Pour Noël, un poème en forme d’ode au Quercy et des truffes offertes par le député de Cahors
Où il est question du #Lot et des #Lotois sur les réseaux sociaux.
Les fidèles de ce rendez-vous dominical, en ce jour particulier, comprendront que nous nous échappions exceptionnellement du marigot des réseaux sociaux… Encore que nous parvenons régulièrement à en extraire quelques posts étonnants, souriants, ou à tout le moins intéressants. Toujours est-il qu’au pied du sapin nous vous déposons d’abord ce poème signé Eugène Grangié. Né en 1870 à Thédirac et décédé en 1939, ce poète, romancier et auteur dramatique (comme le précise la notice biographique de la très sérieuse BNF) fut aussi délégué départemental du Touring club de France. Sous son nom ou son pseudonyme « E. de Surgès », il publia des recueils, mais aussi, isolément, des poèmes dans différentes publications. Celui-ci est paru dans le Bulletin de la Société des études littéraires, scientifiques et artistiques du Lot, en date de janvier 1907. Il n’a pas pris une ride…
« Cités Quercinoises
Villes du pays Quercinois,
Mises à sac, démantelées,
Dont les murailles crénelées
Ont été refaites vingt fois,
Vos terrasses, vos tours pointues
Se dressent au bord du rocher ;
Nul assaut ne put s’accrocher
A leurs parois de fleurs vêtues…
Leur silhouette, sur le bleu
Du ciel, se détache hautaine ;
Quand le jour baisse sur la plaine
Leur ombre s’étend peu à peu…
Villes jadis grandes et fortes,
Si vous conservez les atours
De vos remparts et de vos tours,
Les vantaux manquent à vos portes ! –
Les vieilles villes du Quercy
Sont hélas ! des cités déchues ;
L’herbe pousse à travers leurs rues…
Mais elles gardent, Dieu merci !
Mille pittoresques reliques
De leur grandeur au temps passé…
Un blason à peine effacé
Qui s’épanouit sur les briques ;
Une gargouille qui jaillit
Brusquement d’un tapis de lierre ;
Une inscription, dans la pierre,
Que l’oeil soudain découvre et lit.
Sous les arcades en ogive,
Dans les fenêtres à meneaux,
Nichent toute sorte d’oiseaux :
Quand l’un s’envole, l’autre arrive ;
Partout courent des vents coulis,
Ils font grincer les girouettes
Des clochers et des échauguettes
Et ronflent aux mâchicoulis ;
Sur des placettes biscornues
Coulent, du matin jusqu’au soir,
Les fontaines sans déversoir
Dont l’eau croupit aux avenues…
La cathédrale de Cahors
Et plus de cent autres églises
Sont des merveilles, un peu grises,
Aux impressionnants abords ;
Elles ont des vitraux, des fresques
Trouant les murs de leurs clartés,
Des portails, des cloîtres sculptés
Et des retables pittoresques…
Les artistes, les amoureux
De ces reliques inutiles
Mais précieuses, vers nos villes
Viennent chaque jour plus nombreux.
Dès que vous voyez les cohortes
De ces bons envahisseurs-ci,
Vieilles cités du vieux Quercy,
Ouvrez toutes grandes vos portes ! »
Dans un tout autre genre, voici quelques extraits d’un conte de Noël signé Colette, publié dans La Dépêche il y a pile 100 ans, le 25 décembre 1922. La romancière y narre avec talent ses souvenirs du réveillon de 1914 : elle rejoignit alors son mari, Henry de Jouvenel, qui était sur le front, à Verdun. Un de ses amis parisiens, le député du Lot, futur maire de Cahors et futur ministre, Anatole de Monzie lui avait offert quelques truffes. Le reste se passe de commentaires. Tout le talent des grands écrivains est là…
« C’est depuis décembre 1914 que les mots « Noël » et « réveillon » signifient, à jamais, fête secrète, intimité chaude, prix inestimable des heures… Verdun, 24 décembre 1914. La neige, dégelée pendant deux jours, regèle en verglas. (J’ai) passé la nuit dans le « train noir » qui chemine à tâtons, tous feux éteints, entre Châlons et Verdun. (…) L’univers est borné à une seule présence recouvrée, aux murs frémissants d’une petite maison de la rue d’Anthouard, qui vibre et chante au tonnerre continu de l’Argonne. L’avenir? qu’il est pâle et confus devant un tel présent ! Il ne s’agit plus que de s’accrocher ici le plus longtemps possible de mener petit bruit derrière les volets clos, – attention aux médecins-majors qui habitent en face ! – et d’assurer, chez Louise Lamarque, avec elle, l’ordre de la petite maison, les préparatifs du réveillon de ce soir. J’apporte de Paris un admirable beurre fin. Monzie, mis dans le secret de ma fugue, m’a dépêché de son Périgord un panier de truffes dans leur gangue de terre odorante. Il y a, Dieu merci, encore des dragées à Verdun, et Lamarque rapporte le bœuf de l’intendance, qu’on hachera en biftecks russes. »
