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Une tragédie familiale de Paris à Salviac 


Dans « l’Allemand de ma mère », Catherine Clément évoque avec tact le destin des siens durant la Shoah.

Philosophe et romancière, Catherine Clément a publié une soixantaine d’ouvrages. Le dernier en date, paru le mois dernier, n’est pas le moins intime. Il s’agit d’un roman vrai, qui évoque la destinée de ses parents et grands-parents durant la Seconde guerre mondiale. Une période dont elle fut aussi témoin : née en février 1939, Catherine a conservé quelques souvenirs de la fin de cette tragédie. Mais il aura fallu du temps pour livrer les détails de cette prime mémoire, et expliciter les étapes de cette double histoire. Pourquoi avoir tant attendu ? « Je me suis posé cette question une fois le livre fini. Et il est évident que c’était tout bêtement parce qu’il fallait que la génération précédente, celle qui a vécu vraiment la guerre, ait disparu. Ce n’était pas rationnel, mais disons que c’était une impossibilité inconsciente… » expliquait-elle tout récemment à notre confrère Le Courrier de l’Ouest. 

Une double histoire, en effet. Ses parents forment un couple mixte : son père Yves est catholique, sa mère Raymonde est de confession juive. Tous deux se sont rencontrés sur les bancs de la faculté de pharmacie de Paris. Une fois mariés, ils ouvrent une officine dans la capitale. Bientôt, un client singulier se présente. Il se dit allemand, réfugié ayant fui le nazisme et médecin. Il s’installe à proximité. 

Puis la guerre survient. Yves est appelé et dirigé vers la ligne Maginot. Raymonde se réfugie dans la Loire, dans le Saumurois, avec ses beaux-parents. 

> Un étrange médecin 

Après juin 40, Yves et Raymonde rouvrent la pharmacie. Et quelle n’est pas la stupeur quand le médecin allemand qui se disait réfugié débarque cette fois en uniforme vert-de-gris. Il les rassure, leur fait comprendre qu’il appartient au service des renseignements basé à l’hôtel Lutetia. Et qu’il n’est pas nazi. Bien au contraire… De fait, quand les nuages deviennent plus noirs encore, quand les rafles débutent, il protège Raymonde. Il prévient, il rassure. Et Raymonde, la pharmacienne juive, ne sera pas arrêtée. Sa petite Catherine non plus. 

L’officier allemand prévient aussi quand le temps est venu pour les parents de Raymonde, Georges et Sipa Gornick, ainsi que les deux sœurs de celle-ci, de prendre la fuite. Le 20 février 1942, ils quittent Paris munis de faux papiers d’identité et d’Ausweiss pour passer la ligne de Démarcation. Ce qui est fait aisément. Et ils arrivent le 21 à Salviac. Ils s’installent à l’Hôtel de l’Univers. Les semaines passent et Georges Gornick, son épouse et ses belles-sœurs font bientôt partie du paysage local. Le curé demande à Georges d’être parrain d’un nouveau-né du village. L’homme d’église sourit et suggère que de la sorte, c’est un peu comme si le commerçant juif devenait chrétien… Georges acceptera aussi volontiers d’être requis, plus tard, comme d’autres hommes du pays, pour surveiller la voie ferrée qui relie Limoges à Toulouse via Cahors. Comment ne pas y voir une forme sinon d’intégration, de rassurant passeport ? 

> Le drame de Salviac 

Au début du printemps 1944 toutefois, les vents tournent. Mais plus l’étau se resserre sur l’Allemagne hitlérienne, plus les nazis et leurs complices français de Vichy et de la Milice s’enfoncent dans la barbarie. L’occupant et les collabos savent que les maquis lotois sont en effervescence. Alors bientôt la division Das Reich est appelée à la rescousse, et bientôt les époux Gornick sont rattrapés par l’odieuse chasse à mort décrétée contres les Juifs, français ou étrangers, enfants, adultes, personnes âgées… A l’Hôtel de l’Univers, à plusieurs reprises, de bonnes âmes viennent les prévenir, il faut déguerpir, se cacher. Les Gornick tergiversent. Le 30 mars, deux maquisards font irruption pour les emmener. C’est encore trop tôt, raconte Catherine Clément, sa grand- mère n’avait pas fini sa valise… Les résistants acceptent de revenir le lendemain. Mais dans la nuit, des miliciens avinés arrêtent Georges et Sipa sans ménagement. Ils sont conduits à Cahors, puis Toulouse. 

