Sur une brocante, la photo d’un couple amoureux fauché par la Shoah à Cahors
Abandonné sur un trottoir, gisait un album de photos ayant appartenu à Jankiel Lewin et Chana Morer. Réfugiés à Cahors, ils y furent arrêtés en 1942 puis déportés à Auschwitz.
Les brocantes et vide-greniers, voire les pochettes et cartons entassés sur les étagères d’un antiquaire ou d’un bouquiniste cachent parfois des éditions rares, des romans d’un autre temps, de simples prospectus d’autrefois. Mais cette fois- là, il s’agissait de photos et vieux papiers jaunis par le temps mais dont il s’avéra qu’ils constituaient l’ultime témoignage d’une tragédie.
Dans un carton abandonné sur un trottoir à Besançon, dans le Doubs, récupéré puis mis en vente par un brocanteur, un historien et généalogiste a trouvé, trié puis étudié des dizaines de clichés, pour la plupart amateurs, hors certains portraits réalisés en studio destinés à des pièces d’identité officielles. Au verso, des annotations (en langue polonaise), des noms, des prénoms, quelques lieux. L’historien a mené l’enquête.
Après le Doubs, la douceur de Cahors
Ces photos familiales, au sortir d’une cérémonie, d’un repas, d’une escapade à la campagne, datant pour l’essentiel des années 1920 et 1930, elles avaient été « oubliées » à l’été 1940 dans la capitale du Doubs par un couple de réfugiés polonais, Jankiel Lewin et Chana Morer, quand ils décidèrent de se réfugier en zone libre, et se fixèrent à Cahors.
Il a 34 ans, elle en a 28. Ils se sont rencontrés en Pologne, originaires de villages voisins. C’est là-bas que l’amour les a liés, et qu’avant l’exil, ils appréciaient tant, en famille, avec des amis, se balader en forêt, faire la fête, oublier les rigueurs de l’époque. Mais les nuages s’annoncent. Avant les persécutions antisémites, il y a les purges politiques. Jankiel est arrêté et incarcéré. On lui reproche son engagement communiste.
Dès qu’ils le peuvent, les amoureux s’enfuient. Ils gagnent la France et ils arrivent clandestinement à Besançon, où le frère aîné de Chana est déjà installé. Le couple trouve du travail et cherche à régulariser sa situation. Il va même se marier, en avril 1940. Entre-temps, la police et les services du ministère de l’Intérieur ont ouvert un dossier au nom de Jankiel Lewin. Un communiste, ça se surveille. Le dossier finira dans le fond de Moscou : des listings et des fiches par milliers que les Nazis saisiront à leur arrivée à Paris et sur lesquels les Soviétiques feront main basse cinq ans plus tard quand ils s’empareront de Berlin !
Un couple comme les autres, ou presque, faubourg Cabazat
Mais dans le Lot, administré par le régime de Vichy qui collabore avec zèle, ils sont vite repérés et visés par les lois scélérates de l’automne 1940. Jankiel est arrêté puis interné à Agde, à Rivesaltes et enfin Argelès. Pensez ! Juif et communiste… Pourtant, une intervention du rabbin Henri Schilli, aumônier des camps de la zone sud, lui permet de bénéficier d’une mesure de clémence. C’est un sauf-conduit qui l’autorise à retrouver Cahors en mars 1941. Il retrouve aussi sa chère Chana. La vie reprend. Presque normalement. Ils habitent faubourg Cabazat. Elle travaille comme femme de ménage, lui comme manutentionnaire.
Mais ce n’est qu’un répit. La mécanique de la Shoah a été mise en œuvre, et la complicité des autorités de l’État français va toujours croissant.
Recensements, déclarations, attestations. Toutes ces fiches et toutes ces formalités n’ont au fond qu’une seule vocation : lors des rafles, les policiers et gendarmes n’ont qu’à directement aller « cueillir » les victimes à leur domicile.
Jankiel et Chana sont arrêtés le 26 août 1942. Une rafle sur toute la zone sud. Le gouvernement français s’est engagé à livrer 10 000 juifs aux autorités allemandes. Pour les deux réfugiés, la suite est hélas aussi rapide que tragique. D’abord regroupés avec d’autres au camp de Septfonds, ils sont ensuite convoyés vers Drancy. Ils sont déportés à destination d’Auschwitz par le convoi n°30 du 9 septembre et assassinés aussitôt leur arrivée.
A retrouver sur le site Sur Nos Traces
Cet article est le condensé d’un récit bien plus détaillé et richement illustré publié sur le site Sur Nos Traces, que dirige l’historien et généalogiste Nicolas C. On appréciera la rigueur du chercheur et le style de l’auteur, qui nous rappelle certains chapitres du prix Nobel Patrick Modiano. Nous le remercions vivement pour nous avoir autorisé à reprendre une partie de ses recherches. Et de nous avoir précisé que les photographies trouvées à Besançon ont pu être remises aux nièces du couple Jankiel-Chana. Quelques clichés ont été confiés également au Mémorial de la Shoah de Paris et à l’Institut Yad Vashem de Jérusalem. Même au hasard d’une brocante, il est dit que la mémoire des heures sombres (comme celle des moments plus heureux) doit toujours être transmise.
C’est même un devoir. A Cahors, certains réfugiés ont été interpellés puis déportés. D’autres ont pu être cachés et ont échappé aux rafles. Rien n’est jamais monochrome…
Ph.M.
Source : site Sur Nos Traces. Photo : droits réservés.