Allez les petits !
Spécial coupe du monde rugby. En ce Jour J, comment ne pas évoquer une légende lotoise qui a tant fait pour ce sport ? Roger Couderc !
« Le douze juillet mil neuf cent dix-huit à cinq heures du soir est né au lieu-dit Le Puydalon Marcel Roger Couderc, de sexe masculin, des mariés Pierre Couderc, mobilisé, âgé de trente ans, et Jeanne Eugénie Burgt, sans profession, âgée de trente et un ans… » Ainsi débute l’acte de naissance de celui qui sera surnommé quelques décennies plus tard le seizième homme du XV de France ! Il est signé du maire de Souillac de l’époque, Martin Malvy. En marge, sur le registre, a été ajoutée cette mention : « Décédé à Bron (Rhône), le 25 février 1984 ». Et l’on observe enfin cet étonnant clin d’œil du destin : en cette année particulière, bien que l’on soit déjà en été, il s’agit justement de l’acte de naissance numéro 16 !
La suite de la biographie de Roger Couderc est connue. Ses parents tiennent bientôt un hôtel-restaurant réputé de la petite ville lotoise et le fiston se rend à Cahors pour suivre sa scolarité. Au lycée Gambetta, il découvre la noblesse du rugby au sein de « La Quercynoise ». Mais si son père rêve de le voir derrière un piano… de restaurant, ce sont d’autres muses que l’adolescent caresse. A 15 ans, il rejoint Paris pour étudier les Beaux-Arts. Et il faut aussi gagner sa vie. En 1938, Roger Couderc entre comme apprenti journaliste à l’agence de presse Fournier, spécialisée dans l’actualité financière.
Le tournant de la guerre
Survient la Seconde guerre. Mobilisé à Agen au sein du 12ème régiment d’artillerie coloniale, Roger Couderc, comme tant d’autres, est fait prisonnier en juin 1940. Il est dirigé vers un stalag. Curieux hasard, encore, parmi les chantiers pour lesquels il est désigné d’office, figure la construction d‘un stade. Mais blessé lors d’un bombardement, il est autorisé à rentrer en France. On est en 1943. Les mois qui suivent vont définitivement changer sa vie. Il rencontre sa future épouse, s’engage bientôt dans la résistance et retrouve le journalisme. D’abord dans la presse écrite, puis, dès le début des années 1950, à la radio. On le charge du rugby à XIII et des courses automobiles. En 1958, enfin, Roger Couderc débute à la télévision, elle-même encore balbutiante. Il a définitivement trouvé sa place. Le Lotois devient l’un des reporters les plus populaires tout en parvenant à transmettre sa passion pour le rugby. Cependant, l’homme a plusieurs visages. Il accepte de figurer dans des émissions de variétés tout en écrivant des polars. Il se lie d’amitié avec les grands champions des années 60, 70 et du début des années 80 sans oublier ceux qui lui avaient fait confiance avant même la fin de la guerre. Comme un certain François Mitterrand, pour lequel il travailla comme journaliste à « Libres » en 1944. Et qui, en 1982, lui remettant la Légion d’Honneur à l’Elysée, usera d’une formule pertinente : « Vous avez inventé un métier… » Et il y a le Roger Couderc qui semblait être une force de la nature mais dont la santé se révélait toutefois fragile depuis la guerre, encore.
Alors que débute la Coupe du Monde, une épreuve qui n’existait pas quand il décède prématurément en 1984 des suites d’une hémorragie cérébrale, la France sportive en général et celle du rugby en particulier ne peut qu’avoir une pensée pour Roger Couderc. Comme Thierry Roland à sa façon pour le football, il a su créer un lien indéfectible entre ce sport jusqu’alors jugé viril, réservé au quart sud-ouest du pays et pas toujours simple à comprendre pour les non initiés et le grand public. Avec lui, chaque match était une épopée, chaque action était le début d’un roman. Chaque joueur était un acteur qui s’invitait dans la salle à manger de monsieur et madame tout-le-monde.