L’artisan fourreur et son épouse sont notés comme étant arrivés à Drancy le 17 avril. Ils sont déportés pour Auschwitz le 29 avril par le convoi 72. 

Selon Serge Klarsfeld, dans son monumental « Mémorial de la Déportation des Juifs de France », « ce convoi emporte 1004 Juifs dont 398 hommes et 606 femmes. Parmi eux 174 enfants de moins de 18 ans. A l’arrivée à Auschwitz, 48 hommes furent sélectionnés avec les matricules 186596 à 186643 et 52 femmes dont les matricules se situent aux environs de 80600. En 1945, il y avait 37 survivants dont 25 femmes ». Georges et Sipa ne furent pas « sélectionnés » pour travailler. Ils ne furent pas des 37 survivants. Dans son livre, Catherine Clément imagine qu’ils sont restés le plus longtemps possible proches l’un de l’autre. Avant d’être assassinés dans une chambre à gaz, puis que leurs corps soient calcinés. 

> Les fantômes du Lutetia 

Raymonde et Yves, à Paris, ont vite appris la nouvelle de leur arrestation. Car les sœurs de Sipa, elles, avaient plus raisonnablement accepté de rapidement se cacher, dans les environs de Salviac… Chacun à Paris fit jouer ses relations. En vain. Même l’officier allemand ne put rien faire quand Raymonde et Yves viennent le trouver au Lutetia. Plus personne ne put empêcher le pire… 

Quasiment un an plus tard, ce même hôtel Lutetia accueillait et prenait en charge les rescapés de retour. Raymonde n’y aperçut jamais, dans ce défilé d’hommes et de femmes décharnés, ne serait-ce que l’ombre de son père ou de sa mère. 

En revanche, en mai 1945, un second enfant venait réconforter la jeune pharmacienne qui le prénomma Jérôme. « L’enfant du printemps », écrit sa sœur Catherine pour conclure son récit. 

On sort de ce livre à la fois édifié et bouleversé. L’auteure a fait le choix, exigeant, pour elle comme pour le lecteur, d’évoquer l’histoire des siens en la mettant toujours en résonance avec l’histoire tout court. Un effet didactique qui vire à la sensation d’oppression. D’abord, les périls, d’abord la Drôle de guerre, et enfin l’Occupation, puis les fronts qui se multiplient pour l’Allemagne nazie toujours plus folle dans sa course à l’extermination des Juifs. 

Philippe Mellet 

L’Allemand de ma mère, 224 pages, éditions du Seuil. 

> Salviac n’a pas oublié. Le village, que Catherine Clément localise par erreur dans le Lot-et-Garonne, cultive la mémoire des années noires en transmettant celle de ses Justes comme celle des victimes de la barbarie. En 1999, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné à Berthe Fournier (Naulin) et à Pierre et Raymonde Leglaive le titre de Justes parmi les Nations. Ils avaient hébergé puis caché des familles juives. En octobre 2007, Jérôme Clément (qui fut notamment fondateur de la chaîne Arte) a fait Raymonde Leglaive chevalier de la Légion d’honneur. En juin 2018, un monument à la mémoire des Juste a été inauguré. Auparavant, en novembre 2009, une plaque avait été apposée sur la façade de l’ancien Hôtel de l’Univers, dévoilée en présence de Catherine et Jérôme Clément. On y lit : « Ici était l’hôtel de L’Univers où, le 30 mars 1944, Georges et Sipa Gornick A.Weil furent arrêtés et déportés à Auschwitz parce qu’ils étaient juifs par les polices allemandes et françaises ». A noter que les deux sœurs de Sipa Gornick ont pris la fuite avant la rafle, en compagnie d’autres réfugiés juifs cachés à Salviac. Ce sont les sœurs de Sipa qui ont prévenu Raymonde que ses parents avaient été arrêtés… 

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