Sibelle, Bébel et la reine du Danemark
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
« Le monde est petit… » soupire ma protégée. Ce jeudi, alors que s’achève la cérémonie dans la cour des Invalides et que la musique d’Ennio Morricone accompagne le départ du cercueil, comme tout le public présent à Paris et des millions de Français devant leur poste, nous essuyons nos larmes tout en applaudissant. Et je fais mienne la réflexion de ma protégée féline : ayant lu dans les gazettes que Jean-Paul Belmondo séjourna régulièrement dans le Lot dans les années 1960, pays natal de sa première épouse, je tente de reconstituer les scènes d’un film que je n’ai pas vu…
Je connais le décor : Gourdon. J’imagine bien le reste : Bébel lisant « L’Équipe » à la terrasse du Divan, y faisant le coup de poing à l’occasion. On avait donc ça, au moins, en commun. Il y a une quinzaine de jours, de retour de Sarlat, je me suis assis en terrasse au pied du quartier médiéval, face au Divan. Je me suis rappelé alors que c’est dans cette petite sous-préfecture que je suis tombé amoureux du Lot. C’était il y a bientôt dans 30 ans. On séjournait tout près, à Anglars-Nozac dans un gîte repéré dans l’Indicateur Bertrand. On ne réservait pas sur Internet à l’époque. La photo était grande comme un timbre poste. Et il avait fallu que je déplie une carte Michelin pour voir où ça se trouvait : le Lot, Gourdon… Pour moi, c’était une « terra incognita ». Un saut dans le vide. Le trajet fut longuet, venu des Ardennes. Il n’y avait pas encore l’autoroute. Mais une fois sur place, le charme a opéré. Tout de suite. Un détail m’avait frappé. Sur le parking, devant la supérette où nous fîmes nos premières courses, il n’y avait pas encore besoin de fouiller au fond de sa poche pour trouver une pièce : les chariots étaient dépourvus de système antivol. Ce pays était doux et paisible…
La prochaine fois que je retournerai à Gourdon, évidemment, je penserai à Jean- Paul Belmondo. Je laisserai vagabonder mon imagination, je verrai Bébel improviser une « espagnolade » comme dans « Un Singe en hiver » et confondre sur le carrefour les voitures avec des taureaux, ou bien survoler le lac d’« Écoute s’il pleut » suspendu à un hélicoptère façon « Le Guignolo ». Je reformulerai in petto la fameuse provocation d’« A Bout de souffle » : « Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas Gourdon… allez vous faire foutre ! »
Autant dire que ce genre de langage ne sera pas de mise d’ici quelques mois (début 2022) quand viendra le temps d’inaugurer le nouveau musée Henri- Martin après sa grande (et longue) cure de jouvence. Le maire de Cahors Jean- Marc Vayssouze a en effet annoncé cette semaine qu’à cette occasion, « la reine du Danemark, par ailleurs artiste, présentera ses œuvres dans la salle d’exposition temporaire ». Et sera donc présente, invitée d’honneur exceptionnelle s’il en est.
On sait les liens qui l’unissent au Lot. En août, d’ailleurs, cette année encore, le drapeau du royaume a flotté sur le château de Caïx où la souveraine a séjourné. Je raconte à Sibelle qu’il y a quelques années, j’ai croisé Sa Majesté sur le marché de Cahors. Enfin, presque. Je faisais la queue devant l’étal d’une charcuterie où une terrine de campagne me faisait de l’œil quand soudain, la patronne s’est figée. Quasi au garde-à-vous. Quelques secondes se sont écoulées puis elle a murmuré : « Vous avez vu ? Cette dame, là, c’est la reine… » Le temps que je tourne la tête, je n’ai aperçu que la noble silhouette, de dos, portant un gilet rouge. « C’est quelqu’un de très simple vous savez » a poursuivi la charcutière. « L’an passé, elle s’est arrêtée pour acheter du jambon. Elle a refusé tout net que je la serve en priorité. Elle voulait attendre son tour, comme tout le monde. » Sibelle rigole. Et elle conclut d’elle- même : « Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas le Danemark… »
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