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1939-1940 : Les appels à l’aide déchirants des réfugiés espagnols dans le Lot 

Des courriers mis au jour attestent que beaucoup manquent de vêtements, sont mal logés. Et une mère cherche à rapatrier ses enfants soignés en URSS !

« Calès (Lot), le 17 décembre 1939. Au Comité national britannique d’aide à l’Espagne, Perpignan. Messieurs, moi, Antonia Lardín Zamora, épouse, me présente pour vous exposer ce qui suit. Je suis une réfugiée espagnole, mon époux étant également réfugié au camp de Bram (Aude). Je suis accompagnée de mes enfants : Julià, Carmen, María, Lola, Antonia, José et Manuel, que je dois nourrir et vêtir grâce à l’allocation qui m’est accordée par le gouvernement français. Comme vous le comprendrez, il m’est extrêmement difficile de les maintenir au chaud durant cet hiver. Connaissant la bienveillance de ce Comité, qui a apporté et continue d’apporter une aide précieuse aux réfugiés espagnols dans ce pays français accueillant, je vous prie respectueusement de bien vouloir me fournir des vêtements pour mes enfants, tous mineurs, âgés de 9 à 17 ans. Avec mes remerciements les plus sincères, votre très dévouée Antonia Lardín. »

Tel est in extenso (mais en la circonstance, bien sûr, traduit en français) l’un des documents que l’on découvre avec émotion sur le site Carexil _ « CARtas de Republicanos Españoles REfugiados y EXILiados en Francia » (Lettres de réfugiés et d’exilés républicains espagnols en France) : il s’agit d’un projet porté notamment par des laboratoires d’études romanes de trois universités parisiennes (Vincennes / Saint-Denis, Nanterre et Paris-Lumières) et les Archives nationales. Sur une plateforme dédiée, ont été mis en ligne plus de 700 courriers jusqu’alors inédits. « (Ils) datent de février 1939, période qui coïncide avec la Retirada (l’exode de plus de 500 000 Espagnols fuyant l’avancée des troupes franquistes), et de l’été 1940. Conservées dans les archives de la Commission d’Aide aux Enfants Espagnols Réfugiés en France (CAEERF), à laquelle elles sont principalement adressées, ces lettres sont destinées à des personnes de bonne volonté » lit-on sur la page d’introduction. Qui précise encore : « La CAEERF était une organisation privée, reconnue par les institutions françaises et espagnoles en exil, qui apportait une aide matérielle, notamment par l’envoi de vêtements et de chaussures, aux milliers d’Espagnols internés dans des camps ou autres abris de fortune, souvent dans des conditions très précaires. »

D’autres missives rédigées par des réfugiés établis dans le Lot à cette époque, à l’instar de la première, sont effectivement liées à des préoccupations d’abord matérielles. Voici ainsi la demande d’un père de famille installé à Luzech, datée du 14 mai 1940 : « J’ai appris par divers canaux que vous apportez votre solidarité aux réfugiés espagnols, notamment par des dons de vêtements et de médicaments, indispensables pour supporter cette épreuve. Je garderai le silence sur notre situation, persuadé que vous en êtes déjà bien informé, de même que je suis conscient de la douloureuse réalité de la tragédie que nous, réfugiés, vivons. Ma famille se compose de six personnes. Leurs âges et détails, qui pourraient vous être utiles pour mieux accomplir votre mission, sont les suivants : moi-même, 51 ans, 1,60 m, pointure 39 ; mon épouse, 44 ans, pointure 37 ; mes deux filles aînées, âgées respectivement de 21 et 19 ans, pointure 36 ; et mes deux garçons, l’un de 15 ans, pointure 39, et l’autre de 7 ans, pointure 30. Tous sont de petite taille. Je ne fais aucune distinction entre vêtements d’intérieur et d’extérieur. Médicaments : un litre d’huile de paraffine, un flacon de Jouvence de Lys. J’espère que vous ferez tout votre possible pour nous aider, en vous assurant que notre situation, sans être désespérée, n’est certainement pas prometteuse. »

« Mal accueillis à Prayssac »

Une autre lettre comprend des remarques acerbes vis-à-vis des conditions d’accueil à Prayssac. Nous sommes là encore au début du mois de mai 1940. « Chers collègues du Comité. Tout d’abord, nous tenons à vous remercier, au nom de tous nos camarades, pour votre générosité : nous avons reçu des lits, des vêtements et de la laine. Ce geste nous a été d’un grand secours, surtout au regard de la situation difficile qui nous attend. On nous a annoncé que nous ne serions pas payés. Imaginez la situation de celles d’entre-nous qui ont des enfants et qui ne peuvent pas travailler, dont les maris et les frères sont dans le camp de concentration (sic). Nous allons vivre une situation terrible. Camarades, veuillez m’excuser pour cette franchise. À l’hôpital de Prayssac, nous sommes dans une salle très humide, comme a pu le constater un collègue lors de sa visite. Celles d’entre-nous qui ont des enfants dormaient auparavant dans une chambre de religieuses, mais comme on nous dit que cette chambre est nécessaire pour les Français, on les transfère toutes dans la salle où nous sommes 36. L’humidité est insupportable ; nous vous supplions de nous envoyer des lits pour les petits. Nous vous en serions extrêmement reconnaissants. Ici, à Prayssac, nous sommes méprisés. On nous demande pourquoi nous ne partons pas en Espagne, où l’on ne pourrait rien nous reprocher puisque nous n’avons manifesté nulle part. Sans plus tarder, veuillez excuser notre audace, et au nom de tous nos compagnons réfugiés, nous vous adressons nos salutations fraternelles depuis Prayssac. »