Il avait deviné les défis à venir
Reste que l’homme ne se faisait pas d’illusions. Comme on le découvre dans ces lignes écrites pour une auto-biographie parue en 1983. Roger Couderc devinait que le rugby aurait de sacrés défis à relever pour rester le sport que l’on aime, et la télé aussi, d’ailleurs, dans le domaine des médias. Mais c’est une autre histoire encore : reste cette voix qu’on n’oubliera jamais. Et ces mots :
« Allez les petits ! ». A Fabien Galthié et à ses hommes de rester fidèles à la légende forgée par leurs aînés, à l’esprit chevaleresque qu’aimait magnifier Roger Couderc. Cela commence ce soir. Et pas face aux premiers venus…
Quelques extraits du livre de Roger Couderc écrites après son départ à la retraite… « Tous ces stades que j’ai aimés, mon micro branché sur les exploits du XV de France, je n’ai vraiment qu’une seule envie à leur sujet : les revoir côté public. Par fidélité, par passion, par curiosité aussi. Après tout, il reste toujours quelque chose à apprendre dans le rugby. Mon attachement à la cause du rugby n’est qu’une longue histoire sans fin. Ce n’est pas parce que j’abandonne mon micro qu’elle se termine, elle revêt un autre aspect… Et maintenant je me rends compte qu’il y a toujours une autre manière de voir le rugby. Je n’ai jamais suivi tous ces matches qui ont fait ma joie que dans ma cabine de commentateur. Dans une situation paradoxale. J’étais en liaison avec des millions de téléspectateurs et j’étais coupé de ceux qui étaient dans le même stade que moi. Je n’étais pas privé de leurs réactions profondes. Mais je n’étais pas réellement parmi eux… L’idée de me fondre dans la foule enfiévrée de Twickenham, de Murrayfield, de Lansdowne Road, de l’Arms Park ou du Parc des Princes, pour ne considérer que les cadres majestueux de nos rendez-vous du Tournoi des Cinq Nations, cette idée-là donc est un prolongement pour moi. La perspective aussi d’entrevoir un autre aspect du rugby… Mettons les choses au point. Ce n’est pas parce que je me retire que le rugby va changer du jour au lendemain. C’est moi, tout simplement, qui change. Mon approche du rugby, côté cœur, sera tout aussi vibrante et passionnée. Je la conserverai pour moi, je n’aurai plus à la transmettre à chaud à tous ceux qui avaient la bonté de suivre mes téléreportages…
« Ils étaient mes amis. J’étais le leur »
Je sais que je vais rester là, un peu désœuvré avec ma passion de toujours pour ce sport. Un sport qui est plus qu’une simple activité physique : une véritable leçon de vie, au meilleur sens du terme. Ces pèlerinages, j’ai bien l’intention de les faire tant que j’ai bon pied et bon œil. Je suis aussi très anxieux de l’avenir d’un sport que j’aime par-dessus tout et d’une profession, celle de téléreporter, à laquelle je me suis consacré sans restriction. Le rugby entre dans une période cruciale. Jusqu’à maintenant, il n’a pas subi les agressions de l’argent. Sauf pour des opérations isolées, annexes et en définitive secondaires. Sa prospérité est insolente. Je crains que les problèmes d’argent ne finissent par le miner, de l’intérieur. La sagesse de ses dirigeants sera mise à rude épreuve… Quant à la télévision, sans renier ce qu’elle représente, je pense qu’elle est rentrée dans le rang. Le phénomène d’attirance exceptionnelle et de nouveauté n’est plus. La Télévision est bien rentrée dans le rang. Elle n’est qu’un média comme un autre. Plus vivant et plus important que certains autres, d’accord. Mais c’est tout… Pour moi, la presse écrite, quotidienne ou magazine, revêt de plus en plus d’importance. Alors que la presse parlée en perd. En se banalisant, la communication audiovisuelle perd un peu de cette affectivité énorme et spontanée qu’elle avait suscitée dans le public… J’ai eu le privilège d’être très proche de cette gigantesque foule de téléspectateurs qui suivaient, le cœur en fête, toutes les grandes rencontres du rugby. Ils étaient mes amis. J’étais le leur. Cette réciprocité, je l’espère, ne doit pas s’éteindre avec mon départ du petit écran. Tous ces anonymes, je continue à les sentir vibrer. Maintenant, mon micro fermé, je me glisse parmi eux pour partager des émotions que, jusqu’à maintenant, je leur exprimais à chaud… »
Ph.M.
Sources : site Gallica BNF, « Adieu, les petits », de Roger Couderc, édité par Solar, 1983 ; archives du Lot.