Matmatah à Ecaussystème : « Nous n’avons jamais été à la mode »
Entretien avec le bassiste et cofondateur du groupe Eric Digaire.
On ne présente plus leurs sonorités rock et pop aux accents bretons. Pourtant, les membres de Matmatah refusent d’être cantonnés à un registre celtique. Depuis leur premier album en 1995 qui comprenait notamment le titre Lambré An Dro, ils ont écumé les salles de concert, produit 6 albums et reçu trois disques d’or et un double disque de platine. Après la sortie d’un double album cette année, ils seront à Gignac sur la scène du festival Ecaussystème le 28 juillet. Rencontre avec le bassiste et cofondateur du groupe Eric Digaire.
> Medialot : votre nouvel album « Miscellanées bissextiles » sera-t-il au centre de votre concert ?
Eric Digaire : on est sur une tournée de présentation de cet album, mais on sait que les tournées en festivals sont différentes des tournées en salles. Les programmations des festivals sont de plus en plus éclectiques : on se doute que tous les festivaliers ne viennent pas nous voir. On se met à la place du public et on adapte nos concerts. On présentera donc des morceaux du dernier album, des morceaux moins connus et puis ceux « classiques » comme Lambré An Dro ou L’apologie grâce auxquels le public nous a découverts. Sur ces morceaux, c’est nous qui devenons spectateurs du public : même si ce n’est pas ceux qu’on préfère répéter, on prend un énorme plaisir à voir les gens entrer dans une espèce d’euphorie. Ce sont des morceaux qui leur appartiennent.
> M. : c’est la première fois que vous sortez un double album …
E.D. : quand on a commencé à travailler sur cet album en 2018, on avait envie d’aller vite. Mais comme tout le monde, on a été séché par le Covid. On a eu du temps supplémentaire qu’on a exploité. Quand on a pu reprendre, on a avait trop de morceaux pour un vinyle. Et on fait partie de cette génération qui compose pour une face A et une face B. Donc on a fait une troisième face, puis une quatrième. On avait beaucoup de choses à dire et il fallait le support d’un double album pour le faire.
> M. : beaucoup comparent cet album avec le premier, « La Ouache ». Est-ce vraiment un retour aux sources ?
E.D. : c’est étonnant car les échos qu’on a nous donnent l’impression que cet album réconcilie tous les publics. Certains retrouvent l’esprit du premier, d’autres du deuxième ou du troisième… Pour faire cet album, on a choisi de passer du temps chacun chez soi avant de tout mettre en commun. Il est peut-être un résumé de tout ce qu’on a fait et été, du fait de la diversité et du nombre de chansons. En le faisant, on s’est senti totalement affranchi, en ayant l’impression que les chansons n’avaient rien à voir les unes avec les autres. Mais finalement c’est peut-être cela l’unité de l’album : le côté kaléidoscopique de nos identités en tant qu’humains et de nos goûts en tant qu’artistes.
> M. : on vous définit souvent comme un groupe de rock celtique. Êtes-vous d’accord avec cette dénomination ?
E.D. : nous avons toujours dit que non, car nous n’avons pas d’instruments traditionnels et qu’on ne respecte pas les codes traditionnels. Nous sommes très attachés à notre liberté artistique. Dès le départ on a monté notre propre société de production. On a toujours voulu s’affranchir des carcans, des attentes, des modes. Le principe même d’une définition artistique est réducteur. Comme on est issu de Brest, c’est facile de dire qu’on fait du rock celtique parce que c’est une région très identitaire, très culturelle. Mais nous faisons une musique à caractère électrifiée, rock, pop-rock.
> M. : vous faites partie du paysage musical français depuis 1995. Comment vous renouvelez-vous ?
E.D. : dès le début, notre ambition était de durer car les artistes qui nous ont forgés sont des artistes qui ont fait des tonnes d’albums et essayé des choses très différentes à chaque fois. Et puis, on n’a jamais été à la mode donc c’est plus difficile d’être démodé. On a un public fidèle qui nous suit depuis des années et qui a compris que chaque album serait différent. On s’est toujours dit qu’un album était un polaroïd du temps présent. C’est peut-être ce rapport assez réel et réaliste avec notre époque et nos aspirations qui nous permet de durer.
> M. : vous vous êtes séparés en 2008 puis reformés en 2016. Avez-vous senti une attente particulière du public ?
E.D. : dans ce métier, c’est très facile d’être oublié. On s’était arrêté car on craignait de ne plus prendre de plaisir ensemble, mais on avait encore des choses à dire et à faire. Alors, on est revenu en catimini. Et on s’est aperçu qu’une nouvelle génération venait nous voir, les jeunes de 15-25 ans, parce qu’on jouit d’une bonne réputation sur scène. Aujourd’hui, on a un public intergénérationnel avec qui on a eu une évolution presque familiale.
> M. : depuis 2022, le guitariste Léopold Riou a remplacé Emmanuel Baroux. Qu’a-t-il apporté avec lui ?
E.D. : pour la petite histoire, on l’a rencontré pour la première fois quand il avait trois mois puis on ne l’a pas revu pendant 25 ans. Quand on a eu besoin d’un nouveau guitariste, on a pensé à lui. C’est un bel humain, l’intégration s’est faite d’une façon fluide et naturelle. Lui aussi a commencé en jouant dans des bars. Il sait ce que représentent une phase de création et une tournée. Et il est très respectueux du répertoire. On a vraiment l’impression que c’était celui qu’il nous fallait.
> M. : lui aussi vient du Finistère. L’identité bretonne a-t-elle toujours autant d’importance pour vous ?
E.D. : on se sent plus Brestois que Breton. Brest est une enclave très particulière en Bretagne. On y vient, on n’y passe pas. C’est une ville très étudiante, où l’armée était aussi très ancrée. C’est presque un village d’irréductibles. On y parle ty zef avec un accent à couper au couteau. On a toujours été attaché à cette identité prolétaire, sombre, humide. Et puis, les Bretons c’est comme les pissenlits, ça pousse partout. Où qu’on joue, il y a un foyer breton d’un chauvinisme exacerbé. C’est une force pour nous.
> Le programme en détails d’Ecaussystème (et billetterie en ligne): https://www.ecaussysteme.com/