José Lozano, à la même période, est réfugié à Alvignac, et il se montre bien moins critique à l’égard des autorités. « Je me permets de vous adresser cette lettre afin de vous demander une aide particulière pour ma femme et mes quatre jeunes enfants, âgés respectivement de 13, 12, 9 et 5 ans, que j’ai laissés presque nus et pieds nus car mon salaire – 23 francs par jour – ne suffit pas à couvrir tous nos besoins. Messieurs, je suis arrivé ici évacué d’Espagne le 20 février de l’année dernière et, grâce à mon modeste travail et à la bienveillance de personnes charitables, notamment de Monsieur le Maire, j’ai pu subvenir à mes besoins. Mais ces derniers temps, mes besoins ont tellement augmenté que, sans aide, je ne pourrai plus ni vêtir ni chausser mes pauvres enfants. J’ai également un grand besoin d’ustensiles de cuisine et de linge de maison, notamment de draps et autres articles de linge. » Suivent les prénoms, âges, tailles et pointures des membres de la famille.

Un militant du PSOE qui resta en France

Si, dans la plupart des cas, il ne nous a pas été possible de retrouver trace postérieure des auteurs des courriers, une exception est à mettre en avant. Ainsi, le 5 mai 1940, José Salas Zapatero qui demeure alors à Livernon où il est détaché par une compagnie de travailleurs étrangers, écrit : « J’ai l’honneur de vous écrire afin de solliciter vos services, ayant appris que votre institution emploie des étrangers. Étant donné que mon épouse est actuellement loin de moi et que je souhaite ardemment la retrouver après plusieurs années de séparation, d’abord en raison de la Guerre civile espagnole, puis suite à mon entrée dans une entreprise, je vous prie respectueusement de bien vouloir prendre les mesures nécessaires pour m’aider. Mes informations personnelles, telles que demandées, sont les suivantes : José Salas Zapatero, né à Bilbao, Espagne, âgé de 33 ans, marié, carrossier qualifié. Mon adresse figure au dos de l’enveloppe. Dans l’attente de votre réponse, je reste à votre entière disposition ». Selon nos recherches, d’après les archives mises en ligne par la fondation Pablo Iglesias consacrée à l’histoire du mouvement socialiste en Espagne, José Salas Zapatero s’est établi à Agen après la guerre où il reste peintre de profession. Ancien syndicaliste, il est membre du PSOE en exil jusqu’à la fin de la dictature franquiste et demeure abonné au journal El Socialista. Il décède à Agen le 25 avril 1995.

Pour autant, le plus bouleversant des courriers est daté du 7 avril 1940, écrit à Figeac. Une mère y décrit son désarroi alors que ses enfants sont soignées en URSS. « Je vous écris dans l’espoir que vous ferez tout votre possible pour m’aider concernant mes enfants (…) Santiago et Julita García Abaurrea, âgés respectivement de 12 et 11 ans, qui se trouvent actuellement en Russie. Ils vivaient avec mon mari et moi à Barcelone pendant la guerre civile espagnole et ont tous deux été blessés lors d’un bombardement le 17 mars 1938. Ma santé était alors très fragile, mon mari pouvait difficilement s’occuper de nous en raison de sa charge de travail importante, et après qu’ils  ont survécu deux mois après avoir été blessés, on m’a suggéré de les envoyer à l’étranger jusqu’à la fin de la guerre. J’ai accepté, préférant ne pas les voir pendant un certain temps plutôt que de les perdre peut-être pour toujours lors d’un autre bombardement, et au moins leur épargner la faim que la plupart d’entre nous connaissions à Barcelone. Les dispositions nécessaires furent prises et, le 3 juillet 1938, ils quittèrent Barcelone au sein d’une expédition d’enfants du Corps de l’Armée de l’Air, à destination de l’URSS. Ils débarquèrent à Leningrad le 12 du même mois. »

« La Croix-Rouge sollicitée »

