A Cahors, union contre la vie chère et à Douelle, Don Camillo fait capoter une élection
Comment lutter contre la hausse des prix ? Un premier pas : inviter les consommateurs à s’unir ! A Cahors, l’idée n’est pas nouvelle. On en parlait déjà en 1926…
– C’était en l’an de grâce 1926. A l’approche des fêtes, réunis à la mairie de Cahors, des citoyens décident de faire front commun pour « lutter contre la vie chère ». Laquelle, a priori, est particulièrement notable dans le Quercy. Le 19 décembre, Le Journal du Lot rend compte de l’évènement et insiste sur ce constat : jusqu’alors, « les producteurs et les marchands ont su coaliser leurs forces tandis que les consommateurs restent dispersés, isolés et impuissants ». Voici les principaux extraits de l’article de nos confrères d’alors… On notera que via son représentant à cette assemblée, le préfet de l’époque a décidé d’adhérer à la toute nouvelle Ligue des consommateurs…
– « Sous les auspices du Comité Economique du Lot, s’est tenue hier soir une importante réunion qui avait pour but la constitution d’une « Ligue de Défense des Consommateurs de la Région de Cahors ». Nous avons eu l’occasion de signaler que l’idée de ce projet avait germé dans plusieurs esprits et s’était fait jour en diverses circonstances. Aux réunions du Comité Economique du Lot, notamment, plusieurs membres avaient fait observer que les producteurs et les marchands ont su coaliser leurs forces en des associations qui défendent énergiquement leurs intérêts, tandis que les consommateurs restent dispersés, isolés et impuissants. « Il faudrait, disait-on, qu’ils « s’organisent eux aussi et qu’ils se « donnent l’instrument de défense permanent qui leur a manqué jusqu’ici ! » Mais, ajoutait-on, parmi cette foule, qui prendra l’initiative de cette organisation ? Et c’est pour répondre à ce besoin reconnu que le Comité Economique du Lot (qui est lui-même constitué sur les recommandations du gouvernement et dont l’existence et l’action sont officielles), a décidé de convoquer une réunion de consommateurs ».
– « Des convocations individuelles et collectives avaient été adressées à un grand nombre de nos concitoyens, aux sociétés, aux groupements, aux syndicats locaux. Près de 300 personnes avaient répondu à cet appel. Nous ne citerons pas de noms (ils seraient trop), mais nous tenons toutefois à signaler la présence de M. Bor, secrétaire général de la Préfecture, qui a fait inscrire en tête des adhérents le nom de M. Castanet, préfet du Lot. Vers neuf heures et demie, l’assemblée se constitue et désigne pour prendre la présidence de la réunion M. Lalaurie, ancien directeur d’Ecole Normale. Celui-ci remercie. Puis il ajoute que l’on n’est pas là pour philosopher, mais pour engager une action pratique et de réalisation. Les prix que nous payons dans notre ville, dit-il, sont très supérieurs à ceux des régions voisines. Cela va-t-il durer ? C’est à vous qu’il appartient de le dire. « Si nous constituons notre association, ajoute M. Lalaurie, très applaudi, nous lutterons contre cette situation et nous essayerons de le faire en rétablissant le régime de la libre concurrence. Nous ne voulons pas la guerre et nous espérons qu’on ne nous obligera pas à la faire. Mais nous ne nous laisserons pas frapper sans répondre, si on nous met en état de légitime défense. Nous aurons des moyens de combat. S’il le fallait nous saurions organiser les achats en commun et au besoin les coopératives comme elles fonctionnent à Carcassonne, à Toulouse et ailleurs. « Mais nous espérons arriver à notre but par l’entente et dans la paix ! Il s’agit, bien entendu, d’une paix basée sur le droit et l’équité. »
– « Après ces déclarations, M. Lalaurie donne la parole à M. Cammas, délégué par le Comité Economique du Lot pour exposer les buts, voies et moyens. Il résume les résultats déjà obtenus par l’action du Comité et dit que celui-ci regrette de s’être trouvé « en présence de certaines résistances qu’il faudra vaincre par la persuasion et au besoin « par d’autres moyens ». Puis, il ajoute : « Ne croyez pas que nous voulions créer une œuvre de combat dirigée contre le commerce en général. Nous n’ignorons aucune des charges que supporte le commerce de détail et nous admettons parfaitement la théorie que chacun doit vivre de son métier. Ce que nous voulons, c’est que chaque commerçant ne perçoive qu’un bénéfice raisonnable sur ses marchandises et que le consommateur ne soit plus taillable et corvéable à merci. Nous voulons que lorsque la farine diminue, le pain diminue ; que lorsque les bœufs, veaux et moutons subissent une baisse de 30 à 40 % sur les marchés, la viande subisse une diminution correspondante et qu’il en soit de même pour les porcs, le vin, le sucre, le café et les pâtes alimentaires. Nous voulons que le quart de la livre soit de 125 grammes et nous ne voulons plus payer le papier au prix de la marchandise. »
