoint que devant l’église Saint-Urcisse. A ce moment, le chien qui venait de mordre le jeune Puig était maintenu solidement par le jeune Marmiesse, fils du mécanicien, rue St-James. Malheureusement, le jeune Marmiesse avait été cruellement mordu au genou. Mme Séval, propriétaire de l’Hôtel d’Orient passa une corde autour du cou du chien que maintenait avec tant de courage le jeune Marmiesse et peu après un chasseur abattit l’animal enragé d’un coup de fusil. De vives félicitations sont dues au jeune Marmiesse qui a été gravement mordu, mais dont le sang-froid et le courage ont évité de plus graves malheurs. Les personnes mordues ont été dirigées sur l’Institut Pasteur. » Nos confrères de l’époque croient nécessaire d’ajouter une précision en guise de conclusion : « Après examen du vétérinaire, il n’a été relevé aucune blessure à la jambe du cheval. Ce cheval ne sera pas abattu, mais la petite ânesse de Mme Soubrieu sera abattue. »

Les félicitations du ministre, et une médaille

Il n’y avait à l’époque ni réseaux sociaux, ni chaînes d’info en continu. Mais la presse est lue. Et relayée. L’article des journalistes lotois a été repris dans la presse nationale. Sans oublier que les préfets et les procureurs font remonter à Paris, par la voie hiérarchique, les événements les plus notables… Les autorités vont donc faire le nécessaire pour saluer la bravoure de l’adolescent du Quercy. Et fort logiquement, en date du mercredi 29 novembre 1911, Le Journal du Lot rapporte : « Acte héroïque d’un lycéen._ Le ministre de l’instruction publique vient d’adresser une lettre officielle de félicitations à un jeune élève du lycée de Cahors, qui a fait preuve d’héroïsme dans les circonstances que voici. Il y a quinze jours, dans l’après-midi du dimanche, un chien enragé parut dans une des rues les plus fréquentées de Cahors. Il avait déjà mordu deux enfants et plusieurs animaux, lorsque le jeune Raymond Marmiesse, âgé de 16 ans, élève de la classe de 1ère D au lycée Gambetta, se jeta sur la bête affolée et chercha à la saisir à la gorge. Les spectateurs épouvantés, lui criaient : « Lâchez-le donc ! » Il répondit : « Non, il en mordrait d’autres ! » Et malgré les morsures cruelles qu’il recevait, il maintint le chien sous lui jusqu’à ce que celui-ci fût étranglé par un noeud coulant. Le jeune homme, grièvement blessé, a été envoyé à l’Institut Pasteur. Dans la lettre qu’il vient de lui écrire, le ministre de l’instruction publique, après avoir adressé au jeune Marmiesse ses « félicitations personnelles pour cette belle action », ajoute : « En témoignage de ma haute satisfaction, j’ai décidé de vous décerner une médaille d’argent qui portera gravé, votre nom. Elle vous sera un témoignage durable de l’estime publique pour un acte de dévouement qui honore grandement son auteur, et dont le mérite rejaillit sur l’Université tout entière. »

Deux chèques et une pique… contre la mairie

Une médaille, c’est bien. Un chèque, c’est encore mieux. Surtout à l’approche de Noël et quand on a bientôt 17 ans (l’âge où l’on n’est pas sérieux, disait Rimbaud, mais cela n’empêche pas d’avoir du caractère et du courage…). Ainsi, comme l’indique Le Journal du Lot en date du mercredi 27 décembre, l’année se termine au mieux pour notre héros : « Le courage récompensé._ Nos lecteurs connaissent l’acte de courage accompli par le jeune Marmiesse, élève du lycée Gambetta, qui arrêta et maintint un chien enragé par lequel il fut cruellement mordu. Nous sommes heureux d’apprendre que l’Académie de Paris vient d’attribuer à ce jeune homme le prix Carnégie, une médaille d’or et un prix de 1 000 fr. La médaille de bronze a été décernée à Mme Séval qui passa le lacet autour du cou de la bête enragée que maintenait le jeune Marmiesse. »

Mais ce n’est pas tout. L’incontournable bulletin des Lotois exilés dans la capitale, Le Quercy à Paris, en date du 31 décembre, revient sur l’affaire (notant ironiquement que des soldats faisaient partie des spectateurs suggérant au jeune homme de lâcher le chien…), son heureuse conclusion, et achève son article en précisant qu’outre la médaille d’or décernée et les 1000 fr., les autorités ont pris en charge « les frais de voyage du père, qui conduisit son fils à l’Institut Pasteur. Car il faut vous dire que la ville de Cahors, sous prétexte que ce père, petit commerçant, payait patente (et quelle modeste patente !) refusa de venir en aide à la victime et à ses parents. Sans commentaires. »

Mais ce n’est pas tout. En plongeant dans les archives, on relève encore que l’Académie française elle-même a mis à l’honneur le jeune Cadurcien. Ainsi, dans son « Discours sur les prix de vertu » prononcé le 21 novembre 1912, Alexandre Ribot indique à propos de Raymond : « Ce jeune homme a donné un bel exemple de sang-froid et de simplicité dans le courage le plus intrépide. L’Académie lui décerne (donc) un prix de 500 francs. » On vous laisse méditer la conclusion de l’ancien président du conseil et académiciens : « La génération qui monte joint à la recherche inquiète des conditions de la vie une confiance que n’avaient pas ses devancières. Elle n’est pas vaincue d’avance. Elle veut être sérieuse et sincère avec elle-même. On dit aussi qu’elle est moins disposée à croire que l’intelligence suffise à la vie individuelle et à la vie des nations. Ce n’est pas assez de tout comprendre pour être apte aux grandes entreprises. Ce renouveau de faveur pour les doctrines morales ou philosophiques qui préparent à la vie intense, cette disposition à chercher la pierre de touche de la vérité de telle doctrine, dans la force qu’elle communique à l’âme pour l’action féconde, tout cela semble être l’annonce d’un temps où l’on aimera mieux agir que disserter. » Vrai ? Toujours ? Plus d’un siècle plus tard ?

Ph.M.

Sources : site Gallica BNF. Dessin de Damblans dans le supplément illustré du Petit Journal.

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