« Depuis, je n’ai pratiquement plus eu de leurs nouvelles. Quatre lettres en près de deux ans, dont deux presque consécutives durant les deux premiers mois. Mais ce n’est rien comparé à cela, car les nouvelles par courrier ne me suffisent pas ; ce que je veux, ce sont mes enfants. Une fois notre vie réorganisée en France, où mon mari travaille comme ingénieur dans une usine de cette ville depuis juin dernier, il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas les avoir avec nous. Avant même que mon mari ne commence à travailler, en avril dernier, j’avais déjà entamé les démarches pour les faire venir ici, en écrivant à l’ambassade de l’URSS. Après trois mois et deux lettres, on m’a conseillé de contacter le Comité international de la Croix-Rouge à Genève. Ce que j’ai fait. Ils m’ont répondu qu’ils feraient tout leur possible pour me ramener mes enfants. Ils m’ont envoyé un questionnaire et m’ont demandé des documents visés par le maire de Figeac et le préfet du Lot, que j’ai transmis dès que j’ai pu les obtenir, en septembre. Je suis restée sans nouvelles jusqu’en janvier dernier, lorsque, après deux lettres urgentes et quelques relances, ils m’ont confirmé avoir reçu les documents et les avoir transmis à la Croix-Rouge de l’URSS. Trois mois se sont écoulés depuis, et je n’ai toujours aucune nouvelle. Je comprends que la situation internationale actuelle ne facilite pas la résolution de cette affaire, mais il doit bien y avoir une solution, car la guerre pourrait durer encore des années, et je ne peux me résigner à être séparée de mes enfants aussi longtemps. Je vous prie de me faire savoir si vous pouvez m’aider, et je vous serai éternellement reconnaissante de toute aide que vous pourrez m’apporter. Je suis bien entendu à votre disposition pour vous transmettre immédiatement tout renseignement complémentaire dont vous pourriez avoir besoin. Mes enfants se trouvent actuellement au Foyer espagnol pour enfants n°3 de Tarachova, près de Moscou, d’après les dernières nouvelles indirectes que j’ai reçues d’eux en octobre dernier. Dans l’attente de vos nouvelles, que j’attends avec impatience, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus cordiaux. Julia A. de Garcia. »

Tout laisse à penser hélas que le calvaire de Julia s’est achevé bien longtemps après supplique. Car la Seconde guerre mondiale a alors débuté, et même la paix revenue, les relations entre l’URSS et le régime de Franco furent gelées. Ainsi, lit-on sous la plume de l’historienne Verónica Sierra Blas, dont les travaux portent sur l’histoire des enfants espagnols exilés pendant et après la guerre civile : « Lorsque le conflit toucha à sa fin, la Russie ne reconnut pas la dictature de Franco et refusa d’aider au retour des mineurs en Espagne. De 1947 jusqu’à la mort de Staline, le 6 mars 1953, très peu purent rentrer. Ce ne fut qu’au milieu des années 1950, en 1956 et 1957, que les autorités russes et espagnoles offrirent à ces petits garçons et petites filles, alors déjà adultes, la possibilité de rentrer. Parmi les 667 qui ont composé la première expédition de retour, la grande majorité revint très vite en URSS, tant il était difficile de vivre en paix dans l’Espagne franquiste. Quand on leur demande encore aujourd’hui pourquoi ils ne sont pas restés, ils répondent que durant leur vie entière ils ont porté le stigmate des « enfants des vaincus » et soulignent le fait d’avoir passé leur enfance dans le pays du communisme. »

Selon l’historien Didier Corderot, de l’Université Blaise Pascal (Clermont-Auvergne), les enfants réfugiés de la guerre d’Espagne (sans leurs parents) furent plus de 30 000 à être envoyés à l’étranger, parmi lesquels 20 000 furent accueillis en France, 5 000 en Belgique, 4 000 en Grande-Bretagne, 2 895 en URSS…

Comme pour les adultes et les familles qui trouvèrent exil en France, il y eut un avant et après mai 1940. Et sous le régime de Vichy, les réfugiés devenus des indésirables dangereux ont été très vite regroupés, et quand ils ne furent pas enfermés, on les « utilisa » comme travailleurs forcés (pour ce qui est hommes). On sait enfin l’apport qui fut le leur dans la montée en puissance des maquis, notamment dans le Lot. 

Ph.M.

Sources : site carexil.huma-num.fr ; article de Verónica Sierra Blas paru dans « L’écho de l’évènement /Du Moyen Âge à l’époque contemporaine », édité par les Presses universitaires de Rennes en 2011 (disponible en ligne).

Sur les réfugiés espagnols dans le Lot avant, pendant et après la Retirada, se référer à « Les Espagnols dans le Lot pendant les années noires », par Nathalie Bousquet, dans « Vivre et mourir en temps de guerre de la préhistoire à nos jours. Quercy et régions voisines », Presses universitaires du Midi (2009), disponible en ligne.

Photos : enfants se préparant à être évacués (© Locospotter, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons) et courrier de Julia A. de Garcia (site Carexil).

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