– « Si, d’autre part, des concurrences s’établissent et un mouvement dans ce sens se dessine, notre organisation, d’accord avec le Comité Economique du Lot, s’assurera des qualités et des prix offerts par la concurrence et, le cas échéant, indiquera à tous ses adhérents les maisons qui donneront la meilleure marchandise aux prix les plus avantageux. On peut envisager dès maintenant la possibilité d’organiser des achats en commun de denrées de première nécessité et, pour plus tard, la création d’une coopérative dans le genre de celles fonctionnant avec succès dans la région du Nord de la France et en Belgique. » Le but de la réunion ainsi exposé aux applaudissements de tous, M. Cammas demande à la réunion de décider par un vote de principe si elle veut constituer la Ligue projetée. A l’unanimité, l’assemblée répond affirmativement. Enfin, il faut nommer le bureau provisoire qui gérera la Ligue jusqu’à la prochaine Assemblée Générale. Après discussion et votes le bureau est ainsi constitué. Président : M. Lalaurie ; Vice-Présidents : Mlle Bergougnan, Econome du Lycée de Jeunes Filles et M. Rigal, Econome du Lycée Gambetta ; Secrétaires : MM. Cammas et Rosset ; Trésorier ; Capitaine Baillargeau. Commissaires : MM. Gau, Jules Ressiguier, Troupel et Lafage. »
– Pourtant, en ce début de XXème siècle, le combat contre la vie chère et la défense des consommateurs ne sont pas les seuls obstacles qu’il faut surmonter pour vivre sereinement… D’autres conquêtes doivent être entreprises. D’autres droits sont à consolider ou renforcer. Ainsi, on apprend dans le Journal du Lot du 27 juin 1903 que la très officielle Commission départementale du Travail s’est réunie pour étudier d’épineuses questions. « Etaient présents : MM. L’Inspecteur départemental du travail, le Contrôleur des mines, Dr Gélis, membres de droit ; Chansarel, Coueslant, Galaup, industriels, membres désignés par la Chambre de Commerce ; Alaux, Ilbert, Maury, Bonhoure, S. Destreil, Guillandou, délégués par les syndicats ouvriers. (…) M. Destreil demande à M. l’Inspecteur du travail s’il ne peut pas intervenir lorsqu’un patron donne du travail, à emporter, à ses ouvrières, une fois la journée finie. Sur la réponse négative de l’Inspecteur, M. Destreil dépose un vœu demandant qu’il soit interdit aux patrons de donner à leurs employés « du travail à faire chez eux en dehors des heures de travail. »
– « Une longue discussion s’engage entre les délégués des Syndicats, M. l’Inspecteur du travail et MM. Galaup et Coueslant. Ce dernier fait remarquer qu’une pareille mesure serait inique parce qu’elle porterait atteinte à la liberté individuelle. « Il peut se faire, par exemple, qu’une mère ou une sœur d’ouvrière ne pouvant se rendre 10 heures durant dans un atelier, puisse, chez elle, 2 ou 3 heures par jour, faire des travaux à façon. Peut-on méconnaître le droit au travail dans ces conditions. . . Certes, nous sommes tous d’accord sur le principe, il ne faut pas tourner la loi, mais on a le devoir de se préoccuper également des personnes qui, pour des raisons légitimes, peuvent se trouver obligées de travailler chez elles plutôt qu’à l’atelier. » Dans ces conditions M . Coueslant propose de modifier de la manière suivante le vœu de M. Destreil : « La Commission du travail émet le vœu que des mesures efficaces soient prises pour qu’un industriel ne puisse pas prolonger la durée légale du travail de son personnel par des tâches supplémentaires à faire à domicile, ce qui permettrait en somme à cet industriel de tourner la loi de 1892. Adopté à l’unanimité. »
– Pour autant, alors que nous sommes encore avant la désormais célèbre loi de 1905, la vie politique lotoise (comme partout en France) est très agitée. Entre Républicains laïcs et opposants cléricaux, on ne se passe plus rien. Mais alors, rien du tout. Et résultat des courses, les autorités doivent sévir. A Douelle, ainsi, les électeurs vont devoir retourner aux urnes. Le 17 juin 1904 Le Journal du Lot explique pourquoi… « Le Conseil de Préfecture a consacré la plus grande partie de sa séance d’hier à l’enquête qu’il avait ordonnée au sujet de l’élection de ballottage à Douelle et du sermon que le jeune vicaire Lafon avait prononcé le matin du 8 mai. Les protestataires républicains ont fait entendre cinq témoins qui ont affirmé les propos tenus par le curé et la répercussion que ce sermon violent avait eu sur les femmes et les hommes. »
– « Quinze autres paroissiens envoyés par l’abbé et dont quelques-uns exhibaient leur chapelet pour prêter serment, ont rapporté les mêmes propos en les approuvant, en les commentant et en leur déniant toute influence sur le résultat de l’élection. Mais le vicaire de Douelle n’a pas peur et il a la naïveté de faire remettre au Conseil de Préfecture le texte de son prône qu’il a, sans doute, un peu retouché. Me Lacaze, le distingué avocat des protestataires, donne lecture au Conseil de ce document qui n’est autre chose qu’une diatribe violente contre le gouvernement du pays en général, et contre les républicains de Douelle en particulier. Il se demande si, en présence de cet aveu de l’auteur, l’enquête, cependant très probante, peut être de quelque utilité. Il insiste avec la plus grande énergie pour l’annulation du scrutin. Me Besse fait un dernier effort pour sauver le bouillant abbé et ses protégés. M. Veillon, commissaire du gouvernement, se prononce, avec beaucoup de vigueur, pour l’annulation. Après un quart d’heure de délibération, le Conseil de Préfecture rentre en séance et rend un arrêté aux termes duquel, et à raison de l’ingérence du clergé, les opérations électorales du 8 mai dans la commune de Douelle sont annulées. Il n’est point douteux que cette décision, en tous points conforme à la jurisprudence administrative, serait confirmée par le Conseil d’Etat s’il plaisait aux cléricaux de Douelle de former un pourvoi. »