« Une crème au chocolat, à base de lait concentré, s’impose. Le vin ne manque pas. Verdun ne souffre encore que de la disette de légumes et de lait frais. La place, gorgée d’hommes, mange terriblement ; et la voie unique lui verse trop peu de subsistance à la fois… imaginez Paris ravitaillé par le petit tortillard du Jardin d’Acclimatation… Pendant cette journée du 24 décembre je recueille, entre le fourneau et la salle à manger, les nouvelles, les vraies nouvelles de la guerre (…). »
« Lamarque rentre à la nuit close, boueux, marneux, avec une figure violâtre et moustachue de Vercingétorix frigorifié. « Ah ! de quel sale patelin j’arrive ! Comme ça vous arrange, un fusant qui tombe à trente mètres! » Enfin, il a sa tarte, il est content. L’homme à la tarte, c’est le colonel Rollet, le frère de Louise. Il gîte en quelque enfer proche, où l’on consent, comme ici, à mourir, mais non à ne pas manger ; où, comme ici, on aime la nourriture d’un amour lyrique et sauvage… Minuit. Du houx sur la nappe, un consommé fumant dans des tasses. Autour de la table, des visages familiers que la guerre n’a pas encore changés, mais des mains méconnaissables. Des mains d’hommes de bureau que Paris vit blanches, que le manucure soignait : le froid, le maniement des objets lourds, durs, a rongé leurs ongles et couturé leur épiderme vulnérable… Sommes-nous émus ? Personne ne le montre. Je ne nommerai pas les convives de ce festin : aucun appel humain ne les pourrait, cette année, réunir à la même table. »
« Je dirai seulement à leur louange que tous sont dignes de vider les verres que dore le vin d’Yquem. Ils sont dignes de déguster la truffe dont le fumet impérieux flotte… Honte sur vous, Louise Lamarque, et malédiction sur les éducateurs qui vous apprirent à peindre en bon peintre, à goûter la bonne musique ! Car, m’ayant éblouie de vos talents culinaires et remplie de confiance – Laissez, ça me connaît ! – vous apportez sur la table les truffes, perles noires de notre réveillon, toutes crues, comme un panier de prunes qu’on vient de gauler à l’arbre. »
Or, ce Noël 1914, Colette le raconte encore le 27 mars 1939, cette fois dans Paris-Soir, à l’aube de la Seconde guerre, et quelques jours avant la réélection d’Albert Lebrun à la présidence de la République. Les truffes de Monsieur de Monzie sont toujours là… « Albert Lebrun que j’ai connu à Verdun en décembre 1914. Il était modestement militaire, et je me cachais, munie de faux papiers, sous je nom d’Anna Godé. Rue d’Anthouard, chez la charmante femme d’un sous-officier, Mme Adrien Lamarque, par pluie et neige sale, Charles Humbert, Jacques Bousquet, Me de Moro-Giafferri, Henry de Jouvenel, Albert Lebrun, Léon Abrami trouvaient un feu de charbon, l’amitié, la table mise, un menu où le bœuf de l’Intendance rencontrait un fastueux panier de truffes envoyé par Anatole de Monzie, des chocolats et du beurre frais venus avec moi de Paris, un dessert explosif, chargé d’une grêle de dragées, inventé par le confiseur local et baptisé « bombe de Verdun ».
« Députés, avocat, sénateurs, rédacteur en chef, musicien, chacun faisait l’apprentissage d’une guerre inconnue. Cloîtré dans une place forte, le demeurant de la population civile ramenait ses préoccupations à un seul
souci : le ravitaillement. Les « nouvelles », au cœur de Verdun, c’étaient l’absence de laitage, le légume vert introuvable, l’échange d’un piano contre des pommas de terre. En janvier 1915, le cadeau magnifique d’un minotier qui abritait une vache dans son jardin nous mit quasi les larmes aux yeux : il envoya chez mon amie Lamarque un fromage à la crème. Le danger, sur Verdun, n’était encore que de bombes d’avion répandues à six heures du matin et deux heures après midi. Sur le seuil de la petite maison – un projectile, en 1916 ou 1917, n’eut pas de mal à l’effondrer – les amis se séparaient. Albert Lebrun, comme les autres, relevait son col, écoutait le grondement céleste, s’en allait à son devoir anonyme. Il a bien peu changé, à part une brosse de cheveux qu’il avait drue et droite au-dessus de son front carré. N’ayant jamais eu le goût des cérémonies officielles, je le rencontre rarement. Mais à l’occasion, il me glisse dans l’oreille trois mots mystérieux, de nous seuls compris, et qui nous rajeunissent : – Hein ! la rue d’Anthouard. »
Sources : site Gallica BNF.