11 novembre : commémorer, c’est aussi résister
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Voici venir la commémoration du 11 novembre 1918. Alors que dans la France de 2021, on entend de nouveau s’exprimer des discours vichystes, il n’est peut- être pas inutile de se rappeler quel double symbole cette date anniversaire a revêtu lors des années sombres de la Seconde guerre. En France, et dans le Lot. Où s’inspirant de la manifestation des étudiants parisiens du 11 novembre 1940, durement réprimée, on a choisi aussi ce jour pour dire son attachement à la France résistante, celle qui refusa de se mettre à genou devant l’Occupant, pis, de collaborer avec lui. Quand on se plonge dans les archives locales, voici ce que l’on trouve le plus aisément, notamment dans les collections du Journal du Lot, numérisées. S’il devint rapidement un relais de la collaboration, il fut, malgré lui, le témoin de cet esprit de résistance, ne serait-ce que par ses silences. Chronologiquement, débutons par l’année 1939. La guerre a été déclarée en septembre. Mais l’attaque allemande ne surviendra qu’en mai… C’est la Drôle de Guerre.
Le 10 novembre 1939 est simplement publié ce communiqué : « Commémoration de l’Armistice. Les Anciens Combattants, Mutilés, Veuves de guerre, Ascendants et Orphelins des différentes Associations, groupés au sein du Comité, sont informés qu’une cérémonie du souvenir aura lieu le samedi 11 novembre, à 11 heures précises, au Monument aux Morts. Prière de se rendre individuellement au Monument aux Morts, place Thiers. Le Président du Comité : FOMBEUR- BUELI. » Notons au passage la précision : pas de défilé, mais des trajets individuels. Plus tard, la place sera rebaptisée du nom du général de Gaulle… En rubrique Gourdon, il est bien stipulé : « En raison des circonstances actuelles, la fête du 11 novembre ne saurait être célébrée cette année selon le programme habituel. Les cérémonies n’auront qu’un caractère symbolique de fervente commémoration de nos morts, de patriotique et admiratif hommage au courage des armées. Les cortèges et défilés sur la voie publique, les revues du 11 novembre n’auront donc pas lieu et aucun discours ne sera prononcé. » Dans l’édition suivante, le 12 novembre 1939, le ton est encore résolument patriotique. « Pour ne pas avoir pris des garanties efficaces en 1918, nous avons la guerre en 1939. Si nous ne voulons pas avoir une troisième guerre en 1960, il importe de ne pas traiter avec l’Allemagne comme si elle était ce qu’elle n’est pas : un peuple honnête et loyal, ou comme si elle n’était pas ce qu’elle est : un peuple de brigands » lit-on dans un éditorial.
Le 10 novembre 1940, le discours a évolué. Le pays est sous le choc. Le Lot aussi. Les événements tragiques se sont succédé : la percée de Sedan, Dunkerque, l’exode de millions de Français, l’Armistice, les pleins pouvoirs à Pétain, les premiers mois du régime de Vichy et l’entrevue de Montoire. On lit donc ce simple communiqué : « En raison du deuil de la Patrie, le travail ne sera pas arrêté au cours de la journée du 11 novembre et les édifices ne seront pas pavoisés dans le département. Cette journée sera marquée du signe d’un profond recueillement. Des services religieux pourront être célébrés et des palmes déposées aux Monuments aux Morts. Au cours des cérémonies commémoratives, une minute de silence sera observée. Le Préfet : Maurice BÉZAGU. » Un an plus tard, l’édition du 11 novembre 1941 marque (volontairement ou non) l’événement en relatant l’hommage rendu trois jours plus tôt à l’ancien proviseur du lycée Gambetta mort au combat en 1940. L’article est publié en première page. Extrait : « L’hommage à la mémoire héroïque d’Edouard Yviquel, le vénéré proviseur du Lycée Gambetta, a été célébré avec la grandeur simple qui convenait si bien à l’homme que l’on voulait honorer. En présidant lui-même cette cérémonie, M. le recteur de Toulouse avait tenu à y associer toute l’Université de France et, par les soins des chefs de notre grand établissement, tout le lycée Gambetta – professeurs, élèves et personnel – s’y est associé dans la ferveur grave et vibrante que méritait ce deuil glorieux. Désormais, le nom d’Edouard Yviquel sera toujours associé avec fierté aux fastes de ce lycée auquel il a donné son exemple comme suprême consécration de son enseignement. Samedi 8 novembre, était inaugurée, face à la longue liste des élèves morts au champ d’honneur de 1914-1918, une plaque commémorative portant la simple inscription suivante : « Edouard Yviquel, proviseur du lycée Gambetta, 1935-1940, lieutenant d’infanterie, mort pour la France le 20 juin 1940. » Autour de cette inscription, qui rappelle ses services à l’Université et son sacrifice à la Patrie, plusieurs pensionnaires et externes délégués par toutes les classes du lycée montent une garde d’honneur. Les élèves de l’établissement sont rangés en double haie et les membres du personnel massés à l’entrée du lycée tandis que le proviseur, le censeur et les professeurs en robe accueillent les nombreux invités… »
