Sibelle, les tours de plaine et des plaintes, le slow tourisme et l’arrivée du loto bouse
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Lundi._ Effectuer un « tour de plaine ». Avec ma protégée féline, nous ignorions cette locution spécifique à l’agronomie. La définition que je trouve assez vite sur Internet est la suivante : « Visite par un agriculteur, seul ou accompagné d’un technicien, de l’ensemble de ses champs pour analyser l’état de ses cultures et déterminer les interventions culturales à y mener. » Il existe cependant des variantes. Ainsi, en ce début de semaine, les services de l’État dans le Lot annoncent qu’« après les épisodes de gel massif des 19, 22 et 23 avril, la direction départementale des territoires (DDT) procède à l’évaluation des dégâts, en se rendant à la rencontre des différentes filières qui ont été touchées, notamment la viticulture et l’arboriculture. Ces tours de plaine effectués chez un échantillon d’exploitants touchés permettront de monter le dossier de reconnaissance départemental (pour bénéficier de l’indemnité de solidarité nationale). » Bref, ces tours de plaine en forme de tournées des plaintes n’ont rien d’anecdotiques, et il ne faut pas y voir de simples promenades poético-bucoliques. Pourtant, depuis le bolet de notre maison, sur les hauteurs du village, à l’orée de la vallée, les parcelles de vignes, au loin, qui bordent la rivière, paraissent baigner dans une sereine quiétude printanière. Mais rien n’est plus filou que le raisin. Certaines années, dans notre jardinet, l’unique pied de vigne (en l’occurrence du chasselas) que j’ai planté il y a dix ans pour « couvrir » un muret en pierre sèche semble lui aussi tout guilleret au mois de mai et même en juin. Et l’on observe que la nouaison s’effectue normalement. Les grains commencent à se former dans les fleurs fécondées. Sauf que ces mini-grappes ne grandissent pas, et avec la chaleur estivale, elles finissent par se dissoudre. On les touche à peine qu’elles redeviennent poussière. Le gel les a anesthésiées, il les a brûlées en silence. Mais les conséquences sont évidemment moins dramatiques chez nous, humbles particuliers, que chez les professionnels… Sibelle que le phénomène fascine décide sortir. J’ouvre la porte. Elle est saisie par le vent humide. « Je n’ai pas le choix. C’est l’heure de mon tour de plaine » me balance-t-elle en gagnant le jardinet.
Mardi._ On reste dans la sémantique. Dans un communiqué, l’agence Lot Tourisme indique soutenir « deux initiatives lotoises dans le cadre d’un appel à projets national intitulé « Formes Emergentes de Tourisme », dont le principal objectif est d’accompagner l’émergence et la structuration d’offres de slow tourisme et d’écotourisme à l’échelle de la Destination France ». Le premier s’intitule Nomades des Terres, et propose des expériences de slow tourisme avec au programme itinérance en calèche, cuisine et repas ensemble, nuitées en tentes en coton tout près des chevaux (sic). Le second, nommé Hibana, vise à ouvrir un coffee- shop, en l’occurrence un tiers-lieu éco-responsable le long de la voie verte à Mercuès, dans un bâtiment SNCF entièrement restauré . On pourra y prendre un café, participer à un atelier créatif, télétravailler dans un lieu cosy et adapté, et même dormir dans un des wagons de train revisité pour apprécier une nuit insolite (re-sic). A l’heure où à Venise comme sur les hauteurs de l’Everest le sur-tourisme devient une question majeure, le Lot s’engage donc sur une voie bien différente. Sibelle se dit séduite par ce concept de « slow tourisme ». Mais est-ce bien nouveau ? En son temps, Georges Pompidou ne roulait qu’en 2CV quand il séjournait à Cajarc. Et au XIXème siècle, c’est en marchant avec une ânesse que le grand romancier Stevenson découvrit les Cévennes. Moi-même, il y a désormais trente ans, c’est pour sa quiétude, son authenticité, le calme (apparent ou pas) de ses causses et de ses vallées que je suis tombé amoureux du 46. Il y a des sites qui attirent des centaines de milliers de visiteurs (Saint-Cirq, Padirac, Rocamadour), mais comme beaucoup, moi, ce sont les chemins bordés de murets en pierre sèche et les apéros sous les couverts des humbles bastides d’ici qui m’ont d’abord enchanté. Je faisais du « slow tourisme » sans le savoir.
Mercredi._ J’aurais dû m’en douter. Ma tigresse domestique a d’ores et déjà cerclé de rouge la date du 26 mai. Ce jour-là, à Mayrac, se déroulera le premier loto bouse jamais organisé dans la région. Le principe est simple comme bonjour. On quadrille un pré devenu de ce fait une carte géante de loto avec plusieurs dizaines de cases. On mise sur un numéro. Et on lâche une vache. Quand la brave bête s’est soulagée, celui qui a parié sur la bonne case, où la bouse est tombée, a gagné. Ceux qui ont déjà assisté à ce genre de spectacle buco-ludique racontent que parfois, la bouse s’étale sur deux cases. Il faut dès lors sortir les doubles décimètres pour déterminer le point d’impact initial ou la case la plus « arrosée ». Je n’ai pas encore donné mon accord pour aller à Mayrac le 26. Mais Sibelle insiste déjà : « Pour une fois qu’on est dans la m… et qu’on peut s’amuser… »
Jeudi._ L’état d’urgence est décrété en Nouvelle-Calédonie. Il me faut expliquer à ma protégée l’histoire de ce territoire et les drames de 1988. Puis je lui narre le processus initié alors par Michel Rocard, les accords de Matignon, etc. Mais voilà. L’histoire, donc, est en train de bégayer. Les émeutiers semblent jeunes. On les dit un peu perdus, entre les coutumes traditionnelles et un mode de vie occidentalisé dont ils n’ont pas les clés. Il est question d’un conflit lié à l’élargissement du corps électoral. En gros, de savoir s’il est légitime ou pas que des métropolitains arrivés depuis dix ans aient la possibilité de voter sur des sujets engageant l’avenir de l’archipel. Sibelle est dans l’expectative. Moi aussi. Mais certains experts avaient prévenu, semble-t-il. Ils n’ont pas été entendus. C’est le problème avec les experts. Ils sont prudents ? On dit que ce sont des pisse-froid. Ils sont optimistes ? On prétend alors que ce sont des pompiers pyromanes.
Vendredi._ On se quitte sur une note plus souriante. Dans le cadre de l’opération européenne de la Nuit des Musées, le musée Henri-Martin propose ce samedi soir des visites de ses collections archéologiques à l’aide d’une lampe torche. Ma protégée féline trouve l’idée assez pertinente, a fortiori dans une région connue pour ses grottes rupestres. A Cahors, on ne verra pas la flamme olympique, mais on pourra quand même tenir le flambeau.