Sibelle veut entrer au musée (avec Souleymane)
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Nous ne possédons pas de toiles de maître à la maison, seulement quelques reproductions, voire des cartes postales achetées à la boutique du Centre Pompidou ou du Louvre, pieusement conservées depuis dans quelque tiroir ou abandonnées dans un livre après avoir fait office de marque-page. Ah quand même, j’oubliais. L’autre soir, dans une pochette, j’ai mis au jour un trésor : des dessins et des peintures (à l’eau) réalisés par mes enfants à l’école primaire et dont ils m’avaient fait don. Les traits y sont parfois hésitants mais les couleurs vives expriment une générosité certaine, un appétit de vivre et de vie, une forme d’appel à la « liberté libre », comme l’adorait Rimbaud, que je ne retrouve guère que dans certaines œuvres de Miro. Et sans fausse modestie, moi-même, je n’ai jamais fait preuve du moindre don sur le plan pictural. Idem pour la musique : au collège où comme mes camarades, j’étais condamné à m’exercer à la flûte, mon niveau était médiocre. Reste le maniement du stylo ou du clavier. A défaut d’écrire bien, j’essaie de ne pas trop mal écrire.
Bref. Quel ne fut pas mon désarroi quand j’ai découvert cette annonce du Grand Cahors : « Participez à l’évènement culturel de l’année : la réouverture du Musée Henri-Martin. Les deux artistes Chantal Perret et Laurent Maciet vous accueillent dans l’ancienne Cité des tabacs, rue Saint-Géry, face à l’entrée principale de l’hôpital. Ils vous inviteront à exprimer toute votre créativité pour participer à l’élaboration d’œuvres collectives qui seront ensuite exposées au musée lors de son inauguration. »
Pour sa part, Sibelle a exulté. « Quelle chouette initiative ! Tu ne t’en sens pas capable ? Moi, si ! Je déborde d’idées. Je me doutais qu’il fallait attendre un déclic. Le voici. Tu vas voir, tu ne seras pas déçu. J’ai soif de fresques d’envergure comme de miniatures soignées, je veux et je vais enfin exprimer toute la créativité qui est en moi, comme ils nous y invitent… » Voilà les organisateurs prévenus. Dans la ville et la région chères à André Breton, il était bien logique que les velléités surréalistes de ma protégée féline puisent enfin être considérées à leur juste valeur. Mais il y a un hic. Je frémis par avance en imaginant, le jour venu, cette sacrée Sibelle se pointer à la cérémonie d’inauguration, où l’on annonce la présence de la reine du Danemark. Ma tigresse domestique serait capable de lui voler la vedette…
Cette initiative est en tout cas formidable. Elle participe à briser le mur invisible qui empêche trop de nos contemporains à se considérer légitimes à fréquenter les musées et les expositions. Et à y trouver quelque plaisir, à s’y sentir à l’aise. En ce sens, ma chère cité de Charleville aura montré l’exemple pendant la pandémie. Les musées étant fermés, des œuvres furent présentées dans les lieux publics encore autorisés : c’est ainsi que dans les halls de certains supermarchés de la préfecture ardennaise, après être passé en caisse, on se dirigeait vers la sortie en poussant son chariot au milieu d’une haie d’honneur constituée de toiles, objets et autres mobiliers d’ordinaire conservés dans les augustes musées de la ville. Mes confrères ardennais ont interrogé les clients : certains d’entre- eux voyaient pour la première fois une œuvre d’art en vrai. Et vous savez quoi ? Ils en étaient ravis !
En ces temps mortifères, en ces journées qui débutent invariablement sous un décor de givre, essayer de mettre en exergue les bonnes nouvelles relève de la chasse au trésor. Souffrez donc que je salue le parcours et les récompenses obtenues par Souleymane Sow, lauréat du concours « Un des Meilleurs Apprentis Bouchers de France 2021 », et qui a été reçu cette semaine à l’Élysée. Votre site d’info préféré a rapporté que l’apprenti de la boucherie Dany & Laurent Flaujac, située sous la Halle de Cahors, a remis un courrier au chef de l’État dans lequel il explique son amour de la France et son rêve de devenir un jour Français.
En une période où fleurissent comme jamais depuis les Années Trente les discours les plus rances prônant le rejet de l’autre et dans le même temps, prétendre qu’il n’y a rien de tel dans notre cher pays que de déguster un steak frites vous assure d’être considéré comme facho, ou quasi, moi, cela m’a ravi. Vraiment. Pleinement. Et Sibelle aussi. Il demeure des raisons de ne pas désespérer. Tiens, et si ma protégée esquissait un portrait de Souleymane pour la réouverture du musée ?
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