Plus surprenant, le 18 novembre 1941, en rubrique locale, on apprend que le village de Marcilhac (déjà…) s’est distingué. « Rien n’est plus touchant que de voir des enfants inclinés et silencieux devant une tombe, devant une stèle dédiée des morts glorieux. L’enfance qui rend un hommage ému à quelque chose de si grand que ses yeux ne voient pas, constitue une sorte de figure allégorique : c’est le triomphe du spirituel sur la masse des instincts inférieurs. Les chers petits de nos écoles, conduits par des maîtres qu’ils aiment, ont orné de fleurs le Monument aux Morts de la guerre. Après avoir fait l’appel des noms inscrits dans le marbre, ils ont chanté la Marseillaise. Le tableau était saisissant par sa grâce naïve et par l’ardeur des voix jeunes et bien réglées. On lisait tant de bon vouloir dans ces yeux expressifs, sur ces beaux fronts levés vers les éducateurs ! La jeune France qui monte a pour parrains effectifs, « ceux qui pieusement sont morts » au champ d’honneur et ceux, qui penchés sur son cerveau et son cœur, s’emploient à les agrandir, à les fortifier. » Un texte à double sens s’il en est à cette période… En 1942, un tournant s’opère. Le 8 novembre, les troupes alliées ont débarqué en Afrique du Nord. Trois jours plus tard, arguant qu’il faut « protéger » la métropole, les troupes allemandes (et italiennes) envahissent la zone libre. Et donc le Lot.
Le 11 novembre 1942, Le Journal du Lot, justement, comme tous ses collègues autorisés à paraître, publie donc ce communiqué pondu à Vichy : « Vu les circonstances présentes, toute manifestation publique est absolument interdite à l’occasion du 11 novembre, sous peine de sanctions sévères et immédiates. » Et puis viendra enfin l’année 1943. Le 10 novembre 1943, le même journal met en garde : « Le Gouvernement a décidé que le 11 novembre ne serait pas chômé. Il est rappelé au public que toutes les manifestations sur la voie publique demeurent formellement interdites. » Mais cette fois, il n’en va plus de même.
Dans le département, les mouvements de résistance se sont amplifiés. Voici ce rappel des faits tels qu’énoncés dans le livret édité en 1994 par l’Association des Anciens combattants de la Résistance pour le 50e anniversaire de la Libération du Lot. « Le 11 novembre 1943, malgré les menaces précises du préfet de Vichy, et la mobilisation de la Milice et des GMR (Groupes mobiles de réserve, au service de Vichy, NDLR), les organisations de résistance appellent à manifester par des dépôts de gerbes aux monuments aux morts, le port de cocardes tricolores, et des arrêts de travail à 11 heures. Dans de nombreux villages, les monuments sont fleuris. A Cajarc, un déjeuner en commun est organisé avec cocarde à la boutonnière. A Figeac, les ouvriers de Ratier arrêtent le travail à 11 heures. Le sous-préfet est contraint de relâcher deux travailleurs interpellés. A Biars-sur-Cère, 150 ouvriers font grève. Mais deux faits importants marquent encore cet événement. A Bagnac, une vingtaine d’hommes du maquis Bessières viennent en camion déposer une gerbe et marquer une minute de silence. Ils repartent dans l’ordre. La population n’en croit pas ses yeux. A Marcilhac-sur-Célé, drapeau en tête, les hommes du maquis France défilent en uniforme. La population accourt, assiste à la cérémonie qui se terminera par la Marseillaise. Elle fraternise avec les maquisards et leur apporte des vivres. Les manifestations du 11 novembre 1943 couronnent un ensemble de coups de mains et de sabotages qui s’inscrivent dans la vie quotidienne des Lotois. Les Allemands réagissent en s’appuyant sur les forces de Vichy. La Gestapo s’installe à Cahors dans la villa Robinson où elle torture sauvagement. » La suite : une montée en puissance continue des actions de la Résistance comme de la répression. Le 30 novembre, Emilien Imbert est exécuté sommairement à Cahors. Il avait 29 ans. Entrepreneur en charpente, engagé notamment dans l’Armée secrète Lot, il revenait ce jour-là avec les armes d’un parachutage sur le terrain des Luzettes, dans le Ségala, lorsqu’il fut arrêté. Au cours de la perquisition de son domicile, il tenta de s’échapper et fut abattu. Plus de 7000 personnes assistent à ses obsèques deux jours plus tard. Même les Renseignements généraux y voient une manifestation de reconnaissance française et d’hostilité (aux Allemands)… Cahors et le Lot seront libérés – par eux-mêmes – le 17 août 1944.